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L’ancien premier ministre haïtien Laurent Lamothe, qui se dit «victime» d’être injustement sanctionné par le Canada. L'ex-politicien, aujourd’hui établi à Miami, aux États-Unis, entend défendre ses arguments en Cour fédérale.
L’ancien premier ministre haïtien Laurent Lamothe, qui se dit «victime» d’être injustement sanctionné par le Canada le jugeant complice des gangs en Haïti, accuse Ottawa de se baser sur «des recherches Google» et de s'être «mal renseigné» avant de le cibler.
L'ex-politicien, aujourd’hui établi à Miami, aux États-Unis, entend défendre ses arguments en Cour fédérale, mais deux experts consultés par La Presse Canadienne relèvent que pratiquement personne n'a réussi à gagner une telle cause par le passé.
«Je suis une victime de cette politique de ciblage. En réalité, c’est un ciblage politique visant à éliminer toute une classe de politiciens haïtiens pour favoriser une autre classe sous un prétexte fallacieux d’association avec des gangs», dit en entrevue celui qui a déposé, en décembre dernier, une demande de révision judiciaire.
Selon les dires de M. Lamothe, Affaires mondiales Canada l’a redirigé vers deux articles trouvés par une recherche Google après qu’il eut demandé quelles preuves le gouvernement avait démontrant qu'il a facilité l'activité des gangs criminels haïtiens. L'ex-premier ministre n'a pas voulu fournir copie des articles mentionnés durant l'entretien, soutenant que son avocat le lui avait déconseillé de le faire.
«Ces deux articles ne citent même pas mon nom et ne m’impliquent dans rien du tout. Donc je me demande, jusqu’à présent, de quoi on m’accuse», affirme celui qui fait partie des 17 personnes sanctionnées par Ottawa face à la crise d'insécurité en Haïti.
La situation dans ce pays des Caraïbes a atteint un niveau critique au cours des derniers mois, les bandes armées semant la terreur, violant les femmes et bloquant l’accès de la population à des services essentiels.
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En réponse à des questions envoyées par La Presse Canadienne, Affaires mondiales Canada a déclaré par courriel que le gouvernement fédéral ne peut commenter le dossier de M. Lamothe puisqu’il fait l’objet d’un examen judiciaire. Le ministère n’a ainsi pas confirmé avoir fait parvenir deux articles à M. Lamothe pour justifier l’ajout de ce dernier sur la liste des personnes sanctionnées.
«Le gouvernement (…) détermine les circonstances les plus appropriées dans le cadre de notre législation sur les sanctions pour inscrire sur la liste des personnes ou des entités en fonction des actions sur le terrain et de la disponibilité d'informations crédibles», avait-on soutenu dans une déclaration écrite précédemment envoyée.
Affaires mondiales Canada a décliné une demande d’entrevue avec tout haut fonctionnaire spécialisé en sanctions.
En vertu de sa Loi sur les mesures économiques spéciales, le gouvernement de Justin Trudeau a mis en place des régimes de sanctions pour sévir contre des milliers des personnes, au cours des dernières années. Ces dispositions ont été utilisées pour cibler des personnes considérées responsables de la crise en Haïti, mais aussi de l'invasion russe de l'Ukraine et de la violation de droits de la personne en Iran.
M. Lamothe affirme avoir été, durant son mandat de premier ministre, de 2012 à 2014, le «cauchemar» des bandes criminelles et avoir conservé la même posture après.
Celui qui a été membre du gouvernement de l’ancien président Michel Martelly, aussi sanctionné par le Canada, estime qu’Haïti ne faisait ni face à des problèmes d'essor des bandes criminelles ni à de l’insécurité durant son implication politique. Selon lui, «tous les chefs de gangs étaient en prison».
Ainsi, défendre son «honneur et sa dignité» est la principale motivation de Laurent Lamothe à contester les sanctions contre lui. «J’ai des enfants. (...) Je suis un ancien représentant du pays. J’ai un bilan et je suis un humain», dit-il.
Il est clair à ses yeux qu’Ottawa n’a pas bien mené ses recherches avant de le sanctionner et s’est laissé induire en erreur.
Lorsque questionné sur le rôle joué par son ancienne formation politique, le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), dans la crise actuelle en Haïti, M. Lamothe répond qu’il n’en est pas membre. Interpellé sur le fait que bien des personnes sanctionnées par le Canada ont fait partie de gouvernements dirigés par le PHTK, il relève que ce parti a remporté les deux dernières élections surveillées par la communauté internationale.
M. Lamothe laisse entendre que les sanctions canadiennes profitent indirectement à l'actuel gouvernement non élu d'Ariel Henry. «Probablement parce que la plupart des personnes sanctionnées faisaient partie, d'une manière ou d'une autre, de son opposition», évoque-t-il.
Le premier ministre Justin Trudeau a réfuté cette prémisse en novembre dernier, soutenant que l'approche du Canada n’était nullement orientée par ce qu'un parti politique ou le gouvernement haïtien veulent.
Quoi qu'il en soit, il reste à voir si M. Lamothe obtiendra gain de cause en Cour fédérale.
Michael Nesbitt, professeur associé à l'Université de Calgary, n'a souvenir d'aucune victoire passée en la matière. «Je n'arrive pas à penser à une contestation significative s'il y en a eu une», résume l'expert en sanctions.
Affaires mondiales Canada n'a pas répondu aux questions de La Presse Canadienne visant à obtenir des données sur le nombre de contestations faites au cours des dernières années.
Deux avenues s'offrent aux personnes sanctionnées pour tenter de faire retirer leur nom de la liste des personnes sanctionnées. Elles peuvent se tourner vers le bureau de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ou le ministère dont elle est responsable. L'autre voie de contestation est la demande de révision judiciaire à la Cour fédérale.
«Ces cas sont intéressants parce que c'est une analyse du régime réglementaire qui est mise en place», souligne l'avocate Julia Webster, associée pour Baker McKenzie.
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Elle explique qu'une fois que la Cour fédérale est saisie du dossier, «c'est vraiment une question de savoir à quel point la ministre a de la discrétion, à quel point les tribunaux montreront de la déférence envers la décision de la ministre».
En 2018, le politicien ukrainien Andriy Portnov s'est tourné vers la Cour fédérale et a tenté en vain d'obtenir les preuves justifiant le gel de ses avoirs en vertu d'une autre loi que celle avec laquelle M. Lamothe a été sanctionné.
Ottawa avait plaidé que les documents ne pouvaient être divulgués en vertu de dispositions législatives protégeant les informations sensibles concernant les relations internationales ou qui constituent des conseils et recommandations faites au conseil des ministres.
En 2021, la Cour fédérale a écarté la demande du politicien vénézuélien Rangel Gomez concernant cette même loi - la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus. Dans le cadre de cette action judiciaire, Affaires mondiales Canada avait fourni un mémo interne qui listait des reportages accusant le gouvernement de M. Gomez de permettre le trafic et la contrebande dans des sites miniers.
En contrepartie, le Canada a retiré de lui-même, en 2019, une personne d'une de ses listes d'individus sanctionnés. L'ex-chef du service de renseignement du Venezuela, Manuel Cristopher Figuera, avait ainsi été radié puisqu'il s'était rallié à un mouvement - aujourd'hui déchu - de soulèvement contre la dictature de Nicolás Maduro.
Avec la collaboration de Dylan Robertson