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«On doit mener les mêmes batailles, mais aussi convaincre le monde qu’il y a bel et bien une invasion.»
J’ai vu Janette au théâtre et je n’en suis pas encore remise. Les époques se dépliaient devant moi, opaques et inconsolables, ils me bouleversaient de jalouser celles qui les ont habitées. Me surprendre à vouloir me liquéfier dans le siècle dernier m’a jeté dans une grisaille jusqu’au matin.
Fixée aux chaises rouges, on regardait, mon amie et moi, les femmes s’évader des tutelles. Je leur envie ces belligérances visibles, ces lois à changer, ces règles à déconfire. Elles pouvaient toucher leur ennemi. Aujourd’hui tout est à refaire, mais notre asservissement est plus discret.
On doit mener les mêmes batailles, mais aussi convaincre le monde qu’il y a bel et bien une invasion. Les inimitiés contre les femmes, sourdes mais tenaces, ont appris à ramper pour ne pas sonner l’alarme.
Il y a cependant une consolation. Ma colère contre une culture qui nous plonge dans un assoupissement léthargique, ma haine de ces millions de représentation du modèle domestique et de ce que doit être une femme, mon aversion pour l’amour qui requiert que je me fasse petite pour me faire aimer.
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Grâce aux livres et grâce à nos grands-mères, j’ai grandi à maudire ces apprentissages poussant les filles à tout attendre du prince charmant et croire que coucher avec le pouvoir nous en procure.
Janette a pris une vie à désapprendre que cette colère devait être diriger vers les autres et non envers soi. La culpabilité est le lot des femmes parce que la première règle du patriarcat est que nous sommes à blâmer pour tout.
En sortant du théâtre, la première chose que j’ai vu sur mon téléphone, c’est une insulte d’une inconnue dirigée à mon endroit. Un siècle a passé, et certaines femmes n’arrivent pas encore à comprendre que si nous apprenons à nous haïr, c’est que quelqu’un en tire profit.
Je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes les Janette invisibles qu’on a noyé dans l’eau de vaisselle. Et avant ce matin, j’ai négligé de reconnaître ce privilège que m’a accordé les Janette du siècle dernier, celui de regarder dans les yeux mon adversaire.