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Cet homme a été détenu par les talibans pendant 77 jours. Voici ce qu'il a vécu

Ancien soldat d'élite, David Lavery affirme que ce n'est que lorsqu'il a été emprisonné par les talibans qu'il a connu «la vraie peur».

David «Canadian Dave» Lavery pose pour une photo à Kaboul, en Afghanistan.
David «Canadian Dave» Lavery pose pour une photo à Kaboul, en Afghanistan.
/ CTV News

Ancien soldat d'élite de l'armée canadienne, David Lavery a été formé pour rester calme face au danger. Au cours de sa carrière, il a sauté d'un hélicoptère, affronté des terroristes et survécu à des attentats suicides.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

Mais ce n'est que lorsqu'il a été emprisonné par les talibans que David Lavery, âgé de 64 ans, dit avoir connu la vraie peur.

«C'est à ce moment-là que beaucoup de choses ont changé. C'est à ce moment-là que vous savez que votre liberté a disparu. C'est à ce moment-là que vous savez que vous êtes maintenant captif de ces individus qui essaieront de vous soutirer tout ce qu'ils peuvent», a confié M. Lavery lors d'une entrevue accordée à CTV News.

Avant d'être libéré à la fin du mois de janvier, M. Lavery a passé 77 jours sous la garde des talibans. Ils le soupçonnaient d'être un espion.

Il a passé environ un mois de sa détention en isolement dans une cellule du sous-sol tachée de «sueur et de fluides humains» des prisonniers qui l'ont précédé.

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Arrestation le jour du Souvenir

Le 11 novembre 2024, M. Lavery a atterri à l'aéroport de Kaboul dans le cadre de sa dernière mission pour le Veterans Transition Network (VTN), qui consistait à aider les Afghans ayant des liens avec les forces armées canadiennes à se mettre à l'abri.

Il transportait les documents de visa et d'immigration de 18 personnes appartenant à deux familles.

Après avoir passé la douane au terminal VIP de l'aéroport, il a été suivi par deux hommes qui l'ont menotté et lui ont bandé les yeux, avant de le conduire vers un lieu inconnu.

«On est entraîné à se libérer si on le peut et à s'enfuir, mais il est impossible de le faire dans cette situation - alors on succombe», a expliqué M. Lavery depuis Dubaï, dans les Émirats arabes unis, où il se rétablit actuellement après avoir été libéré.

Lavery a ajouté que sa peur était amplifiée par le poids de la responsabilité.

Comme il n'a pas pu réinitialiser son ordinateur portable et son téléphone mobile, les talibans ont désormais accès non seulement à ses données personnelles, mais aussi à ses contacts professionnels et aux noms des personnes qu'il a secourues, dont certaines se cachent.

Actifs compromis

En 2010, il a créé Raven Rae Consulting à Kaboul, une société qui aide les étrangers à rester en sécurité tout en naviguant dans la politique obscure et parfois dangereuse des affaires en Afghanistan.

Lorsque l'armée américaine s'est retirée d'Afghanistan en 2021, le chaos s'est installé, les talibans ayant repris le contrôle du pays.

M. Lavery s'efforçait d'extraire des clients européens lorsque VTN l'a contacté d'urgence. Le gouvernement canadien avait évacué son ambassade, laissant des milliers de Canadiens d'origine afghane et de personnes ayant travaillé avec l'armée canadienne bloqués.

M. Lavery a parcouru le périmètre de l'aéroport avec son équipe pour trouver des Canadiens d'origine afghane parmi les foules désespérées qui s'étaient rassemblées aux portes de l'aéroport. Dans les jours qui ont suivi la chute de Kaboul, Lavery a secouru plus de 100 personnes et les a fait monter dans des avions de transport.

C'est à ce moment-là qu'il a été surnommé «Canadian Dave».

Trois ans plus tard, dans ce même aéroport, sa femme Junping Zhang-Lavery attendait impatiemment qu'il sorte.

Elle a fouillé le terminal pendant trois heures. Après avoir montré sa photo aux voyageurs et au personnel, elle a découvert qu'il avait été enlevé par des agents de la Direction générale des renseignements afghans.

Junping a alors contacté Brant, le fils de Lavery, qui dirigeait les opérations de Raven Rae.

«Je savais que la préoccupation de mon père serait Junping et non lui-même dans les premiers temps. Je voulais la mettre en sécurité», a raconté Brant Lavery depuis Ankara, en Turquie. Comme on craignait que les talibans sachent où elle vivait, Junping a été emmenée dans un lieu sûr pendant que Brant préparait son embarquement dans un avion.

Il a également dû mettre en place des plans d'urgence pour les Afghans que la société VTN avait engagés pour les emmener au Canada. Ils devaient également être cachés dans des refuges. Douze d'entre eux ont pu prendre l'avion, tandis que six ont dû s'échapper par voie terrestre en passant par le Pakistan.

Une ligne directe avec le ministre

Brant explique que son réseau de soldats canadiens a pu l'aider à entrer en contact avec des fonctionnaires consulaires dans les 24 heures au ministère des Affaires mondiales à Ottawa.

Il a également établi un contact direct avec la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui se trouvait alors à Lima, au Pérou, pour participer à la conférence de l'APEC.

Comme le Canada considère les Talibans comme une entité terroriste, il n'a pas de relations diplomatiques avec l'Afghanistan. Il doit donc passer par un intermédiaire. Brant affirme que le gouvernement qatari est devenu le principal négociateur pour la libération de son père.

