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«Ça coûte une beurrée...»
Cette semaine, j’ai vécu ce que j’appelle un moment charnière dans ma maternité: avec ma fille, nous avons été magasiner sa robe de bal. Pendant que je déambulais avec elle dans la boutique et que nos doigts s’attardaient sur le tulle et flirtaient avec les paillettes, je me suis mise à regarder un peu autour.
Partout, des mères qui, comme moi, pognaient de quoi en se disant, aussi comme moi j’imagine, que leur petit bébé était rendu là. C’était un moment magique. Un moment empreint de nostalgie aussi. Pendant que ma fille essayait une énième robe longue, je me rappelais mon bal à moi et, surtout, cette journée passée avec ma propre mère à la Place du Royaume, au Saguenay.
Au bout de moult tergiversations, j’avais finalement déniché la robe tube de mes rêves à la boutique Le Château. J’ai un souvenir vivace du moment où je suis sortie du magasin, mon grand sac de magasinage à la main, persuadée que j’allais être la reine de toute. Rétrospectivement, ma robe était quétaine à mort et, avec mes nouveaux cheveux rasés blond platine, je ressemblais à la version Wish de la chanteuse des Cranberries.
De retour en 2024. Pendant que nos filles virevoltaient comme des princesses devant le grand miroir de la boutique, les autres mamans et moi nous regardions, les yeux pleins d’eau. C’était vraiment émouvant de voir toutes ces jeunes femmes essayer les unes après les autres des tenues qui représentaient, au fond, la vie pleine de promesses qui les attend.
Je regardais ma fille, et, plate de même, je me suis mise à faire des calculs. 217 $ pour la robe de ses rêves. Ça prenait des souliers, aussi, et peut-être un petit sac à main? J’avais bien ça dans au fin fond de ma garde-robe, un étui de soirée. Je lui en prêterai un. Mais il y a les cheveux, le maquillage et les ongles, non? Est-ce que ça prend tout ça?
Je me souvenais que ma maman m’avait payé un maquillage au salon de coiffure le Tête-à-tête. Je jubilais. Je me sentais comme dans un magazine. Bien entendu, je n’avais pas pensé une seule seconde que ça avait dû coûter une beurrée à mes parents.
Oh, et dans ma réflexion, j’avais oublié le billet pour la soirée. 120$. Le transport, aussi. Ma calculette mentale surchauffait et je commençais à trouver que ça faisait beaucoup pour une seule soirée. Pourtant, la robe de ma file ne coûtait pas si cher que ça. Rien d’exagéré. Malgré ça, je calculais que la soirée coûterait au bas mot environ 500$.
Ce n’est pas tout le monde qui a 500 dollars à garrocher par les fenêtres, en ce moment. Et même si j’ai l’impression que mon budget a mangé un coup de batte de baseball en pleine face, je suis heureuse de pouvoir offrir ça à ma fille. Tous n’ont pas ce privilège.
Une mère m’informait en début de semaine qu’une pharmacienne de Lévis avait créé un événement afin d’offrir à des jeunes filles dans le besoin, et de façon tout à fait gratuite, un magasinage de robe de bal. L’initiative a été médiatisée et plus de 250 robes ont été dénichées. 40 jeunes filles dans le besoin ont donc obtenu une tenue pour leur bal de finissante.
L’organisme Fée marraine fait aussi des miracles dans la grande région de Montréal en fournissant gratuitement la tenue complète pour le bal des finissants à des jeunes de 5e secondaire en situation de vulnérabilité.
Assise sur le canapé du magasin avec d’autres mères dont les yeux brillaient autant que les miens, je me suis mise à me demander combien étaient en train de faire les mêmes calculs que moi. Je ne connaissais pas la vie de ces femmes-là, pas plus que leur situation financière.
Je me demandais combien, comme moi, étaient un peu en train de paniquer à l’idée de dépenser autant d’argent pour UNE SEULE SOIRÉE. 500 $, le coût, pour une famille, d’une épicerie pour deux semaines en ces temps inflationnistes. Combien allaient devoir faire des choix déchirants: la robe, mais pas de souliers neufs. Cette robe-là plutôt que celle-ci.
Je le sais que ç’a l’air superficiel dit de même. Personne ne va brailler parce qu’une adolescente de 16 ans n’a pas de tiare en zircons ou devra se faire à l’idée qu’une robe griffée, ce ne sera pas possible.
Le bal, oui, est un moment important pour plein de jeunes dont l’estime de soi ne tient souvent qu’à un fil. Non, je ne vous ferai pas brailler. Ma fille ne sera jamais une princesse, pis c’est ben correct. Ça fait longtemps qu’elle a fait le deuil de son royaume, pis moi aussi.
Mais je trouve ça triste que derrière la magie du bal des finissants se cachent souvent des parents dont le cœur bat la chamade au moment de passer à la caisse. Je trouve ça plate que des mères et des pères se sentent poches et inadéquats parce qu’ils ne peuvent pas offrir à leur enfant tout ce dont il rêve pour cette soirée qu’on leur vend à grands coups de films américains depuis leur tendre enfance.
C’est débile, quand on y pense, que certains passent des mois à rembourser un événement qu’ils auront acheté à crédit dans le seul but de se conformer à ce que la société exige pour cette soirée inventée de toutes pièces.