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Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré avoir soulevé vendredi des inquiétudes auprès de son homologue polonais, Mateusz Morawiecki, lors d'une rencontre à Toronto, au sujet des informations selon lesquelles la démocratie et les droits des LGBTQ sont menacés en Pologne.
Cette visite s'inscrit dans le cadre d'une collaboration économique et militaire sans précédent entre les deux pays.
«J'ai certainement fait part de nos inquiétudes concernant certaines des informations provenant de Pologne concernant les droits des LGBTQ, la démocratie, et nous avons eu une conversation franche, comme cela doit être le cas», a déclaré M. Trudeau aux journalistes vendredi.
Ses commentaires interviennent dans un contexte d'inquiétude croissante concernant la liberté d'expression et les élections libres en raison des politiques adoptées par le gouvernement de M. Morawiecki.
Des reproches ont été adressés au gouvernement du Canada à propos de son silence sur ce qui est perçu comme le recul démocratique de la Pologne.
«Il y a trop de silence, et je pense que nous sommes à la limite en Pologne, d'après Marcin Gabrys, politologue à l'Université Jagellonne de Cracovie. Comment pouvez-vous avoir un engagement partagé envers la démocratie alors qu'il y a une menace claire pour le processus électoral polonais?'»
Le professeur Gabrys, qui se spécialise dans les études canadiennes, a déclaré que le Canada et la Pologne ont entrepris une collaboration sans précédent depuis que le parti au pouvoir, Droit et justice, connu localement sous le nom de PiS, a pris le pouvoir en 2015. Pourtant, le parti a un fort décalage avec les valeurs du gouvernement Trudeau, selon lui.
Par exemple, une nouvelle loi en Pologne créera une commission chargée d'enquêter sur les allégations d'ingérence russe dans le pays. Les universitaires et les groupes de défense des droits civiques affirment que le mandat est si vague que le panel composé principalement de députés du gouvernement sera utilisé pour attaquer les partis d'opposition.
«Cela menace, à coup sûr, non seulement le processus électoral, mais aussi la liberté académique, car la commission dispose de pouvoirs si étendus pour interroger les universitaires», selon l'analyse du professeur Gabrys.
Lundi, le département d'État américain s'est dit préoccupé par une nouvelle loi «qui pourrait être utilisée à mauvais escient pour interférer avec les élections libres et équitables en Pologne». Or, Marcin Gabrys a été surpris de constater que le même jour, M. Trudeau ait annoncé la visite du premier ministre Morawiecki en louant «un engagement partagé envers l'OTAN et la démocratie».
Mardi, un député polonais du parti d'extrême droite de la Confédération a empêché le professeur Jan Grabowski, de l'Université d'Ottawa, de donner une conférence à Varsovie qui aurait abordé la complicité polonaise dans les crimes pendant l'Holocauste. Ce sujet est un point sensible pour le PiS qui, en 2018, a interdit des déclarations selon lesquelles certains Polonais étaient complices de crimes de guerre nazis.
Par ailleurs, il y a deux ans, le gouvernement Morawiecki a annoncé qu'il limitait les avortements aux cas où une grossesse résultait d'un acte criminel ou posait un risque grave pour la santé. Le parti a qualifié les droits des communautés LGBTQ d'attaque contre la famille et les enfants et a fermé les yeux sur les municipalités et les régions qui se sont déclarées «zones sans LGBTQ».
Marcin Gabrys croit que «pour le Canada, les intérêts économiques et les intérêts de sécurité sont souvent plus importants. Et parfois, cela signifie qu'Ottawa s'est abstenu de dire ce qu'il devait dire.»
Le Canada et la Pologne ont intensifié leur collaboration militaire depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2014. Ce sujet occupait d'ailleurs une place importante dans l'ordre du jour officiel des discussions de M. Trudeau à propos de la visite de Mateusz Morawiecki.
La Pologne a été parmi les pays européens les plus fermes en exhortant les alliés militaires à fournir de l'équipement à l'Ukraine. Cela s'explique, selon Marcin Gabrys, par la conviction qu'une Russie victorieuse se sentirait enhardie pour cibler ensuite la Pologne et les trois pays baltes.
Le professeur Gabrys signale qu'il est possible que la Pologne fasse une demande pour que les Canadiens entraînent des soldats européens dans des équipements spécialisés ou dans des conditions hivernales, ou pour stationner plus de soldats canadiens dans la région. Il s'attend à ce que le premier ministre Morawiecki félicite le Canada d'avoir accueilli des Ukrainiens qui ont fui en Pologne l'an dernier et d'avoir financé des projets pour aider à intégrer ceux qui restent en Pologne.
Le commerce entre le Canada et la Pologne est en plein essor; il a progressé de 52 % au cours des cinq années ayant suivi l'entrée en vigueur de l'accord commercial entre le Canada et l'Union européenne (UE), même si Varsovie n'a pas entièrement ratifié l'accord.
La Pologne s'est remise plus rapidement de la récession mondiale de 2008, de la crise de la dette européenne et de la pandémie de COVID-19 que bien d'autres pays. Elle se tourne vers le Canada pour son savoir-faire dans la technologie de capture du carbone et le domaine nucléaire naissant des petits réacteurs modulaires.
Selon Marcin Gabrys, son pays semble ouvert à l'hydrogène, à l'uranium et au gaz naturel liquéfié canadiens et la Pologne tente de devenir une plaque tournante pour les usines de batteries de véhicules électriques.
Il note aussi que l'ambassadeur de Pologne au Canada, Witold Dzielski, est proche de la direction du PiS et a une meilleure compréhension du Canada que la plupart des ambassadeurs. Cela a conduit à une série de visites sans précédent, comme celle du ministre polonais de la Santé, Adam Niedzielski, qui est venu au Canada en mars pour faire le point sur le soutien médical aux Ukrainiens et pour examiner une éventuelle collaboration dans les sciences de la vie.
Le professeur Gabrys voit un nouveau chapitre, une nouvelle énergie dans les relations entre la Pologne et le Canada.