Passer au contenu principal
À voir:

Début du contenu principal.

Société
Chronique |

Ma grand-mère Thérèse ou le féminisme de tous les jours

«Féminisme de tous les jours» : des femmes qui ne font rien de spécial, mais qui, par ce qu’elles sont, nous montrent le chemin.

Chaque grand mouvement de société, chaque combat pour une minorité, chaque débat sur la place publique pour changer le monde et le rendre meilleur se fait grâce à des personnes qui vont donner de grands coups de barre, bouleverser l’ordre établi, à la fois par leurs actions et leurs discours. 

Ces gens qui repoussent les limites et entraînent dans leur sillage d’autres personnes qui vont propulser à leur tour cette même idéologie. Des gens dont on se souvient dans l’histoire avec un H majuscule parce qu’ils ont changé le monde… de la bonne façon. Et il y a d’autres personnes, plus discrètes, qui au jour le jour, sans trop faire de bruit, vont aussi changer les choses. À leur manière, sans trop sans rendre compte.

Ces personnes influencent aussi d’autres personnes autour d’elle. Un moins grand nombre, mais elles influencent pareil! Ma grand-mère Thérèse était de celles-là. Elle vient de nous quitter à 102 ans et 9 mois. Comme pour les enfants en bas âge, les mois sont importants dans la compilation en vieillissant! C’était ce que j’appelle une féministe de tous les jours. Une femme qui a sa façon, dans son quotidien, par ses petits gestes de la vie, montre aux plus jeunes, que la madame peut faire ben des affaires!

Infolettre
🤑 Jour de paye
Une infolettre pour vous aider à arrondir les fins de mois sans tracas.

Pour recevoir toutes les chroniques d'Alex Perron, abonnez-vous à l'infolettre de Noovo Info.

On est une famille de Port-au-Persil, un magnifique racoin de Charlevoix. La famille typique de la campagne, tissé très serrée, qui peut vider une truite dans le temps de le dire et étouffer un ours à mains nues!

Ma grand-mère a été veuve assez tôt dans sa vie. Elle s’est donc retrouvée avec 8 enfants sur les bras à s’occuper seule ou à peu près. Et elle l’a fait. Sans se plaindre, sans rechigner sur la maudite vie pas fine! D’une main ferme et solide entourée d’une catalogne douce faite au métier à tisser. On pourrait dire qu’elle n’avait pas le choix. C’est vrai. Mais en même temps, non.

Dans la vie, on a toujours le choix de s’effoirer sous la lourde tâche ou de foncer sans rien attendre en retour. C’est la route qu’elle a prise. Mes trois oncles et cinq tantes ont été à la bonne école de la vie. La sienne! Celles des bonnes valeurs, de l’importance de la famille, de faire abstraction de ce que les autres pensent, de faire son chemin. Particulièrement mes tantes, elles sont la suite logique de Thérèse. Des fonceuses, des femmes d’action qui ne se sont pas, elles non plus, effoirées sous la lourde tâche.

Sa maison, c’était son domaine. Une PME de tous les jours. La première levée le matin et pas mal la dernière, le soir, à se coucher. C’était elle le pivot central. Tu me diras que ça fait ben du sens parce que c’était l’époque. Ma grand-mère n’avait jamais l’air dépassée.

Ce genre de petit bout de femme qui pouvait t’écouter et te conseiller en même temps qu’elle faisait un pâté de beluets qu’elle venait tout juste de revenir de cueillir dans le champ au gros soleil. Bien sûr qu’on pouvait l’aider, mais sous sa supervision. Il y a une différence entre dire: je vais piler les patates et veux-tu que je pile les patates? Chez Thérèse, on optait pour le deuxième choix. Parce qu’elle avait le dernier mot.

À lire également

On l’écoutait quand elle parlait et donnait son avis sur quelque chose. À bien des niveaux, elle était notre phare de Cap-au-Saumon sur le fleuve Saint-Laurent de la vie. Le dimanche, quand tout le monde repartait chez eux dans la grande ville (le plus souvent Québec), c’était toujours le même rituel, ceux qui restent se mettaient près de la porte et ceux qui partaient faisaient l’accolade et donnaient deux gros becs avant de sortir à l’extérieur. Pas d’exception! Que tu sois de la famille ou le nouveau chum fraîchement débarqué.

Ensuite, ma grand-mère allait dans sa grande fenêtre du salon pour nous faire un dernier bye-bye pendant que la voiture sortait de l’entrée de la maison. Tous les rituels qui font de meilleurs humains, elle nous les a enseignés.

Thérèse est née en 1920. Elle a vu naître la télé et elle a eu le temps de me jaser par Facetime. Elle a à la fois mis ses patates dans son caveau et chialé au boucher du IGA parce que les os à moelle étaient chers. Mon homosexualité est passée comme du beurre dans la poêlonne avec elle.

Elle n’a pas toujours été d’accord avec nous, nos choix et nos chemins, mais elle a toujours respecté nos choix. Elle s’est adaptée. Parce qu’elle a toujours voulu rester près de nous. Nous épauler et nous supporter. En fait, adapter, ce n’est pas le bon mot. Elle a évolué. Elle a grandi au même rythme que le temps a avancé et que les choses de la vie se sont modifiées. Comme le dirait Fouki : elle a suivi le beat! Solidement, yo, madame Thérèse!

Je sais bien que tu lis tout ça et tu te dis, mais il n’y a rien de si extraordinaire dans tout ça. Ma grand-mère est comme ça aussi ! Ma mère, ma tante, ma cousine, est comme ça! Je suis comme ça! Et bien, c’est exactement ce que je veux dire par «féminisme de tous les jours».

Des femmes qui ne font rien de spécial, mais qui, par ce qu’elles sont, nous montrent le chemin. Et c’est aussi important que celles qui défoncent les plafonds de verres. Les deux sont d’une importance capitale. La suite des choses ne se fait pas, l’une sans l’autre.

Je te souhaite d’avoir ta Thérèse à toi!

La mienne est partie, mais elle m’a laissé un sapré beau coffre à outils.