Deuil mondial pour l'ancien président Jimmy Carter, de sa petite ville à l'ONU

«Quelqu'un a envoyé un texto à ma femme pour lui en parler, c'est là que je l'ai appris», a déclaré M. Jones lundi, un jour après le décès du 39e président à l'âge de 100 ans, entouré de sa famille dans la maison à un étage que lui et sa défunte épouse, Rosalynn, ont construite avant qu'il ne lance sa première campagne politique il y a plus de 60 ans.

«Sa présence ici à Plains a vraiment remonté le moral de tous ceux qui y vivent», a déclaré M. Jones, 85 ans, en se remémorant les échanges chaleureux avec «M. Jimmy» et «Mlle Rosalynn», décédée en novembre 2023.

En effet, les Carter ont mis cette ville de moins de 700 habitants – pas beaucoup plus grande que lorsque Carter est né le 1er octobre 1924 – sur la scène mondiale. Son ascension remarquable à la Maison-Blanche, sa défaite écrasante en 1980 et sa réhabilitation ultérieure en tant que diplomate indépendant et humanitaire mondial ont été reflétées lundi dans les hommages des habitants de Plains et du monde entier.

Non loin de l'endroit où M. Jones était assis sur son porche, des rubans noirs étaient suspendus aux côtés des drapeaux américains flottant devant les boutiques de souvenirs et les cafés qui constituent le noyau de la rue principale de Plains. Celle-ci s'étend depuis quelques pâtés de maisons du siège de la campagne présidentielle de Carter en 1976 – l'ancien dépôt de train – jusqu'à l'endroit où la famille exploitait autrefois ses entrepôts d'arachides. Des caméras de télévision et des camions de presse bordaient la rue qui passe devant l'ancienne station-service où le défunt frère de l'ancien président, Billy Carter, tenait autrefois la cour avec les journalistes qui couvraient les activités de son frère aîné.

De l'autre côté des voies ferrées, Philip Kurland se tenait dans sa boutique de souvenirs politiques, qu'il a ouverte des années après le retour des Carter de Washington. Il se souvenait de l'ancien président non pas comme d'une figure célèbre, mais comme d'un voisin accessible qui priait autrefois avec lui lorsqu'il était malade.

«Nous sommes dans un état de déni, a-t-il déclaré. Je disais aux gens: commençons à planifier son 101e anniversaire.»

À Washington, les préparatifs se sont poursuivis pour les rites d’État qui affirmeront le rôle mondial qu'a joué M. Carter. Le président Joe Biden a confirmé que le 9 janvier 2025 serait un jour de deuil national; les bureaux fédéraux seront fermés pour les funérailles nationales du président Carter à la cathédrale nationale. M. Biden, un ami de longue date du défunt et un allié politique, prononcera un éloge funèbre pour son collègue démocrate. Les dirigeants du Congrès ont confirmé à la famille Carter que l’ancien président reposerait en chapelle ardente du 7 au 9 janvier, date à laquelle sa dépouille sera transportée à la cathédrale pour les funérailles nationales.

Reconnaissance mondiale

À New York, les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU se sont levés en silence pour rendre hommage au lauréat du prix Nobel de la paix. L’ambassadrice adjointe des États-Unis, Dorothy Shea, a lu une déclaration de l’organe le plus puissant de l’ONU au début d’une réunion d’urgence sur le Yémen.

«Le leadership du président Carter a toujours contribué considérablement à la paix et à la sécurité internationales, dont les Accords de Camp David, le traité SALT II et les Traités du canal de Panama. L’engagement du président Carter en faveur de la paix internationale et des droits de la personne s’est aussi pleinement manifesté après qu’il a quitté ses fonctions. Il a joué un rôle décisif dans la médiation en situation de conflit, la surveillance électorale, la promotion de la démocratie et la prévention et l’éradication des maladies. Ces efforts et d’autres lui ont valu le prix Nobel de la paix en 2002 et ont contribué à faire avancer le travail des Nations Unies», a déclaré pour sa part le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres.

L’ambassadeur adjoint de la Chine à l’ONU, Geng Shuang, s’est souvenu de M. Carter comme d’une «force motrice» dans l’établissement des relations entre Pékin et Washington. «Nous saluons vivement ses réalisations», a déclaré M. Geng, affirmant que M. Carter «a grandement contribué au fil des ans à la coopération entre nos deux pays».

