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Depuis le déversement de pétrole dans le lac Mégantic et la rivière chaudière lors de la tragédie de 2013, «ça ne mord pas autant qu’avant», selon le pêcheur Pierre Grenier.
Des pêcheurs s’inquiètent de la qualité de l’eau de la rivière Chaudière et du lac Mégantic, 10 ans après la catastrophe ferroviaire qui a tué 47 personnes et causé le déversement de 100 000 litres de pétrole dans la rivière. Des experts du ministère de l’Environnement tenteront de répondre à leurs inquiétudes alors qu'ils seront déployés dans les prochaines semaines pour faire le point sur la santé du cours d’eau.
Depuis le déversement de pétrole dans le lac Mégantic et la rivière chaudière lors de la tragédie de 2013, «ça ne mord pas autant qu’avant», selon le pêcheur Pierre Grenier.
Rencontré dans la marina du lac à la fin du mois de mai, le président de l'Association de chasse et pêche de Lac-Mégantic pointe le large en s’inquiétant de l’absence de pêcheurs.
«C’est triste, avant, au mois de mai, c’était les meilleures journées de pêche», déplore M. Grenier en précisant que «les pêcheurs pognent surtout de gros poissons et de moins en moins de petits poissons, ce qui veut dire qu’il y a moins de relève».
Quand les pêcheurs capturent surtout «de vieux poissons», c’est un signe que le lac n’est plus en santé, «que les poissons ne se reproduisent pas», ajoute-t-il.
Son association travaille avec le ministère de l’Environnement pour s’assurer de la pérennité des espèces de poissons de la région, par exemple en ensemençant le lac.
«On a ensemencé de la truite brune quatre ans après la catastrophe, mais les pêcheurs n’en pognent pas!» se désole Pierre Grenier.
«Est-ce que l’eau est bonne pour l’alimentation et la reproduction des poissons? Si elle est contaminée, il faut le savoir», indique le pêcheur en montrant du doigt la rive du plan d’eau dans lequel on estime que 100 000 litres de pétrole brut se sont déversés il y a 10 ans.
«Juste ici, l’eau était pleine d’huile et ça descendait dans la rivière Chaudière. Est-ce que des toxines sont restées à la grandeur du lac?», demande le pêcheur.
Le président de l'Association de chasse et pêche de Lac-Mégantic souhaite que les études prévues du ministère de l’Environnement dans la rivière Chaudière et le lac répondent à ces questions.
«Ça fait longtemps qu’on demande de nouvelles études, qu’on veut un suivi», indique Pierre Grenier.
Il y a quelques semaines, le ministère a confirmé qu’il procédera à des échantillonnages, au cours de l’été, afin de faire le point sur «la présence d’hydrocarbures dans les sédiments de la rivière, sur l’état des communautés d’organismes benthiques et sur l’état des communautés de poissons».
En 2015, un rapport synthèse d’un comité d’experts du ministère de l’Environnement mandaté pour analyser le lac Mégantic et la rivière Chaudière indiquait que «de tous les cours d’eau échantillonnés au Québec pour y vérifier l’état de la communauté de poissons, aucun n’a présenté des taux d’anomalies aussi élevés, à autant de stations d’échantillonnage».
La dernière étude du gouvernement provincial sur les impacts du déversement de pétrole dans le cours d’eau remonte à 2017.
Dans ce document, les experts du gouvernement dressaient un bilan «rassurant» de la santé du cours d’eau, même si le taux d’anomalies sur les poissons était demeuré élevé depuis la tragédie.
«L’indice d’intégrité des poissons ne s’est pas amélioré et le pourcentage de poissons présentant des anomalies de type DELT (déformations, érosion des nageoires, lésions et tumeurs), très élevé en 2014, est demeuré aussi élevé en 2016. Ces taux élevés d’anomalies demeurent sans commune mesure avec ce qui avait été observé dans la rivière Chaudière en 1994», indiquaient les chercheurs.
