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Approche 180, un «fat camp»? J'étais plus que perplexe quand j'ai vu ça.
Quand j’ai vu passer sur la page Facebook du Centre d’excellence en obésité infantile une publication faisant référence au camp d’été Approche 180 en saines habitudes de vie, j’étais plus que perplexe.
On parlait ici d’un camp pour les enfants de 8 à 12 ans. Et, pour moi, quand un organisme spécialisé dans l’obésité fait la promotion des saines habitudes de vie, un petit drapeau rouge se hisse. Après tout, l’expression «saines habitudes de vie» est souvent l’expression plus politiquement correcte utilisée pour «perte de poids».
Est-ce qu’on avait affaire ici, au Québec, à l’un de ces fameux fat camps? Vous savez, ces endroits qui ont fait la manchette aux États-Unis et où l’on envoie les adolescents supposément ou réellement en surpoids suer leur vie dans l’espoir qu’ils rentrent enfin dans le moule? Je ne pouvais pas croire qu’une telle chose était possible.
J’ai vite découvert qu’une autre initiative du genre existait, cette fois elle visait les jeunes de 8 à 16 ans. Depuis l’été dernier, l’œuvre du Père Sablon, en collaboration avec l’hôpital Sainte-Justine, offre un camp de vacances destinées aux enfants et ados «aux prises avec un surplus de poids ou u problème d’obésité».
L’hôpital Sainte-Justine, tout comme le Children’s Hospital, auquel est d’ailleurs affiliée la Dre Julie Saint-Pierre, fondatrice de la Maison santé prévention/Approche 180, soutiennent ces deux initiatives.
Rejointe au téléphone, la Dre Julie Saint-Pierre, qui a elle-même souffert, me confie-t-elle, de problèmes liés à son poids pendant l’enfance et l’adolescence, insiste sur une chose: «le Programme découverte d’été de l’Approche 180 n’est pas un camp qui est axé sur le poids».
Mais c’est quoi ce camp, alors? À quoi sert-il?
La Dre Saint-Pierre m’explique que l’initiative s’adresse à des enfants qui répondent à des critères bien précis. «Ils sont souvent atteints de diabète de type 2 et peuvent parfois, mais pas toujours, venir de milieux où il y a certains défis sociaux. On a des enfants référés par le Dr Julien, des petits qui nous sont référés par la DPJ ou par le tribunal. On a des enfants de réfugiés. Mais tous ces enfants ont une chose en commun: ils ont tous une atteinte cardiométabolique. Ils sont donc référés chez nous afin qu’on les aide, eux et leur famille, à adopter de saines habitudes de vie. Et c’est complètement gratuit.»
Je reviens à mon petit drapeau rouge et pose directement la question à Julie Saint-Pierre. «Saines habitudes de vie», ce n’est pas un peu une façon détournée de dire qu’on veut faire maigrir ces enfants-là? « Pas du tout! On met de l’avant une approche où tous les corps sont acceptés.
Elle souligne au passage que les enfants vivant avec un surpoids sont trois fois plus à risque d’être intimidés que les autres. Personne ne peut être insensible à ce genre d’argument.
Clairement, ce type d’initiative est très très loin des camps américains où le seul objectif est de maigrir à tout prix. Sauf que je me mets à la place d’un enfant qui se fait envoyer dans un tel camp de jour dont l’objectif principal et me demande quel effet cela peut avoir sur son estime de soi, son image corporelle et sa relation avec les aliments.
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D’emblée, Stéphanie Léonard, psychologue spécialisée dans le traitement des troubles de l’alimentation, des comportements alimentaires et de l’image corporelle et fondatrice de Bien dans mon corps, est dubitative face à ce type d’approche. «Des personnes qui sont passées par ce type d’initiative, j’en vois dans ma pratique et, souvent, le résultat est une relation trouble avec la nourriture. Il faut se demander quel est l’objectif, ici? Si l’objectif, c’est réellement de changer ses habitudes de vie, ça ne se fait pas dans un camp. Ça se fait à la maison, au jour le jour. Et je ne peux pas m’empêcher de penser à l’enfant qui doit dire à ses amis qu’il s’en va dans ce type de camp. C’est quand même assez stigmatisant. Au lieu d’aller au parc avec ses amis et de se rendre à la crémerie pour manger une crème glacée, cet enfant-là s’en va là? On peut bien dire qu’on veut instaurer de saines habitudes de vie. Les enfants ne sont pas stupides.»
Je reviens sur les séquelles. Stéphanie Léonard est catégorique, et sans vouloir viser particulièrement le camp de la Dre Saint-Pierre, elle pense que ce type de modèle peut faire beaucoup de dommage à plus ou moins long terme, et ce sur plusieurs fronts: «rapport au corps compliqué, dysmorphie, bannissement et démonisation de certains aliments, relation tordue au sport». Elle ajoute qu’à un âge où les enfants sont en train de développer leur rapport au monde et à ce qui les entoure, il faut faire très attention à comment on aborde les choses avec eux.
Même son de cloche du côté d’Édith Bernier, fondatrice du site Grossophobie.ca et autrice. «Ce n’est pas toi qui es responsable de ce que tu manges à 8 ans, ce sont tes parents. Alors je comprends mal et je trouve que les “saines habitudes de vie” ont le dos large. Je ne vois pas ce qui peut émaner de positif, à part de l’anxiété et une relation trouble avec la nourriture et le sport. La science démontre clairement que le surpoids n’est pas seulement lié aux habitudes de vie, il y a une importante composante génétique.»
Alors qu’est-ce qu’on dit à un enfant né gros pour qui rien de tout ça ne va fonctionner? Est-ce qu’il va retourner chez lui avec un sentiment d’échec? Je pose la question à la Dre Saint-Pierre. Elle me répète que l’objectif n’est pas la perte de poids, mais bien d’améliorer la santé globale. Donc, selon elle, personne ne peut «échouer».
Et par rapport aux séquelles que pourrait apporter l’initiative ou simplement le fait de discuter de saines habitudes de vie, elle me précise qu’une chose est claire: il vaut mieux aborder la question de front. «Chez les enfants de 7 à 11 ans qui ont un surpoids ou qui souffrent de la maladie de l’obésité, une étude menée auprès de 13 135 participants et publiée dans The Lancet Psychiatry a clairement démontré que si on ne s’inquiète pas et qu’on ne prend pas ça en charge et qu’on n’en discute pas avec des professionnels formés pour utiliser les bons mots, il y a plus de troubles alimentaires, plus de dépression et plus d’anxiété chez les enfants.»
OK, mais est-ce qu’on pèse les enfants? «Jamais de la vie!», répond la Dre Saint-Pierre. «Certaines équipes sportives le font encore, ce que je trouve inacceptable. Le but du camp n’est pas d’avoir des résultats, le but c’est de semer une petite graine. On leur apprend plein de trucs nouveaux. Il y a des ateliers de vélo. Un été, 100 % des enfants présents au camp n’en avaient jamais fait!»
Alors est-ce les camps de jour destinés aux enfants vivant avec un surpoids sont inoffensifs ou peuvent-ils causer du tort? «Je comprends les réticences des gens», dit la Dre Saint-Pierre, «mais on est vraiment dans la bienveillance, dans une approche inclusive et déculpabilisante».
En tout cas, il est clair qu’on vise ici une clientèle ultra fragile et que c’est un sujet hautement émotif. Les potentiels de dérapages sont immenses et les possibilités de séquelles négatives, du moins selon Stéphanie Léonard, sont bien réelles.
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