L’éminent défenseur des droits de l’homme égyptien, Hossam Bahgat, un critique féroce du gouvernement du président Abdel Fattah el-Sissi, a déclaré que M. Carter avait été parmi les premiers à mettre en garde contre «l’apartheid israélien» visant les Palestiniens – une position qui a mis le président Carter en désaccord avec une grande partie de la politique étrangère américaine.

«Un tel profil de courage, a écrit M. Bahgat sur Facebook. Il a mis en garde contre l’apartheid israélien dès 2007. Il a défendu ses principes et ses normes morales parce qu’il comprenait sa mission et est resté fidèle à ses convictions sans chercher à apaiser les donateurs ou à plaire à des conseils d’administration remplis de fonds spéculatifs.»

Un héritage qui va rester

Dans l'État américain de Géorgie, les voisins du Carter Center d’Atlanta se sont rassemblés près du terrain où Jimmy et Rosalynn Carter ont redéfini ce que pouvait être l’après-présidence. Les Carter ont créé le Carter Center en 1982 et ont supervisé pendant quatre décennies des missions diplomatiques, la surveillance des élections et des programmes de santé publique avec des opérations couvrant les cinq continents.

«J’apprécie vraiment ce qu’il a fait en tant qu’ancien président» depuis qu’il a quitté ses fonctions, a déclaré Richard Hopkins, un résident d’Atlanta.

M. Hopkins a soutenu que le service public de M. Carter allait au-delà de la fonction élective. Vétéran de la guerre de Corée, M. Hopkins a noté que le président Carter, diplômé de l’Académie navale américaine, était officier de sous-marin après la Seconde Guerre mondiale. Il a également souligné le travail des Carter avec Habitat for Humanity, qui construit des maisons pour les personnes à faible revenu. L'implication des Carter dans cet organisme s'est ajoutée à leur travail au Carter Center; ils ont été les têtes d'affiche de leurs propres constructions annuelles jusqu'à leurs 90 ans.

Le directeur d'Habitat for Humanity, Jonathan Reckford, a noté que les Carter ont joué un rôle essentiel dans la croissance du groupe.

«La plupart des gens pensent que le président Carter a lancé et dirigé Habitat, ce qui n'est pas tout à fait vrai, a-t-il déclaré lundi. Ce qui est vrai, c'est qu'Habitat a été fondé en 1976, et c'était une petite organisation en 1984 lorsque le président et Mme Carter ont pris le bus depuis le sud de la Géorgie pour passer une semaine à dormir dans le sous-sol d'une église pour réhabiliter un immeuble dans le Lower East Side de Manhattan. C'est à ce moment-là que le monde a découvert Habitat.»

Jason Carter, le petit-fils de l'ancien président qui dirige aujourd'hui le conseil d'administration du Carter Center, a déclaré dans une récente entrevue que l'ancien président avait façonné cet engagement au service grâce à Plains.

«Mon grand-père pouvait aller dans un village n'importe où dans le monde», a déclaré le jeune Carter, et aider les gens sans les traiter avec condescendance. «Parce qu’il venait lui-même d’un village comme celui-là.»

Certains habitants comme M. Jones s’inquiètent pour leur petite ville maintenant que les Carter sont partis.

«L’intérêt pour Plains va diminuer», prédit-il.

Jill Stuckey, une amie de longue date des Carter qui supervise le parc historique national Jimmy Carter pour le National Park Service, est plus optimiste. Elle a exprimé sa tristesse personnelle, mais a félicité les Carter pour avoir assuré un impact durable à Plains, tout comme ils l’ont fait à l’échelle mondiale grâce au Carter Center.

«Depuis le moment où Rosalynn est décédée, il voulait être avec elle. Donc, savoir qu’il est enfin réuni avec Rosalynn est une chose merveilleuse. Mais certains d’entre nous voulaient égoïstement le garder ici pour toujours, j'en fais partie», a déclaré Mme Stuckey.

Mais les Carter, a-t-elle souligné, avaient prévu depuis longtemps d’être enterrés dans la ville où ils sont nés, se sont mariés et ont passé la majeure partie de leur vie. Rosalynn Carter est déjà enterrée dans une parcelle visible depuis le porche de la maison familiale. La maison et le lieu de sépulture seront ajoutés au parc national.

Mme Stuckey a déclaré: «Je pense qu’ils nous ont en quelque sorte préparés pour le succès.»