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«Tout de suite, j’ai pensé à ce passage de la Servante écarlate.»
Ça s’est produit ainsi pour les personnages de Margaret Atwood.
L’une des premières actions de notre nouveau premier ministre a été d’éliminer les postes ministériels dédiés aux personnes handicapées, aux femmes et à l’égalité des genres. C’est presque dans l’indifférence totale que les médias ont rapporté la nouvelle.
Tout de suite, j’ai pensé à ce passage de la Servante écarlate. «Rien ne change instantanément : dans une baignoire qui chauffe progressivement, on serait cuit à mort avant même de s’en rendre compte.»
Ce n’est pas anodin comme décision, mais il n’y aura personne pour protester. En termes de revers, nos voisins du Sud nous ont habitués au pire. Et notre fatigue devant ces petites défaites aura un prix. C’est qu’on envoie aux hommes de pouvoir le message que rien ne nous indigne. L’anesthésie du peuple nous coûtera d’autres reculs.
Ça s’est produit ainsi pour les personnages de Margaret Atwood. Exactement ainsi. Elles aussi ont fait l’erreur de croire que les mauvaises nouvelles rapportées par les journaux concernaient les autres. Comme nous, elles se sont crues étanches aux fins du monde.
Atwood : «Les articles de journaux étaient pour nous comme des rêves, de mauvais rêves fait par d’autres. Quelle horreur disions-nous, et ils l’étaient, mais ils étaient affreux sans être crédibles. Ils étaient trop mélodramatiques, et ils avaient une dimension qui n’était pas celle de nos vies».
C’est une chose que les décideurs semblent avoir compris. Nos droits ne nous seront pas retirés du jour au lendemain. C’est que les révoltes éclatent quand quelque chose ne passe pas. Non, ça arrivera petit à petit, dans la répétition et dans l’abêtissement des foules. Déjà, on s’habitue à tout.
L’œuvre prophétique d’Atwood nous montre précisément ce qui va suivre. On ne nous plonge pas dans l’eau brûlante. On nous laisse nous acclimater à l’eau qui bout.
J’en suis presque à souhaiter l’une de ces mauvaises nouvelles qui réveille un mort. Ça nous tirerait une fois pour toute du sommeil profond dans lequel nous sommes enlisés.
Pour l’instant, j’ai envie de vous dire que les nouvelles des journaux nous concernent. Les mauvais rêves ne sont pas aussi lointains que nous le croyons. Et la révolte devra venir de nous-mêmes.