«On était des garçons de 15 à 17 ans à l’époque. Les fusils étaient presque aussi grands que nous et les cartouches étaient lourdes», se rappelle-t-il.
Tapio Niemi n’était pas au front, vu son jeune âge, mais il surveillait les alentours, en bicyclette, pour repérer les allées et venues suspectes, près de Taipalsaari, un peu au Nord de la frontière russe. C’est dans ce même village que nous le rencontrons, près de 80 ans plus tard. L’homme de 95 ans nous accueille dans sa jolie maison dont le terrain est bordé de pommiers. Il y habite seul, avec le soutien de ses enfants qui viennent le visiter régulièrement.
Tapio Niemi pose en uniforme sur son terrain. | Crédits photo: Camille Laurin-Desjardins pour Noovo Info.
«J’avais le sentiment d’être important, d’aider la mère patrie, explique le vétéran, vêtu de son habit militaire et de ses distinctions. J’avais différentes tâches, bien sûr, mais nous devions nous occuper de ce problème de front intérieur d’une certaine manière. Je ne peux pas dire que je sois fier, mais j’avais le sentiment que moi, un jeune garçon, j’étais d’une certaine utilité pour le bien de la mère patrie.»
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Unto Hakuli, lui, avait 19 ans quand il s’est enrôlé. L’homme de 100 ans a ressorti ses photos et son journal de l’époque, pour être sûr de ne rien oublier, quand il nous accueille chez lui, à Lemi, un petit village près de Taipalsaari.
Unto Hakuli en uniforme est en train de feuilleter ses photos. | Crédits photo: Camille Laurin-Desjardins pour Noovo Info.
Un conflit qui ramène de lourds souvenirs
Tous les deux ont assisté en matinée à une cérémonie de commémoration pour les vétérans à Lappeenranta, tout près de la frontière avec la Russie. Et tous les deux ont bien des souvenirs qui remontent à la surface, depuis que leur voisin a envahi l’Ukraine.
Tapio Niemi et Unto Hakuli ont tous les deux participé à la Guerre de continuation, qui s’est déroulée de 1941 à 1944, et qui faisait suite à la Guerre d’hiver, pendant laquelle l’URSS a envahi la Finlande.
Et même si les effectifs des Soviétiques étaient quatre fois supérieurs à leurs voisins finlandais, le petit pays scandinave, indépendant seulement depuis 1917, s’est tenu debout. Il est resté indépendant, même s’il a perdu 10% de son territoire aux mains des Russes.
Une photo illustrant Tapio Niemi plus jeune. | Crédits photos: Camille Laurin-Desjardins pour Noovo Info.
En Finlande, on explique cette issue par la notion de «sisu», qu’on pourrait traduire par un mélange de détermination, de persévérance et d’entêtement.
«Tous les Finlandais étaient mobilisés et faisaient de leur mieux pour aider, se rappelle Unto Hakuli, dans sa chaise berçante. Les soldats et le personnel médical qui donnait les premiers soins étaient au front. Et les femmes qu'on appelait ‘’lottas’’ étaient au front pour aider les médecins et le personnel médical au poste de secours, au niveau du bataillon.»
«On ne laisse jamais un ami derrière.» Tel était le dicton.
«Au combat, quand un soldat était blessé et pris entre les deux lignes, on devait aller le chercher – sinon, il serait mort instantanément, explique Unto Hakuli. Il y avait toujours des volontaires pour le faire. Personne n'avait à donner d'ordre.»
Le vieil homme nous montre son journal de l’époque, et un petit livre de souvenirs. Sur la page couverture, il est vêtu d’un uniforme de fourrure. Il nous explique froidement que c’est l’uniforme d’un soldat russe, dont il a dû s’emparer parce qu’il avait trop froid, au front.
Une photo montrant Unto Hakuli plus jeune. | Crédits photo: Camille Laurin-Desjardins pour Noovo Info.
Tapio Niemi se rappelle d’un esprit communautaire très fort, lorsqu’il aidait ses pairs qui eux, se trouvaient au front.
«On dit que c’était l’esprit de la Guerre d’hiver, à l’époque, explique-t-il. On était tous comme une équipe. Personne n’était différent, nous appartenions tous à un même groupe. Et c’est ça, je pense, qui était important.»
Lorsque les bombes ont commencé à retentir en Ukraine, à la fin du mois de février, les deux vétérans n’en croyaient pas leurs yeux. Ils se désolaient (et se désolent toujours) de voir leur puissant voisin s’en prendre à un plus faible, comme il y a plus de 80 ans.
«Beaucoup de Finlandais se sentent concernés par ce qui se passe en Ukraine, relate Tapio Niemi. Ils sont dans la même position que la Finlande, à l’époque.»
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Son compatriote croit aussi que la guerre en Ukraine risque de finir de la même façon que celle qui a déchiré leur pays, il y a 80 ans: l’Ukraine risque de gagner, d’une certaine manière, mais de perdre beaucoup de territoire.
«Si nous ne nous étions pas battus contre l'URSS et que nous n'avions pas gagné, les meilleurs hommes de la Finlande feraient partie de l'armée russe, philosophe Unto Hakuli. Ils se battraient maintenant en Ukraine. On comprend combien notre indépendance est précieuse.»
Avec la collaboration de Mari-Leena Kuosa.
Ce reportage a été rendu possible grâce au financement du Fonds québécois en journalisme international.