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Économie

Menace de tarifs: Trudeau plaide pour le libre-échange interprovincial au Canada

Le spectre des tarifs douaniers que menace d’imposer Donald Trump sur les importations canadiennes plane toujours.

Émilie Bergeron
Émilie Bergeron / La Presse canadienne

Le premier ministre Justin Trudeau a envoyé le message vendredi que les astres sont alignés pour que le libre-échange entre les provinces et territoires du Canada devienne vraiment une réalité après des décennies de discussions sur le sujet. 

Son plaidoyer pour faire tomber les «barrières à notre commerce interne d’un bout à l’autre de ce pays», livré devant environ 200 gens d'affaires et représentants syndicaux réunis à Toronto, a ensuite été secondé par de multiples intervenants qui se sont présentés devant les journalistes, comme l'ex-première ministre de l'Alberta Rachel Notley.

Selon M. Trudeau, le contexte actuel - où le président américain Donald Trump maintient sa menace de tarifs douaniers - crée une conjoncture idéale pour passer à l'acte.

«C'est un de ces moments et occasions où nous pouvons le faire. Il y a une fenêtre ouverte en raison du contexte dans lequel nous nous trouvons. Nous devons nous lancer.»
- Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Les premiers ministres des provinces et territoires n'étaient pas présents pour l'événement de quelques heures dans la Ville Reine, appelé par le gouvernement fédéral le «sommet économique Canada–États-Unis».

Toutefois, des entrepreneurs, anciens premiers ministres provinciaux et représentants de différents milieux de travail issus de partout au Canada y étaient et ont appuyé le message de M. Trudeau.

«Il y a un consensus général auquel le pays est arrivé», a dit le sénateur Hassan Yussuff, l'un des membres du Conseil sur les relations canado-américaines qui avait organisé la réunion de travail de vendredi.

Ce conseil rassemble des intervenants externes chargés de fournir leur avis au gouvernement de Justin Trudeau, comme Mme Notley et l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest. Ce dernier n'était pas présent à Toronto vendredi.

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Mme Notley estime qu'il y a «un engagement renouvelé à laisser tomber une partie de ce qui est, peut-être, des raisons historiques» expliquant des règles qui concernent, par exemple, le transport interprovincial d'alcool.

L'ancienne première ministre, qui fait aussi partie du groupe de sages conseillant Ottawa, s'attend à voir une réduction «substantielle et mesurable de ces barrières».

«Parce que c'est le temps pour nous, au Canada, d'être capables de travailler ensemble d'Est en Ouest plutôt que de devenir vulnérable (étant donné) notre positionnement Nord-Sud par défaut», a-t-elle tranché.

Le bureau de premier ministre Trudeau a multiplié les efforts pour contrôler, tout au long de l'événement, à qui les journalistes parlaient. Les mêlées de presse ne se déroulaient pas, pour la vaste majorité, de façon impromptue, mais selon un format bien établi limitant le nombre de questions posées et où l'équipe de M. Trudeau sélectionnait des intervenants en particulier pour qu'ils aillent s'adresser aux représentants de la presse.

La liste complète des quelque 200 participants au «sommet» n'a jamais été partagée. Selon une liste parcellaire communiquée une fois que l'événement était terminé, La Presse Canadienne a pu constater que des représentants de Rio Tinto Alcan, d'Air Canada et de Bell ont répondu «présent» à ce qui se voulait un brassage d'idées devant mener à des actions concrètes.

Réduire de plus de moitié des restrictions fédérales

Il existe déjà un Accord de libre-échange canadien, mais celui-ci prévoit plusieurs exemptions et M. Trudeau veut s'attaquer à «la bureaucratie».

Sa ministre du Commerce intérieur, Anita Anand, a spécifié qu'elle veut réduire de plus de moitié le nombre d'exemptions fédérales, qu'elle chiffre à 39. Elle a précisé que cela inclurait d'enlever des «barrières commerciales en ce qui concerne les services financiers et l'approvisionnement».

«Qu'est-ce que je veux dire par cela? En ce moment, le gouvernement fédéral a des règlements dupliqués pour les services financiers et les assurances et les provinces ont leur propre compétence et réglementation à ce niveau. Nous voulons éliminer la paperasserie fédérale.»