La ministre des Affaires étrangère, Mélanie Joly, a donné à la famille sa ligne directe afin qu'ils puissent la joindre pour obtenir des nouvelles.

«Ma femme est enceinte et j'ai dit à la ministre que j'espérais que mon père soit libéré fin mars ou début avril, à temps pour voir son petit-enfant», a lancé Brant.

Assurance enlèvement et rançon

Quelques semaines avant l'arrestation de Lavery, Raven Rae avait souscrit une assurance enlèvement et rançon pour ses employés. Après l'arrestation de Lavery, Brant a alerté la police, ce qui a permis à la famille d'avoir accès à des conseillers 24 heures sur 24. Ceux-ci les ont aidés à rester calmes, mais les ont prévenus que dans des cas précédents, les étrangers capturés par les talibans avaient été détenus pendant au moins 18 mois.

La compagnie d'assurance a conseillé à la famille Lavery de ne pas parler aux médias, mais, si elle devait le faire, de limiter les risques en minimisant l'expérience de M. Lavery au sein des forces spéciales.

Il était l'un des membres fondateurs de l'unité d'élite canadienne JTF2 chargée de la lutte contre le terrorisme.

«Ils (les talibans) l'auraient su s'ils s'étaient renseignés, mais nous ne voulions pas faire de papa un atout de plus grande valeur», a ajouté Brant. La famille Lavery a évoqué la possibilité de devoir payer une rançon, mais Brant affirme que la demande n'a jamais été formulée.

Menacé de torture

Pendant ce temps, Lavery passait ses journées dans la cellule n°2.

Située au sous-sol, elle était recouverte d'une moquette industrielle rouge. Une caméra de surveillance était fixée dans un coin et elle n'était éclairée que par la lumière qui filtrait à travers une étroite fenêtre.

Lavery disposait d'un seau, d'une bouteille en plastique pour son urine et d'une petite tasse pour le thé. Il dormait sur un matelas fin de la taille d'un tapis de yoga et disposait d'un oreiller et de deux couvertures.

Mais ce dont Lavery se souvient le plus, ce sont les taches.

Il pouvait voir l'empreinte d'une tête et d'épaules marquées par la sueur humaine d'un prisonnier qui s'appuyait contre le mur de ciment.

L'interrogatoire de M. Blue

Chaque jour, il avait droit à cinq pauses toilettes qui coïncidaient avec les appels quotidiens à la prière. Tous les deux jours, il avait la possibilité de se laver. Il recevait de la nourriture et du chai.

M. Lavery a été interrogé trois fois dans une pièce située au bout d'un long couloir de sa cellule par un homme qu'il appelait «M. Blue» et qui était toujours accompagné de deux gardes armés.

«Il a posé des questions sur les documents d'immigration qu'il possédait et sur les photos qu'ils avaient trouvées sur son téléphone.»

Bien que les talibans aient menacé de le torturer, ils l'ont laissé indemne.

Pour être mieux traité, Lavery, qui a subi en janvier 2023 une opération de remplacement de la hanche, a insisté sur «la douleur» et s'est plaint d'être «un vieil homme».

Ils l'ont même amené dans une clinique médicale lorsqu'il a commencé à se sentir mal.

Le film de l'esprit

Pour surmonter l'isolement, M. Lavery dit avoir créé une série télévisée dans son esprit. Il reconstituait les moments passés avec sa femme et sa famille élargie et imaginait l'avenir.

Chaque jour apportait un nouveau chapitre à la série.

À la mi-décembre, alors que les négociations en vue de sa libération avançaient, il a été transféré de la prison à une maison où quatre Américains étaient détenus. L'un d'entre eux était également détenu dans la cellule n° 2 et a expliqué à M. Lavery qu'il avait été contraint de partager l'espace avec sept autres hommes.

Dans la maison, on lui a donné un stylo pour écrire son journal quotidien.

Quelques jours plus tard, juste avant le début de la nouvelle année, il a été à nouveau déplacé, menotté et cagoulé, et emmené dans sa propre maison à Kaboul où il a été assigné à résidence.

Un chat errant qu'il a baptisé «Mama» lui tient compagnie et il trouve du réconfort dans de vieilles photos de famille laissées dans la maison que sa femme a abandonnée.

Des retrouvailles inattendues

Le 26 janvier, il a été embarqué à Kaboul dans un avion commercial à destination de Doha.

À l'atterrissage, Lavery est accueilli par une rangée de fonctionnaires qataris et par l'ambassadrice du Canada auprès de l'État du Qatar, Isabelle Martin.

Derrière eux, il aperçoit sa femme Junping et son fils Brant.

Jumping s'est mise à courir dans le couloir vers lui.

«C'était comme si elle faisait un 100 mètres. Elle m'a frappé comme un étau. Bang! Et elle ne m'a pas lâché. C'était émouvant de sentir la chaleur de son corps.»

Assise à ses côtés, Junping lui raconte ce qui lui est passé par la tête.

«Tu ne me quitteras plus jamais.»

Brant raconte que les responsables qataris lui ont dit que 77 jours était un temps record pour négocier la libération d'un prisonnier.

«C'était comme Noël. C'était un choc - nous nous attendions à un appel téléphonique par mois - de ne pas l'avoir en personne», a déclaré M. Brant.

Après 15 ans d'activité en Afghanistan, les Lavery envisagent maintenant de fermer leur bureau de Kaboul. Mais pour l'instant, ils célèbrent des retrouvailles qui sont arrivées bien plus tôt que prévu.