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Le président du conseil d’administration de Bombardier, Pierre Beaudoin, a défendu la décision de son entreprise qui est à la source du litige.
C’est en brandissant un document de 2012 que l’avocat de la firme aéronautique Cormer, Me Alexander De Zordo, a déclaré avoir en main le «smoking gun», soit une preuve irréfutable, que Bombardier avait floué son client en toute connaissance de cause en interrompant la production de l’appareil Learjet 85 en janvier 2015 pour finalement abandonner complètement la production de l’appareil dix mois plus tard.
Le président du conseil d’administration de Bombardier, Pierre Beaudoin, était alors dans le box des témoins, devant la Cour supérieure, mardi, pour défendre la décision de son entreprise de laisser tomber l’appareil de luxe, qui devait se détailler aux environs de 17 millions $.
Bombardier avait construit une usine à Querétaro, au Mexique, en 2010, pour y fabriquer le fuselage de l’appareil et Cormer avait obtenu de l’avionneur québécois un contrat pour lui fournir des composantes. Bombardier avait exigé de la firme aéronautique de Winnipeg qu’elle se construise elle aussi une usine à Querétaro et Cormer avait inauguré son usine le 14 janvier 2015 de l’autre côté de la rue de celle de Bombardier. Les employés de l'usine de Bombardier avaient participé à l'inauguration, mais dès le lendemain, le 15 janvier 2015, Bombardier annonçait la «mise sur pause» du projet d'avion de luxe puis, en octobre 2015, mettait définitivement le projet au rancart, abandonnant du même coup ses fournisseurs.
Cormer réclame 12,4 millions $ avec intérêts de Bombardier en compensation et un autre fournisseur, AviaComp, en réclame 4,2 millions avec intérêts. Dans ce dernier cas, la firme française avait déjà fabriqué des pièces pour l’appareil.
Pierre Beaudoin a expliqué que l’idée de mettre le projet sur pause avait été présentée pour la première fois au conseil d’administration en octobre 2014. Il était alors président exécutif du conseil et président et chef de la direction de Bombardier. La recommandation finale avait été présentée le 14 janvier 2015 et annoncée le lendemain.
La décision d’abandonner le projet avait coûté 2,6 milliards $ US à la multinationale québécoise, qui y engloutissait entre 300 et 400 millions $ par année depuis son lancement en 2007. Pierre Beaudoin a reconnu que l’entreprise avait mal évalué le marché de ce type d’appareil, s’attendant à un redressement qui n’était jamais venu après un effondrement en marge de la crise économique de 2008.
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«C’était connu dans l’industrie. Ce n’était pas un secret que la catégorie des "light airplanes" (dont faisait partie le Learjet 85) était en difficulté», a-t-il expliqué. Mais les analystes de Bombardier ont mis beaucoup de temps avant d’admettre qu’ils s’étaient montrés exagérément optimistes.
Jusqu’en octobre 2014, dans une entrevue accordée aux analystes et journalistes spécialisés, il avait écarté la possibilité d’abandonner le Learjet 85, tout en ajoutant: «Je ne peux pas dire que la demande est aussi forte qu’elle l’était.». Presque au même moment, la direction des avions d’affaires demandait au conseil d’administration de considérer la possibilité de mettre le projet sur pause.
Dans un contre-interrogatoire musclé, Me De Zordo a confronté Pierre Beaudoin à un document d’orientation stratégique de la division des avions d’affaires de Bombardier, préparé en 2012, dans lequel on faisait état de plusieurs scénarios pour cet appareil. Ce document, préparé près de deux ans avant la construction de l’usine de Cormer, présentait plusieurs scénarios, dont ceux de retarder la production du Learjet 85 ou encore d’annuler complètement le projet.
Déjà, le lancement de l’appareil prévu pour 2013 était destiné à être retardé et, en bout de piste, une version réduite de l’avion aurait finalement été mise en service en 2017 et la production de la version plus chère était prévue pour 2020.
Jusqu’à la fin de 2014, Bombardier a continué d’injecter des centaines de millions de dollars à perte dans le projet, trahissant ainsi son optimisme envers un marché qui, même en 2022, n’a jamais repris son envol: «Si on met ce genre d’argent, ça veut dire qu’on est convaincus.»
Qu’à cela ne tienne, Me De Zordo a invoqué d’autres documents datant de 2013 et de 2014 où les scénarios de suspension ou d’abandon du projet étaient présents. Plusieurs de ces documents internes, dont Pierre Beaudoin a dit ne pas avoir pris connaissance, faisaient état de nombreux problèmes techniques en cours de développement. L’avocat a cherché à faire dire au témoin que ces problèmes, combinés aux pressions financières majeures que s’était imposées Bombardier en développant parallèlement deux autres avions, le Global 7000 et la CSeries, étaient autant de signaux d’alarme clairs que le projet était voué à l’échec et que Bombardier le savait.
Pierre Beaudoin a fait valoir à plusieurs reprises que le développement d’un avion neuf présentait toujours des difficultés techniques étant donné la complexité d’un tel projet. Il a aussi soutenu que Bombardier avait la capacité financière pour soutenir les trois projets en même temps.
Il a répété de nombreuses fois que la décision d’abandonner le Lear 85 était strictement liée à l’absence de demande: «Si on avait vu un marché potentiel pour le Lear 85, on l’aurait complété», a-t-il martelé.
L’actuel président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, doit venir témoigner mercredi. Il était président de la division d’avions d’affaires au moment où l’entreprise a mis fin au projet Learjet 85. Il avait quitté Bombardier pour devenir président-directeur général d’Hydro-Québec en 2015 avant de revenir diriger la multinationale québécoise en 2020.