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Un moment historique pour ce petit pays de 5 millions d’habitants, non aligné depuis plus de 75 ans. Il faut dire que la Finlande partage une frontière de plus de 1300 km avec la Russie, un voisin plutôt menaçant…
La Finlande a une histoire particulière : il s’agit d’un territoire qui appartenait d’abord à la Suède, qui a ensuite été cédé à l’URSS en 1809. En 1917, la Finlande déclarera finalement son indépendance. Mais ce qui cimentera véritablement son identité, ce sera la Guerre d’hiver, en 1939.
Quelques mois après le début de la 2e GM, l’URSS a envahi la Finlande. Et même si l’URSS avait environ quatre fois plus d’effectifs, la Finlande a résisté. Elle est restée indépendante, même si elle a perdu environ 10% de son territoire. Les Finlandais seront marqués à jamais par cette guerre… et c’est pour cette raison qu’ils s’identifient beaucoup aux Ukrainiens, selon le député Kimmo Kilijunen, membre du parti au pouvoir, le Parti social-démocrate (PSD), et chef de la délégation finlandaise au Conseil européen.
Photo : Le député et membre du parti au pouvoir, le Parti social-démocrate (PSD), et chef de la délégation finlandaise au Conseil européen, Kimmo Kilijunen. Crédit : Camille Laurin-Desjardins
Les Finlandais ont toujours été majoritairement contre une adhésion à l’OTAN, notamment parce qu’en tant que petit pays voisin de la Russie, ils ne voulaient pas se retrouver au cœur d’un conflit entre grosses puissances… Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, l’opinion publique a changé du tout au tout.
Au début de l’année 2022, environ 60% des Finlandais étaient contre l’adhésion de leur pays à l’OTAN. Mais en mars, déjà, environ 50% de la population était désormais en faveur d’une adhésion à l’alliance militaire. Et en mai, ce chiffre était rendu à 70%, comme le rappelle M. Kilijunen, qui a lui-même changé d’idée à ce sujet. En fait, il était tellement habité par le sujet qu’il a écrit un livre, en quelques semaines, pour se faire une tête.
Les quelques Finlandais que nous avons sondés à Helsinki, la capitale, et à Lappeenranta, une petite ville située près de la frontière avec la Russie, à environ deux heures de route de la capitale, étaient en effet plutôt en faveur d’une adhésion à l’OTAN.
«Moi et la plupart de mes pairs, pour ne pas dire tous, nous pensons que c'est une bonne idée», dit Linus, un jeune homme d’une vingtaine d’années assis sur un banc, au parc Esplanadi, plutôt bondé en ce dimanche du mois d’août.
«Ma génération, nous avons grandi avec cette histoire avec la Russie, mais nous ne l'avons jamais vécue, poursuit-il. C'est une sorte de rappel à la réalité, j'imagine.»
Oliver, rencontré un peu plus loin sur le trottoir, ne croyait pas que joindre l’OTAN était une bonne idée, avant la guerre en Ukraine. Mais il a depuis changé d’avis.
« Maintenant, c’est ce qu’il faut faire», assure-t-il.
Il affirme ne pas avoir peur d’une invasion imminente de la part de la Russie, notamment parce qu’elle est bien occupée avec l’Ukraine en ce moment… mais il croit que la situation en Europe est plutôt angoissante.
Photo : La capitale de la Finlande, Helsinki. Crédit : Camille Laurin-Desjardins.
«Nous ne sommes pas effrayés, nous sommes à l’affût», résume Antti Lindtman, chef du PSD au parlement finlandais.
«Je crois que quand la guerre a commencé, c'était un jeudi... Et le vendredi, j'ai dit à mes amis et collègues que ça nous mènerait à une adhésion à l'OTAN», se rappelle-t-il.
«En fait, le porte-parole numéro 1 de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, c’est M. Poutine ! s’exclame en riant Kimmo Kilijunen. Alors merci beaucoup, M. Poutine !»
«Il y a un «avant» le 24 février et un «après», poursuit M. Lindtman, qui est également président du conseil municipal de la Ville de Vantaa, à moins d’une demi-heure d’Helsinki.
«Nous avons dû repenser et maximiser notre sécurité», explique-t-il.
Kimmo Kilijunen, dont la femme est Russe, se rappelle très bien ce premier jour de la guerre en Ukraine.
«J’ai pleuré, raconte-t-il. J’étais assis dans le salon, et je pleurais.»