Isabelle Hudon, présidente de la Banque de développement du Canada et ex-diplomate, est allée plus loin en affirmant qu'«il n’y a rien comme une menace et une crise pour rendre l’impossible possible».

«Je suis très optimiste. (...) Quand on est obligé de bouger et faire les choses différemment, on le fait.»

Un autre membre du Conseil sur les relations canado-américaines, Flavio Volpe, a nuancé que les liens du Canada d'Est en Ouest ne seront jamais à la hauteur des échanges avec les États-Unis. Celui qui préside l’Association des manufacturiers de pièces automobiles mise aussi sur des gains en productivité.

«En produits manufacturés, la meilleure offre d'affaires est toujours Nord-Sud, mais si nous pouvons dévier ce 5 %, ce 2 % ou 10 %, si nous pouvons inspirer les leaders en technologie à travailler avec les gens de l'agriculture, alors nous pouvons obtenir une victoire découlant de nos efforts», juge-t-il.

«Les mentalités changent» sur les pipelines

Plus tôt cette semaine, la ministre Anand a laissé entendre qu'un réel libre-échange pancanadien pourrait survenir aussitôt que d'ici 30 jours.

Cette période d'un mois correspond au sursis sur lequel se sont entendus, lundi, MM. Trump et Trudeau pour repousser - voire éviter - la possible entrée en vigueur de la surtaxe américaine de 25 % sur les importations canadiennes. Les tarifs s'élèveraient à 10 % en matière d'énergie.

D'ailleurs, le ministre de l'Innovation, François-Philippe Champagne, estime que la conversation pancanadienne sur le transport de pétrole, de gaz et d'électricité a évolué dans le contexte actuel d'«électrochoc».

«Le monde change, les mentalités changent. Ce que les Canadiens et les Québécois ont découvert aussi, c'est que les règles du jeu ont changé. Alors le pire, ce serait de vivre dans le passé alors qu'il faut regarder dans l'avenir», a-t-il dit après qu'une journaliste lui eut rappelé l'absence de consensus populaire au Québec, il y a quelques années, entourant le projet d'oléoduc pétrolier Énergie Est.

Le premier ministre québécois François Legault a ouvert la porte, jeudi, à ce que son gouvernement approuve des projets de pipeline et de terminal gazier s’ils sont acceptés socialement.

Québec avait refusé le projet de terminal à Saguenay, mais en raison de la menace de l’administration Trump, M. Legault ainsi que certains de ses ministres sont maintenant prêts à réévaluer les projets qui permettraient de désenclaver les hydrocarbures de l’Alberta pour les exporter en Europe notamment.

M. Legault a fait référence à Énergie Est, mais aussi GNL-Québec, un projet de transport de gaz.

Le premier ministre du Québec s'est également dit en faveur, au cours d'une récente déclaration au Salon rouge, de «travailler à un vrai libre-échange entre les provinces canadiennes».

Aux yeux de Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, «tout doit être repensé», y compris en matière d'oléoducs.

«Nous avons des valeurs au Québec et au Canada et ces valeurs ont fait les sociétés dans lesquelles nous évoluons, mais en même temps, on ne peut pas ignorer que le monde autour de nous est en train de changer, a-t-il dit vendredi. Et si on imagine qu'on est seuls sur une île, eh bien on va se retrouver seuls et malheureusement affaiblis.»

Les participants au «sommet» étaient, pour la vaste majorité, des Canadiens, mais une Américaine qui s'est entretenue avec les médias, Beth Burke, a soutenu que le milieu des affaires est «très conscient» que les économies canadienne et américaine sont «interconnectées».

«Notre main-d'œuvre l'est. (...) Je pense que l'Américain moyen réalise rapidement à quel point c'est important», croit celle qui dirige l'association commerciale Canadian American Business Council.

Le sénateur Yussuff est d'avis que les premiers ministres provinciaux actuels n'avaient pas besoin d'être sur place vendredi, relevant qu'ils font partie de la discussion générale sur la réponse du Canada face aux menaces de M. Trump.

Le Conseil de la fédération, qui réunit les premiers ministres des provinces et territoires, doit se rendre en mission à Washington la semaine prochaine.

Émilie Bergeron
Émilie Bergeron / La Presse canadienne