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Économie
Chronique |

Je suis sous surveillance renforcée

La caisse libre-service est supervisée par Gisèle, une agente des services secrets de la GRC déguisée en madame commis avec un badge au logo de l’épicerie.

Depuis quelque temps, dans de nombreux magasins de commerce au détail, on voit apparaître les caisses libre-service. Une nouvelle tendance, issue du besoin de grande efficacité et de la saprée pénurie de personnel (raison universelle ici pour expliquer tout ce qui ne tourne pas rond dans le service à la clientèle).

Bien que je sois vieille école et que j’aime encore passer à la caisse où il y un humain avec un sourire variable qui scanne avec plus ou moins d’entrain mes items, je me rends compte que mon impatience légendaire me fait de plus en plus opter pour «la caisse libre-gestion-par-moi-même-du-scannage-de-mes-achats-à-la-vitesse-que-je-veux -sans-avoir-à-regarder-de-travers-le -petit-emballeur-qui-effoire-mon-pain-sous-une-canne-de-soupe». Reste que depuis quelques semaines, particulièrement à l’épicerie, mon activité de «je suis une caissière pendant 7 minutes» me rend atrocement nerveux.

Pas que je sois coupable de rien, mais j’ai l’impression que la caisse libre-service est supervisée par une agente des services secrets de la Gendarmerie royale déguisée en madame commis avec un badge au logo de l’épicerie où son nom de code est inscrit: Gisèle. Elle porte aussi une teinture fraîche, faite maison, pour ajouter du réalisme.

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Elle surveille mes moindres gestes! Je suis sous la loupe de l’inquisitrice-commis. Ça commence au moment où, en avant de la ligne de paniers, elle me fait signe de me diriger vers la caisse où le voyant vert clignote depuis un quart de seconde. Elle me signifie déjà que je retarde le groupe. Je sais très bien que son regard faussement bienveillant qui me suit jusqu’à ma caisse veut dire: je vois à travers toi et aucun de tes gestes ne va m’échapper!

Tout de suite mes aisselles se mouillent, mes mains sont pleines de pouces et mes bras sont dysfonctionnels. Je tente de passer le code barre sur le lecteur, mais ça ne marche pas! Je recommence encore et encore. Ça marche finalement au trentième essai. Je dépose l’article sur la tablette de droite.

La voix de l’ordinateur me dit: veuillez déposer votre article sur la tablette. Je l’ai fait!!! Je te jure que je l’ai fait madame Ordinateur!

Je sens que l’agente secrète-commis fait un pas vers moi pour vérifier si je ne suis pas en train de cacher une dinde dans mes bobettes. Je me raidis à son approche. Je ne suis pas coupable de rien, mais j’ai l’air coupable parce que je me raidis, mais je me raidis parce qu’elle approche et elle approche parce qu’elle voit que je me raidis et que j’ai l’air coupable. C’est le cercle vicieux de la tension du corps.

Finalement, celle-ci disparaît parce la Madame Ordinateur a cessé de me donner des ordres et que mes épaules ont descendues de cinquante pieds.

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Je mets mes articles tout croche dans mes sacs, parce que je me rends compte que je n’ai pas l’habileté d’un emballeur et surtout, je sens que l’agente secrète-commis me trouve pourri pour gérer des sacs en tissus mous qui ne veulent pas coopérer. Je sais aussi qu’elle est en train de se dire: comment un adulte comme lui peut être aussi mauvais pour mettre un casseau de framboises dans un sac en tissus mou.

Elle trouve ça louche. Elle se dit que c’est peut-être un manège pour attirer son attention sur moi pendant que ma complice, une dame de 93 ans à la caisse à côté de moi, dissimule des radis dans son béret. Butin qu’on se partagera dans le stationnement en riant de notre méfait et de la naïveté d’une agente secrète surentraînée. Mais j’ai plutôt envie me tourner vers elle, de l’affronter en lui criant: «Je ne suis en pas en train de voler ! Je suis juste un ti-coune pas capable de mettre des affaires dans un sac en tissus mou, calice!»

Il reste l’épreuve ultime. Comparable facilement au supplice de la goutte. Le moment où je prends mes sacs mous et je dois lui montrer ma facture avant de pouvoir sortir à l’air libre et retrouver ma liberté. Elle regarde ma facture, regarde mes sacs mous, me regarde, regarde mes sacs mous, regarde ma facture, me regarde, regarde mes sacs mous et me regarde. J’ai l’impression que ça dure six heures.

Finalement avec un beau sourire jovial, elle me dit: «Merci et bonne journée». Elle a l’air sincère. Mais je ne suis pas né de la dernière confrontation, je sais très bien que ça veut dire: ça va cette fois, mais je ne baisse pas ma garde et je t’ai à l’œil petit teint blond. JE TE SURVEILLE!

Il arrive parfois qu’après avoir mis mes sacs mous dans mon coffre de voiture, je doive m’asseoir au volant et respirer un peu dans un sac en papier brun. C’est pourquoi, dans le but de vivre le plus longtemps possible, j’ai recommencé à aller à la caisse avec un humain derrière un comptoir. J’aide à faire rouler les emplois et ça me dérange plus vraiment que l’ado effoire mon pain avec une canne de soupe. 

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