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Santé
Chronique |

Pourquoi et pour qui le privé en santé ?

Si on améliore l’offre collective de soins, la question ne se posera même plus de savoir s’il vaut la peine d’aller au privé. Ni pour les patients ni pour les médecins.

Lire que 150 médecins spécialistes ont fait la navette cette année entre le public et le privé, comparativement à 9 en 2015, cela me décourage un peu. Mais ces chiffres, rapportés par le Journal de Montréal, doivent surtout pousser à réfléchir et trouver des solutions. Parce que c’est un vrai problème.

D’abord une précision : le mot «privé» désigne ici des chirurgies ou d’autres interventions réalisées dans des cliniques privées, et payées par le patient lui-même ou ses assurances.

C’est surtout le second aspect, soit la source de paiement, qui constitue un gros problème. Parce qu’un versement provenant de la poche du patient mine l’équité d’accès, raison d’être de notre système de santé conçu durant les années 1960 et 1970.

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Le seul «privé» qui n’affecte pas l’équité d’accès, c’est celui qui est payé publiquement et agit alors comme une soupape quand aucune autre solution n’est possible, comme durant la pandémie. Mais ce n’est pas le sujet de ce texte.

Objectif équité

Avant 1960, une banale appendicite, requérant une chirurgie et une hospitalisation, pouvait pousser à la faillite celui qui en était victime. Une catastrophe.

L’État, qui s’occupait jusqu’alors seulement les soins aux « nécessiteux », élargit en conséquence en 1961 sa couverture publique à l’ensemble des services hospitaliers, puis aux frais des médecins en 1971. Il s’agissait dès lors d’être soigné selon les besoins médicaux et non les moyens.

C’est cette logique qui est mise à mal face à l’émergence, encore à petite échelle, d’un système de santé à deux vitesses, où une partie des patients peuvent payer pour être opérés plus vite.

L’échec relatif qui explique l’émergence de cette réalité est clair : notre système peine à soigner les gens en des temps raisonnables, poussant plusieurs à choisir cette voie de contournement, même si elle est payée de leur poche.

Et comme certains seront toujours capables de dépenser des dizaines de milliers de dollars pour une chirurgie, en conséquence, des médecins sont là pour s’en occuper.

C’est ce qu’on appelle aussi l’offre et la demande, qui a peu de choses à voir avec l’équité, notez bien.

Pourquoi cette dérive ?

Depuis plusieurs années déjà, devant l’incapacité de faire rouler convenablement les blocs opératoires publics, faute de personnel surtout, les listes d’attentes s’allongent pour les interventions non urgentes, encore plus depuis la pandémie.

Pour le patient qui attend, le choix du privé peut dès lors se comprendre, s’il en a les moyens et se trouve aux prises avec une limitation physique ou des douleurs chroniques dues à un problème de hanche par exemple.

Plus les listes d’attente augmentent, plus la masse critique de gens prêts à payer pour accéder plus rapidement aux soins augmente, une «demande» toujours croissante.

Pour les médecins, le choix se comprend aussi. Je pense aux orthopédistes, qui suivent durant des années certains patients sans pouvoir les opérer, et se voient un jour offrir un cadre (privé) pour y arriver.

Moins des blocs opératoires sont accessibles, plus les chirurgiens disposent aussi de temps pour offrir ces services dans un cadre privé, surtout quand il est facile de passer du public au privé : un avis de 30 jours pour y aller au privé, un avis de 8 jours pour en revenir. Et hop ! Ça se place même très bien sur un horaire.

Des conséquences néfastes

Sauf que l’expansion continue de la pratique privée entraîne inévitablement une ponction croissante de personnel dans les hôpitaux publics, qui vont y chercher de meilleurs horaires et conditions, ce qui est aussi compréhensible, ces centres fonctionnant essentiellement de jour et en semaine.

L’interdépendance entre les deux systèmes favorise aussi certaines habitudes douteuses, comme de l’autoréférence de patients par un même médecin, envoyant ses patients publics en attente vers sa clinique privée.

Enfin, délocaliser autant d’interventions vers le privé contribue indéniablement à une croissance rapide de ces infrastructures, qui offrent des plateaux techniques de mieux en mieux pourvus.

Le mirage du privé

Le financement privé n’est donc pas une panacée, il constitue au mieux une soupape, répondant à une portion limitée de la demande, celle de gens en assez bonne santé, bien en moyens et qui ne souhaitent pas attendre.

Parce que si le privé paraît efficace quand on examine seulement les délais, cela s’explique par une demande limitée, à laquelle l’offre s’ajuste facilement, les deux étant actuellement en croissance.

Limitée, parce que seule une minorité de gens peuvent payer les frais demandés pour obtenir une intervention rapide, qui d’ailleurs ne couvrent que la partie la plus facile des soins, les complications les plus graves étant par exemple toujours déférées au système public.

Mais si d’aventure tous les médecins décidaient de quitter le système public, leurs revenus s’effondreraient et les problèmes d’équité deviendraient vite insupportables à la société.

Tenez, même aux États-Unis, environ la moitié du financement de la santé est en réalité public, alors que le financement privé représente par ailleurs une petite fortune, alors que les problèmes d’équité d’accès demeurent immenses.

Il existe des solutions

Mais assez parlé des problèmes, quelles sont les solutions ?

Il faut «simplement» agir sur les causes exposées. Améliorer l’accès aux blocs opératoires et autres unités d’intervention, c’est la priorité, c’est aussi le plus gros défi en raison du manque de personnel.

Et comme les chirurgies et interventions privées grugent la capacité publique, il faut rendre plus ardue pour les médecins la traversée des frontières administratives entre le public et le privé, notamment en allongeant les délais actuels, comme le Collège des médecins le suggère d’ailleurs.

Évidemment, le plus grand défi dans tout cela, c’est de rendre le système public plus efficace. Mais nous n’avons pas vraiment le choix, à moins de sacrifier une de nos valeurs fondamentales, celle de l’équité.

Parce que si on améliore l’offre collective de soins, la question ne se posera même plus de savoir s’il vaut la peine d’aller au privé. Ni pour les patients ni pour les médecins.