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«Quand on est pauvre, qu’on vit sur le Plateau et qu’on paie 1200 $ pour un 4 ½ gros comme ma main, on a un gros problème de société.»
Le gouvernement Legault a reconnu le 19 avril dernier que le Québec était bel et bien aux prises avec une crise du logement. Selon des intervenants québécois, les failles du droit au logement contribuent à empirer la situation.
Entre les rénovictions, les hausses abusives de loyer et les clauses «F» et «G» des baux, plusieurs locataires ont de la difficulté à s’orienter et ne connaissent pas tous les rouages du droit au logement. Et les organismes et instances devant conseiller les citoyens et trancher lors des conflits entre locataires et propriétaires ne savent plus où donner de la tête.
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«Le droit au logement, ça ressemble à un fromage. Il ressemble à un gruyère, il est plein de trous!» s'est exclamé Gaëtan Roberge, organisateur communautaire et responsable du service aux locataires au comité logement de Ville-Marie à Montréal.
Rejoint au téléphone par Noovo Info, celui qui travaille pour l’organisme depuis une vingtaine d’années est débordé, entre les courriels à répondre, les appels à retourner et les citoyens à conseiller. Il doit de plus intervenir auprès des locataires redirigés par le Tribunal administratif du logement (TAL).
L’instance, anciennement désignée comme la Régie du logement, a pour mission de décider de l'issue de litiges entre propriétaires et locataires, comme les contestations de loyer ou les reprises de logement, par exemple. Le TAL doit aussi informer les citoyens sur les droits et obligations relatifs au bail, que ce soit sur son site Internet, par courriel ou par téléphone. Son système est toutefois débordé depuis quelques années, notamment depuis la pandémie.
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En effet, selon le rapport annuel 2020-2021 du TAL, le délai moyen pour une première audience, toutes causes confondues, est passé de 3,6 mois à 5,1 mois l’an dernier. Pour les causes concernant des fixations et des révisions de loyer, les délais étaient de 13,2 mois. Le nombre d’appels reçus a aussi presque doublé, passant de 154 267 en 2019-2020 à 285 309 lors du plus récent exercice. Le volume de courriel a également augmenté de 142,8 % pour la même période. Plusieurs locataires ont donc été redirigés vers les comités logement.
Lizo Ginestet, organisateur communautaire au comité logement P.O.P.I.R., qui couvre Saint-Henri, la Petite-Bourgogne, Côte-Saint-Paul et Ville-Émard, affirme que la demande a beaucoup augmenté au cours des dernières années au sein de son organisme. Si celui-ci se concentre sur certains quartiers, des résidents d’autres arrondissements appellent parfois également. M. Ginestet affirme même avoir déjà reçu un appel provenant de la Gaspésie.
«Les gens se sont rendu compte qu’ils vivaient dans de mauvaises conditions, explique-t-il. Beaucoup de gens sont venus nous voir pour chercher des logements plus adaptés à leur composition familiale ou ils se rendaient compte qu’ils avaient des logements en mauvais état, insalubres — et ils venaient nous voir pour écrire des mises en demeure aux propriétaires.»
M. Ginestet ajoute que beaucoup de locataires ont subi des pertes de revenus importantes au cours de la pandémie et que certains ont eu à composer avec des audiences de non-paiement de loyer. «Ils se sont mis à chercher des logements moins chers, dont des logements sociaux, sauf qu’il n’y en a pas beaucoup. Le recours aux comités logement s’est vraiment amplifié au cours de la pandémie», déplore-t-il.
M. Roberge, du comité logement de Ville-Marie, affirme aussi que si les comités logement ont toujours été assez achalandés, la situation a empiré depuis deux ou trois ans, en raison de la pandémie, notamment, mais aussi de la crise du logement, que l’organisateur communautaire avait vu venir depuis quelques années.
L’avocat spécialisé en droit du logement et enseignant en techniques juridiques au Cégep de Sorel-Tracy Antoine Morneau-Sénéchal affirme également sans hésitation que le Québec est présentement plongé dans une crise du logement. «Il y a clairement une pénurie de logements disponibles et les données montrent que ceux qui existent sont très chers», souligne l’avocat.
