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La loi interdit aux travailleurs du secteur public en position d'autorité, y compris les enseignants, les policiers et les juges, de porter des symboles religieux tels que le hijab, la kippa ou le turban, au travail.
La Cour d’appel vit «un moment historique» et doit déterminer si la disposition de dérogation à la Charte des droits, comme l’a utilisée Québec avec la loi 21 sur la laïcité, est un outil «qui permet au gouvernement de tout faire en matière de droit».
C’est ainsi que l’avocat de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Me Frédéric Bérard, a ouvert le débat devant le plus haut tribunal du Québec qui a commencé à se pencher, lundi, sur la constitutionnalité de la loi 21.
La décision rendue en avril 2021 par la Cour supérieure avait en grande partie confirmé la loi controversée qui interdit le port de signes religieux par le personnel du secteur public en autorité, notamment les juges, policiers et enseignants.
Plusieurs groupes contestent cette décision, mais le gouvernement du Québec en appelle aussi d’une partie, celle où le juge Marc-André Blanchard avait soustrait les commissions scolaires anglophones de l’application de la loi et annulé l’interdiction faite aux membres de l’Assemblée nationale de se couvrir le visage.
D’entrée de jeu, la juge en chef de la Cour d’appel, Manon Savard, qui siège en compagnie de deux autres magistrats, a averti qu’on ne repasserait pas au travers de la preuve parce que les trois juges avaient pris connaissance des 1500 pages qu’elle comporte. Aussi, le tribunal n’entendra pas la totalité des arguments des 17 parties qui témoigneront, puisqu’on a également épluché les 1065 pages d’argumentaire qu’elles ont déposées.
Devant la complexité et la multiplicité des questions en litige, le tribunal a divisé le dossier en dix thèmes pour entendre, dans chacun des cas, ceux qui contestent la décision et ensuite ceux qui l’appuient.
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Le premier de ces thèmes était justement la légitimité d’avoir utilisé la disposition de dérogation, aussi appelée clause nonobstant, pour soustraire la loi 21 aux chartes des droits.
Dans une longue envolée, Me Bérard a fait valoir que le premier ministre François Legault avait lui-même admis avoir décidé de retirer des droits, principalement aux femmes musulmanes, pour plaire à la majorité alors que les chartes sont justement là pour protéger les minorités contre ce genre de décision. «C’est de l’électoralisme et du populisme. (…) La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais celle de la protection des minorités», a-t-il lancé.
Alors que Me Bérard avait insisté sur le fait qu’il n’y avait pas situation d’urgence, sa collègue Me Alexandra Belley-McKinnon, représentant la Coalition inclusion Québec, a poussé plus loin, affirmant que la loi 21 a «un objectif illégitime» de priver des minorités de leurs droits et que la clause dérogatoire ne peut servir à tenter de la rendre légitime.
Puis, Me Théodore Goloff, représentant l’Association de droit Lord Reading, a avancé que cet usage de la disposition de dérogation permet à la loi d’échapper à la détermination des droits devant les tribunaux et, de ce fait, affaiblit le rôle de ceux-ci en créant «un régime extra-légal».
Me Julius Grey, au nom de la Commission canadienne des droits et libertés, est ensuite venu soutenir que l’utilisation de la clause dérogatoire doit être parcimonieuse et chirurgicale. «On peut déroger, mais pas au point de révoquer la Charte», a-t-il argué.
L’avocate du Procureur général du Québec, Me Isabelle Brunet, est toutefois venue donner la réplique, soulignant que dans sa formulation même, la disposition de dérogation ne prévoit aucune de ces contraintes et que son utilisation n’est pas du tout balisée pour répondre à quelque restriction que ce soit.
Rappelant que la loi 21 était le fruit d’années de débat et de réflexion, elle a soutenu que la tentative de la faire invalider «représente rien de moins qu’une contestation de la sagesse de l’État» et que «le droit de dérogation préserve la souveraineté législative».
Avant le début de l’audience, lundi matin, des représentants de plusieurs groupes étaient venus réitérer leur opposition à la loi provinciale. «Cette loi a démontré qu’à l’heure actuelle, les minorités dans ce pays n’ont pas de droits. Elles ont des permissions, et ce, parce que le gouvernement peut leur retirer n’importe quel droit sans justification quelconque», a déclaré Stephen Brown, président-directeur général du Conseil national des musulmans canadiens.
«Nous vivons dans un pays où les malaises de certains citoyens valent plus que les droits des autres, et ce, uniquement en fonction de leur identité. Imaginez devoir dire à votre fille qu’elle ne pourra jamais être juge à cause de son apparence. Imaginez dire à votre fils qu’il ne pourra jamais être enseignant à cause de son apparence. C’est intenable», a-t-il laissé tomber.
Les débats devant la Cour d’appel doivent durer dix jours.