Si la Finlande a souhaité pendant aussi longtemps se tenir à l’écart de toute alliance militaire, ce n’est pas par haine ou par crainte de l’Occident, mais pas du tout, insiste Kimmo Kilijunen.
C’était plutôt pour s’assurer de ne pas se retrouver au cœur d’un conflit, explique-t-il.
«Nous ne pouvons pas changer la géographie. Nous avons une frontière de 1348 km avec la Russie, et elle va rester là. Alors si les grandes puissances entrent en conflit, et que nous faisons partie d’une de ces alliances, menées par une de ces grandes puissances mondiales, nous sommes au front, sur la première ligne.»
Et c’est d’ailleurs pour cette raison, notamment, que la députée Anna Kontula, membre du petit parti l’Alliance de gauche, a voté contre l’adhésion de son pays à l’OTAN. Elle a été l’une des rares à s’y opposer : le projet d’adhésion a été adopté le 17 mai dernier avec 95% des voix. Anna Kontula faisait partie des 8 députés à voter «non» (sur 196).
Photo : La député de l'Alliance de gauche Anna Kontula a voté contre l'adhésion de son pays à l'OTAN.
Elle croit surtout que les débats sur la question auraient dû se faire sur une plus longue période, et non à la hâte, en pleine tempête.
«Rejoindre l’OTAN veut aussi dire que nous faisons partie des conflits militaires et des tensions politiques internationales reliées à l’OTAN, dans un sens ou dans l’autre», confie-t-elle, lorsque nous la rencontrons à son chalet d’été, situé sur une petite île au large de Valkeakoski, à environ deux heures de route d’Helsinki.
Cela augmente également les risques d’attaques terroristes, selon elle, et ouvre la porte à une violation des droits humains, une sphère qui a pourtant toujours été très chère à la Finlande, note-t-elle.
«En Finlande, toutes les discussion autour de l’OTAN se basent sur l’Histoire, comme le dernier chapitre de l’occidentalisation de la Finlande. Mais c’est du futur que nous devrions parler. Quelle est cette organisation que nous joindrons ? Quel genre de membre de l’OTAN voulons-nous être ?»
«L’OTAN d’aujourd’hui n’est clairement pas le même qu’à l’époque de la Guerre froide, quand elle a été créée», ajoute-t-elle.
Et surtout, cette discussion concernant l’OTAN nous empêche de nous concentrer sur l’enjeu qui devrait être notre priorité, soit la crise environnementale, insiste Anna Kontula.
«Au lieu de se battre férocement pour la survie de notre planète et d’essayer de la sauver pour nos enfants et leurs enfants, de la garder habitable pour la race humaine, nous discutons de quelles armes vendre ou acheter et d’exercices militaires à organiser, déplore-t-elle. Le décompte environnemental est commencé depuis longtemps, et voilà ce qui va déterminer notre futur.»
Malgré ces quelques voix qui s’élèvent contre l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, il semble bien, selon toute vraisemblance, que le petit État scandinave joindra bel et bien l’alliance militaire, conjointement avec la Suède, au cours des prochains mois.
Selon plusieurs experts, cela pourrait prendre jusqu’à un an, avant que la Finlande soit un membre officiel de l’OTAN. En attendant, les Finlandais naviguent dans une «période grise», comme ils l’appellent.
Photo : La Finlande pourrait joindre l'OTAN au cours des prochains mois. Sur la photo, une rue d'Helsinki. Crédit : Camille Laurin-Desjardins.
Pour qu’un pays fasse officiellement partie de l’OTAN, tous les pays membres doivent ratifier son adhésion. La plus grande embûche à la ratification était jusqu’ici la Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan prétextant le refus de la Suède d’extrader des militants kurdes.
Le président turc réclame depuis plusieurs années l’extradition de ces militants et personnes proches du mouvement qui aurait fomenté la tentative de coup d’État en 2016.
Le 5 juillet dernier, lors du sommet de l’OTAN, à Madrid, la Turquie a finalement signé le protocole d’adhésion, tout comme les 29 autres pays membres. Un terrain d’entente aurait été trouvé, selon le président Erdogan, qui a évoqué une promesse concernant l’extradition de «73 terroristes».
«Nous espérons que cela soit officiel le plus tôt possible, évidemment», explique Antti Lindtman, qui souhaite que le processus sera bouclé d’ici la fin de l’année.
Avec la collaboration de Mari-Leena Kuosa
Ce reportage a été rendu possible grâce au financement du Fonds québécois en journalisme international.