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Les familles se demandent si leurs enfants étaient bel et bien dans les cercueils qui leur ont été remis à l'époque.
Depuis plus de 50 ans, deux familles innues sont hantées par la question de savoir si leurs enfants sont réellement décédés dans un hôpital québécois et si les cercueils qu'on leur a remis contenaient vraiment la dépouille de leur enfant.
Les deux bébés garçons sont décédés à quelques jours d'intervalle en mai 1970 dans le même hôpital de Baie-Comeau. Dans les deux cas, les familles avaient reçu l'instruction de ne pas ouvrir les cercueils après avoir appris que leurs enfants étaient décédés.
Ces cercueils doivent maintenant être ouverts pour la première fois après que la juge Nancy Bonsaint de la Cour supérieure du Québec a autorisé la semaine dernière l'exhumation des restes pour des tests ADN.
La directrice d'une association québécoise qui appuie les familles autochtones dans la recherche de réponses sur les enfants morts ou disparus a déclaré que la décision aidera les familles à découvrir la vérité.
«Les familles ne sont pas sûres que c'est leur enfant, parce qu'elles n'ont jamais vu l'enfant enterré, a déclaré Françoise Ruperthouse d'Awacak en entrevue jeudi. Quand elles ont reçu le cercueil, il leur a été interdit de regarder à l'intérieur.»
Mme Ruperthouse a souligné que la décision de la juge signifie que les familles ont été entendues et bien qu'elles soient satisfaites du résultat, les familles ne savent pas quelles réponses les exhumations apporteront et estiment qu'il reste encore du travail à faire.
«On ne peut pas arrêter du jour au lendemain, a-t-elle déclaré. Elles veulent savoir la vérité, donc on travaille jusqu'à tant qu'elles connaissent la vérité.»
Les exhumations sont les premières autorisées en vertu d'une loi québécoise de 2021 visant à aider les familles autochtones à en savoir plus sur les décès et les disparitions de leurs enfants dans les établissements de santé et de services sociaux du Québec. L'identité des garçons et de leurs familles est protégée par une interdiction de publication.
L'un avait quatre mois quand il est mort. Il a été admis à l'hôpital pour une coqueluche le 14 mai 1970 et est décédé 13 jours plus tard. Son corps a été réclamé par un entrepreneur de pompes funèbres qui a dit à la famille de ne pas ouvrir le cercueil avant l'enterrement. Selon la demande d'exhumation, le rapport du coroner sur la mort du garçon est incomplet et les dossiers médicaux sont inexistants.
Une déclaration sous serment de l'une des sœurs du garçon, qui a fait la demande d'exhumation avec ses frères et sœurs, souligne que la mort de l'enfant et les questions qui l'entouraient hantaient sa mère, décédée en janvier 2021.
«Elle s'en est voulu de ne pas avoir accompagné son enfant à l'hôpital, de ne pas avoir été auprès de lui lorsqu'il est décédé. Elle se sentait tellement coupable d'avoir laissé son enfant, indique la déclaration. Toute sa vie, ma mère a été submergée par le sentiment de ne pas avoir agi. Elle a été rongée par la honte et la culpabilité et de perpétuels questionnements l'ont hantée.»
La sœur a confié qu'elle gardait l'espoir que son frère puisse encore être en vie, mais qu'elle se retrouvait avec de nombreuses questions.
«Pourquoi ma mère n'a-t-elle pas pu l'accompagner à l'hôpital, pourquoi le médecin et l'entreprise funéraire ne lui ont-ils pas laissé voir son corps, pourquoi les documents médicaux entourant son décès sont-ils incomplets, voire inexistants, pourquoi ma mère a-t-elle dû souffrir toutes ces années puisqu'elle et son fils ont été traités différemment en raison du fait qu'ils étaient autochtones?» s'interroge la sœur dans la déclaration.
L'autre garçon avait un mois lorsqu'il a contracté la coqueluche. Il a été hospitalisé le 6 mai et est mort deux jours plus tard à l'Hôtel-Dieu de Hauterive. La famille a reçu un cercueil ce jour-là et un médecin lui a donné l'instruction de ne pas l'ouvrir. L'enterrement a eu lieu le lendemain et les documents judiciaires indiquent que les dossiers médicaux du garçon n'existent plus.
Le gouvernement du Québec paiera pour les deux exhumations et le Bureau du coroner du Québec effectuera des tests ADN sur les restes.
Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, a déclaré que la décision était un signe que la loi de la province fonctionne, et bien qu'il en soit fier, il a ajouté qu'il est «horrible» que plus de 80 familles cherchent encore des informations sur plus de 150 enfants.
«Dans ce cas particulier, quand on parle des exhumations, c'est un pas en avant, a-t-il déclaré dans une entrevue jeudi. Nous ne sommes même pas sûrs de trouver la réponse, c'est un pas en avant dans la recherche de la vérité.»
La province dispose d'une équipe de médecins et d'infirmières qui recherchent les dossiers médicaux et apportent des explications aux familles, a-t-il dit, mais la recherche s'est maintenant étendue pour inclure d'autres types d'informations.
Parfois, le processus a conduit à des réponses difficiles, souligne-t-il. La première famille à recevoir des informations dans le cadre de la loi de 2021 l'a invité à être là lorsqu'elle a reçu la confirmation du décès de son enfant.
«C'était gratifiant parce qu'ils cherchaient ces informations depuis 40 ans», a dit M. Lafrenière, tout en ajoutant qu'«en tant que père de deux enfants, mon cœur était brisé».
Mme Ruperthouse a déclaré que depuis l'adoption de la loi québécoise, les familles ont réussi à obtenir plus d'informations et certaines, dont les corps des enfants n'ont pas été restitués, ont découvert où leurs enfants ont été enterrés.
Par contre, le nombre d'enfants concernés a augmenté. Il y a trois ans, dit-elle, Awacak cherchait des informations sur 25 enfants, et leurs recherches portent maintenant sur 148 enfants.
«C'est beaucoup de douleur et de tristesse et pendant de nombreuses années, ces parents ont souffert en silence», a-t-elle déclaré.