Pour M. Roberge, la crise du logement se manifeste surtout par le manque de logements sociaux disponibles, symptôme d’une décennie d’austérité libérale, selon lui. Le fait qu’un bon nombre de nouveaux logements construits soient des condos ou simplement trop chers vient aggraver la situation.
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Pour les nouveaux logements disponibles à un loyer raisonnable, la clause «F», vient aussi parfois jouer les trouble-fêtes. Celle-ci permet à un propriétaire dont l’immeuble a été bâti il y a moins de cinq ans de hausser le prix de son loyer à sa guise.
L’organisateur communautaire de Ville-Marie déplore justement les hausses injustifiées des loyers. «Il y a des gens en ce moment qui paient une fortune pour des logements en mauvais état, indique-t-il. Avec les prix en ce moment, on vous fait payer le prix d’un Mercedes, mais on vous donne juste un petit Volkswagen qui marche mal. Quand on est pauvre, qu’on vit sur le Plateau et qu’on paie 1200 $ pour un 4 ½ gros comme ma main, on a un gros problème de société.»
Si les problématiques causées par la crise du logement peuvent sembler complexes à résoudre, M. Roberge propose cependant des pistes de solution.
Pour M. Roberge, l’une des façons pour atténuer les impacts de la crise du logement serait justement d’éliminer la clause «F».
M. Roberge explique d’ailleurs que la clause «F» a été instituée afin que les locateurs puissent se faire une idée des prix du marché, ce qu’il trouve absurde. «Mais voyons donc! Ils le connaissent, c’est leur métier, c’est leur milieu. Ils savent très bien comment fixer un loyer. Ça fait en sorte que les locataires sont pris en otage», s’insurge-t-il.
L’organisateur communautaire suggèrerait aussi d’établir une vraie politique d’habitation. «On n’a même pas de ministère de l’Habitation. Ce qu’on a, c’est un ministère des Affaires municipales à l’intérieur duquel une section qui s’occupe de l’habitation, souligne-t-il. Mais les dossiers de l’habitation se retrouvent toujours à la fin de la liste. Ce qu’on réclame, c’est que le droit au logement soit reconnu non pas seulement comme un droit économique au même titre que l’éducation ou la santé.»
Une autre façon de loger à bas prix serait de mieux utiliser les résidences universitaires, selon M. Roberge. Selon lui, la volatilité des étudiants, qui changent souvent d’appartement, n’y demeurent pas longtemps et qui vivent en colocation, contribue en partie à la hausse des loyers. Les familles, avec seulement deux salaires la plupart du temps, n’ont donc plus les moyens d’occuper les grands logements. L’organisateur communautaire rêverait donc à une ville universitaire, où les étudiants vivraient en résidence, ce qui libèrerait incidemment une partie du parc locatif.
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M. Roberge comme M. Ginestet proposent également chacun d’établir un registre des loyers. «Avec cette mesure, les propriétaires auraient l’obligation de donner le montant antérieur du loyer. Si on avait un registre, les propriétaires ne pourraient pas hausser les loyers à chaque départ comme ils le font présentement. En ce moment, rien n’est contesté et les gens en profitent», soulève M. Roberge.
L’organisateur du comité logement P.O.P.I.R. Lizo Ginestet estime que la seule façon d’avoir des loyers accessibles est en finançant le logement social. «Ce sont des logements qui échappent totalement à la spéculation immobilière, puisqu’ils n'appartiennent pas au secteur privé. Ils permettent d’avoir des logements qui appartiennent à la communauté et qui sont accessibles à tout le monde, que ce soit des gens sur l’aide sociale ou des gens qui ont des revenus plus importants», souligne-t-il.
M. Ginestet déplore d’ailleurs que si les gouvernements fédéraux et provinciaux ont maintenant reconnu la crise du logement et annoncé des mesures en la matière, celles-ci concernent davantage les premiers acheteurs que les locataires.