La sénatrice Rosa Galvez, experte en contrôle de la pollution et ses effets sur la santé, craint que les anomalies détectées sur les poissons puissent, dans certains cas, se transmettre à leur progéniture.
«Si le poisson développe une tumeur et qu’il se reproduit, il peut transmettre des anomalies, mais avec le temps, ce risque diminue», indique celle qui a publié une étude en 2014 sur la réponse des autorités après la catastrophe de 2013.
La dernière étude du gouvernement provincial sur la santé du cours d'eau recommandait également que des analyses supplémentaires soient réalisées avant 2022.
Ces analyses n’ont pas eu lieu «pour différentes raisons, dont la pandémie», a expliqué un porte-parole du gouvernement, Frédérick Fournier, qui a précisé que les résultats des études qui seront finalement effectuées cet été seront rendus publics en 2024.
Les experts du ministère analyseront notamment les sédiments contaminés au pétrole dans le fond de la rivière. Le dernier rapport du ministère de l’Environnement notait qu’il restait une contamination au pétrole de sédiments dans le lac et la rivière, mais que sa faible teneur «ne justifiait pas la réalisation de travaux de décontamination».
Si la contamination des sédiments de la rivière au pétrole est faible, c’est notamment en raison des «efforts déployés par les autorités gouvernementales» après la catastrophe, «pour limiter l'infiltration et la dispersion des contaminants le long de la rivière, ainsi qu'aux conditions hydrologiques qui ont également favorisé la dispersion et la dilution des polluants», avait conclu l’étude dirigée par la professeure Rosa Galvez en 2014.
Les sédiments contaminés aux hydrocarbures «ne s’accumulent pas dans la chair des poissons», selon les travaux des chercheurs du ministère de l’Environnement. Ces poissons peuvent donc être consommés.
Il a fallu 30 000 litres de mousse ignifuge pour venir à bout de l'incendie causé par l’explosion de wagons contenant du pétrole à Lac-Mégantic en juillet 2013, mousse qui a pu être livrée par une raffinerie de Lévis la nuit de l'accident.
Ces mousses contenaient des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS), appelées «produits chimiques éternels».
Les connaissances concernant les PFAS ont beaucoup évolué dans les dernières années et ces produits chimiques sont désormais dans la mire d’Environnement Canada.
Les PFAS pourraient être limités ou carrément interdits au Canada à la suite d’une évaluation des risques qu’effectue actuellement le gouvernement fédéral.
«Les études chez l'animal de laboratoire montrent que l'exposition à certaines PFAS est associée à des effets sur la reproduction, le développement, le système endocrinien, le foie, les reins et le système immunitaire», indique une récente publication du gouvernement.
Dans les mois qui ont suivi la tragédie à Lac-Mégantic, les analyses du ministère de l’Environnement du Québec indiquaient «qu’il n’y a pas d’évidence claire à l’effet que les événements du 6 juillet 2013 aient entraîné une hausse des teneurs en PFOS (une sorte de PFAS) ou en composés perfluorés totaux dans les poissons».
Mais Céline Guéguen, professeure au département de chimie de l’Université de Sherbrooke, souligne qu’il est important d’étudier à nouveau la présence des PFAS dans le lac et la rivière, à la lumière des connaissances que nous avons aujourd’hui.
«Les composés éternels, il y a dix ans, on savait que ça existait, mais on n’avait pas nécessairement la technologie pour bien les mesurer», a indiqué la chimiste.
Elle fait partie d’un groupe de chercheurs qui veulent obtenir du financement afin de faire un état des lieux sur la contamination du lac Mégantic, 10 ans après le déversement.
Elle voit d’un bon œil la décision du ministère de l’Environnement de mandater à nouveau ses experts pour faire le suivi de la contamination du cours d’eau, mais elle souhaite également que son projet soit retenu par les gouvernements.
«On voudrait contribuer à l’amélioration des connaissances sur la santé du lac. Si plusieurs experts se penchent sur ces questions, ça ne pourra qu’être bénéfique pour l’environnement», dit Mme Guéguen.