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Mon chum était persuadé que quelqu’un avait mis de quoi dans mon verre. Moi, je refusais d’y croire. Ça ne se pouvait pas. J’étais chez mon amie.
Depuis des semaines, des témoignages de femmes ayant été droguées à leur insu font la manchette. Mais on va être honnête, ça fait des années que ça dure.
Ce sujet revient sporadiquement dans les médias. Des filles sortent, vont dans des partys, fréquentent des bars, et se font mettre cette cochonnerie-là dans leur verre.
N’accepte jamais un verre d’un étranger.
Surveille ton drink.
Assure-toi de toujours garder un œil sur tes amies.
Ce sont des phrases qu’on se répète entre femmes depuis qu’on est en âge d’avoir du fun dans des lieux publics. Il y a même un mouvement. Ça s’appelle #balancetonbar. Vous irez voir. Ce sont des femmes qui racontent comment et dans quels établissements licenciés elles ont été empoisonnées, souvent avec la complicité du personnel. Le but? Que les filles évitent de fréquenter certains débits de boisson.
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On a fait la même chose pendant longtemps avec les agresseurs. Pas publiquement. C’était avant #MeToo. Entre filles, on se prévenait. Et même si on a fait du chemin avec le mouvement moi aussi, cette sororité secrète est encore bien vivante.
Méfie-toi d’un tel.
Ne te retrouve pas seul avec lui après les heures de bureau.
Tiens-toi loin quand il boit.
La responsabilité nous incombe de ne pas être agressée. Depuis toujours. C’est à nous de prendre les dispositions nécessaires pour ne pas être droguées ou violées. Ça fait partie du problème.
Mais j’enfonce une porte déjà ouverte. Tout le monde sait ça, je crois, qu’on ne dit pas assez aux agresseurs de ne pas agresser et trop aux femmes de se protéger d’eux par tous les moyens. Tellement que quand on se fait agresser, on se dit qu’il y a quelque chose qu’on a dû faire de pas correct.
Je n’aurais pas dû aller là.
Je n’aurais pas dû porter ça.
Je n’aurais pas dû agir de façon à ce qu’il croie que.
Une affaire qu’on dit moins cependant, c’est que les agressions se commettent souvent au sein d’un même cercle d’ami. Les inconduites sexuelles, droguer des femmes à leur insu, ça ne se passe pas juste dans les bars ou les partys avec 200 personnes. Pensez au «cliché» du violeur à la van blanche dans une ruelle qui attaque sa victime à la pointe d’un couteau dans le fond d’une ruelle. Ça se peut, bien sûr, mais la plupart du temps, l’agresseur, on le connaît très bien. On travaille avec lui, c’est notre ami, un membre de notre famille. On lui faisait confiance.
Je vais vous raconter une histoire. Une fois, il n’y a pas si longtemps de cela, je suis allée souper chez une amie. Une très bonne amie. On était plusieurs à table, et il y avait quelques personnes que je ne connaissais pas vraiment. Des amis de cette amie-là. Une très bonne amie, je le répète. À ce moment-là, je n’avais aucune raison de me méfier.
Alors on est dans son condo. Le condo de mon amie, je parle. La soirée se déroule rondement. Je bois une vodka soda en l’aidant à préparer la bouffe. Tout le monde est gentil. Tout le monde est drôle. On parle de nos jobs en se moquant un peu de notre milieu. Pour vrai, je passe vraiment un bon moment. Je ris avec les autres convives en attendant mon chum, qui doit arriver d’une seconde à l’autre.
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Il sonne à la porte au moment où on dépose le repas sur la table. J’ai faim, ça sent bon, et un des gars présents raconte une anecdote sur les gens qui entrent dans le métro sans payer. Puis c’est le noir total. Je ne me souviens plus de rien de cette soirée à partir de ce moment-là. Je vois le souper posé devant moi, c’est de la courge spaghetti, puis plus rien.
Le reste, c’est mon chum qui me l’a raconté. Il m’a dit s’être rendu compte que je n’allais pas bien du tout parce que j’ai soudainement voulu partir. Je déparlais, je titubais, et les gens étaient persuadés que j’avais beaucoup trop bu.
Sauf que mon amoureux savait, lui, que quelque chose n’allait pas. Il me connaît bien et avait vraiment l’intuition que je n’étais pas juste saoule.
Paraît que j’étais molle et complètement incohérente. Il m’a fait monter dans sa voiture et m’a reconduite chez moi. Par la suite, il m’a confié que ça l’avait vraiment inquiété de me voir comme ça parce que, je le cite, «on aurait pu me faire n’importe quoi sans que je puisse lever le petit doigt». J’étais vraiment dans un état de grande vulnérabilité.
Je ne me rappelle plus de m’être couchée ce soir-là. Quand je me suis réveillée, très tard le lendemain matin, j’ai vu mes vêtements éparpillés au sol. J’avais l’impression qu’un dix-roues m’avait roulé sur le corps et cette impression a perduré pendant des jours.
D’ailleurs, j’ai essayé pendant de longues heures de comprendre ce qui était arrivé. Mon chum était persuadé que quelqu’un avait mis de quoi dans mon verre. Moi, je refusais d’y croire. Ça ne se pouvait pas. Voyons, je n’étais pas dans un bar. J’étais dans un condo de Villeray.
J’étais chez mon amie.
Je connaissais quand même les gens.
Ces gars-là ne peuvent pas avoir fait ça.
Au bout d’un certain temps, j’ai dû m’avouer à moi-même que c’est quand même ça qui s’était passé. Puis j’ai commencé à recoller les morceaux et à me souvenir de petits détails. Ceux d’avant le souper parce que, je vous l’ai dit, j’ai perdu la carte après.
Je me suis souvenu d’un gars qui, tout à coup, s’était mis à vouloir me préparer mes verres. Et sa face m’est revenue. Sa face de déception quand il a vu mon chum arriver et qu’il a pris « sa » place à côté de moi à table. Ce gars-là, c’est lui qui a préparé le dernier verre dont je me souviens.
Pis ce n’était pas le dixième verre, même pas le cinquième, en fait. Je ne sais même pas pourquoi je le précise. Ou plutôt oui, je le sais très bien. C’est pour ne pas passer pour une soûlasse qui met son abus d’alcool sur le dos de la drogue du viol.
J’ai donc appelé mon amie pour lui dire ce qui, selon moi, s’était passé le soir du souper à son condo pour que je parte maganée de même.
Voyons, tu as trop bu.
Tu devais être fatiguée donc tu supportes moins bien l’alcool que d’habitude.
C’est mon bon ami, il n’aurait jamais fait ça.
Tu n’as pas de preuve.
As-tu pensé que tu avais peut-être un problème d’alcool ?
Ce soir-là, et je pourrais mettre la vie d’un de mes enfants en jeu tellement j’en suis certaine, j’ai été droguée.
J’ai été empoisonnée par l’ami de mon amie autour d’une courge spaghetti.
Et je n’ai jamais été crue.