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La «prochaine grosse gestion de crise» aura probablement lieu dans le secteur agricole, qui doit affronter plusieurs vents contraires, craint le grand patron du Mouvement Desjardins, Guy Cormier.
«Là, on a les yeux sur le secteur manufacturier, mais le monde agricole, c'est déjà un monde entrepreneurial qui est fortement sous pression», souligne M. Cormier en entrevue avant l’assemblée annuelle de la coopérative financière qui a lieu samedi à Québec.
Desjardins accompagne 22 000 entreprises agricoles, dont la grande majorité est au Québec. Cela représenterait plus d’un producteur sur deux au Québec, selon les informations fournies par la coopérative après l’entretien.
M. Cormier se dit bien conscient des difficultés des agriculteurs. Ils subissent les conséquences des changements climatiques. Ils doivent aussi composer avec la volatilité des prix des denrées, la pénurie de main-d’œuvre, le coût des assurances et la difficulté à trouver de la relève, énumère-t-il.
«Le secteur agricole est déjà beaucoup sous pression, avec des marges très minimes et beaucoup de vulnérabilité sur plusieurs facteurs sur lesquels ils n'ont pas de contrôle», constate-t-il.
Les déclarations du président américain, Donald Trump, qui est même allé jusqu'à laisser planer la menace de droits de douane de 250 % sur les produits agricoles canadiens, et la crainte que le système canadien de gestion de l’offre serve de monnaie d’échange lors d’une possible renégociation de l’accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique ajoutent d’autres nuages à l’horizon. «Ça amène de l'incertitude, déplore M. Cormier. Ça amène des préoccupations.»
Le système canadien de gestion de l’offre pour les produits laitiers, la volaille et les œufs a été établi à partir des années 1970 après une période de volatilité des prix. Il fonctionne en fixant des quotas de production pour les agriculteurs, en garantissant des prix minimums et en maintenant des contrôles à l’importation.
La guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis aura des conséquences sur l’économie québécoise, anticipe M. Cormier. «Si on avait des tarifs autour de 10 %, avec la baisse du dollar canadien, ça pourrait éponger un peu l'impact des tarifs. On pense que l'économie, oui, ralentirait, mais pourrait éviter une récession.»
«Si on est avec des tarifs de 25 % et des contre-tarifs, il est clair à nos yeux, chez Desjardins, que l'économie canadienne va être en récession au deuxième semestre de 2025, puis un retour graduel en 2026», ajoute-t-il.
Desjardins s'est préparé dès l’élection du président Trump en novembre à la possibilité d’une guerre commerciale. La coopérative estime qu’entre 40 000 et 45 000 de ses entreprises clientes, soit environ 10 % de ses 420 000 clients d’affaires, étaient à risque.
Toutes les entreprises identifiées comme étant à risque ont été contactées par les professionnels de l’institution, rapporte M. Cormier. «Beaucoup de ces entreprises-là sont prêtes, juge-t-il. Elles ont eu le temps de voir venir. On a pu mettre des mesures parfois pour protéger leurs liquidités, travailler sur des programmes gouvernementaux.»
Six ans après le vol massif de données chez Desjardins, qui a fait 9,7 millions de victimes, les gouvernements ont encore du travail à faire pour développer une identité numérique, croit M. Cormier. «Je pense qu'on peut faire mieux.»
«Ce n’est pas normal, en 2025, que pour ouvrir un compte dans une institution financière, ça te prend ta carte de numéro d'assurance sociale, ton permis de conduire. Ce n’est pas des pièces d'identité qui ont été faites pour ça.»
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M. Cormier avait plaidé en faveur d’une identité numérique après le vol des données chez Desjardins. Ce système d’identification pourrait rendre plus difficiles les fraudes financières, selon lui.
Si le dossier ne chemine pas aussi vite qu’il aimerait, il constate que la volonté politique demeure. «On continue d'être sur des tables de discussion, autant fédérales ou provinciales. On continue de faire avancer ce dossier-là. On partage notre expertise.»
Le Mouvement Desjardins a tiré des leçons de cet épisode difficile. La coopérative investit entre 300 millions $ et 350 millions $ annuellement pour la cybersécurité.
«Je ne remercierai jamais assez nos membres et nos clients de nous avoir fait confiance, insiste le dirigeant. La confiance des membres et clients, elle s'est maintenue malgré ce malheureux incident.»
L’assemblée du Mouvement Desjardins, samedi, est la dernière de M. Cormier en tant que président et chef de la direction, poste qu'il occupe depuis 2016. Son successeur sera nommé d’ici un an.
À 56 ans, il n’a pas l’intention de prendre sa retraite. «Quand mes enfants entendent ce mot-là, ils partent à rire», raconte-t-il.
L’homme d’affaires, qui a commencé sa carrière comme caissier en 1992, a passé toute sa vie professionnelle au sein de la coopérative.
Il ne sait pas encore de quoi sera faite sa vie à l’extérieur des murs du Mouvement Desjardins. «Ça fait cliché, mais je veux essayer de voir comment je peux continuer de contribuer à la société. Ça peut être les gens, les entrepreneurs, ça peut être des défis, des politiques publiques, mais ce n'est pas clair dans ma tête.»
«Je me force même à ne pas tout de suite m'engager dans une chose ou une autre, enchaîne-t-il. Je veux vraiment prendre un moment de recul. J’ai travaillé toute ma vie chez Desjardins.»