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Lorsqu’Elena Koposova a signé une lettre ouverte contre l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, elle ne s’attendait pas à une réaction violente dans son nouvel État d’adoption, la Serbie.
Lorsqu’Elena Koposova a signé une lettre ouverte contre l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, elle ne s’attendait pas à une réaction violente dans son nouvel État d’adoption, la Serbie.
Après tout, la Serbie cherche formellement à rejoindre l'Union européenne (UE) tout en adoptant toutes les valeurs démocratiques qui accompagnent cette adhésion, a-t-elle estimé. À présent, elle voit qu'elle avait tort.
Deux ans après avoir signé la lettre, la Russe de 54 ans fait appel d'un ordre d'expulsion après qu'elle a été déclarée menace pour la sécurité nationale de la Serbie et que son permis de séjour a été révoqué. La traductrice littéraire assiégée a expliqué que la seule raison à laquelle elle pouvait penser était la pétition contre la guerre qu'elle avait signée.
«Je ne suis pas une militante, mais j’ai signé une lettre antiguerre au début de l’agression russe en Ukraine, a-t-elle relaté dans une entrevue. Même si je n’étais pas militante, je ne pouvais pas me taire. Alors j'ai simplement mis mon nom sur la lettre ouverte dans laquelle on disait que la guerre est un crime et que nous devons tous nous unir pour y mettre un terme.»
Mme Koposova n'est pas la seule. La Serbie a ouvert ses frontières ces dernières années à des dizaines de milliers de Russes fuyant le gouvernement du président Vladimir Poutine et la guerre en Ukraine. Les militants russes pro-démocratie dans ce pays des Balkans affirment désormais qu’au moins une douzaine d’entre eux ont récemment fait l’objet d’une interdiction d’entrée ou ont perdu leur permis de séjour au motif qu’ils constituent une menace pour la sécurité de la Serbie.
Au moins huit autres ont peur de parler publiquement de leurs problèmes juridiques avec les autorités serbes, craignant que cela ne compromette leurs chances de rester dans le pays avec leurs familles, affirment des militants russes antiguerre.
Les militants des droits de l'homme affirment que les problèmes de résidence témoignent d'une relation étroite entre le président serbe, Aleksandar Vucic, de plus en plus autocratique, et Vladimir Poutine, malgré la candidature officielle de la Serbie à l'UE. M. Vucic a refusé de se joindre aux sanctions occidentales contre l’allié slave traditionnel tout en permettant aux médias de propagande de Moscou tels que RT et Spoutnik de diffuser leur discours dans les Balkans.
«Les autorités de Belgrade et celles de Moscou sont politiquement très proches», a pointé Predrag Petrovic, coordinateur de recherche au Centre de politique de sécurité de Belgrade, un groupe de réflexion indépendant qui a demandé des explications au ministère de l'Intérieur sur les mesures prises contre les Russes.
«Les personnes qui critiquent le régime de Poutine représentent une grande menace pour le régime de Moscou, a ajouté M. Petrovic. C’est pourquoi ces personnes sont ciblées par les autorités serbes.»
Jusqu’à présent, les responsables serbes n’ont pas commenté les cas signalés impliquant des citoyens russes, et le ministère serbe de l’Intérieur n’a pas répondu à un courriel de l’Associated Press demandant une entrevue ou un commentaire sur la question.
Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a deux ans, de nombreux Russes sont venus en Serbie parce qu'ils n'ont pas besoin de visa pour entrer dans cet État ami situé dans les Balkans et qui représente un tremplin potentiel pour une éventuelle émigration vers l'Occident. Beaucoup évitaient la conscription, tandis que d’autres, comme la famille Koposova, arrivée plus tôt, en avaient tout simplement assez du gouvernement de Vladimir Poutine et cherchaient une vie meilleure quelque part en dehors de la Russie.
Peter Nikitin, l'un des fondateurs de la Société démocratique russe, pro-démocratie, a lui-même passé deux jours à l'aéroport de Belgrade l'été dernier lorsque son permis d'entrée lui a été retiré, bien qu'il ait une épouse serbe et vive en Serbie depuis sept ans. M. Nikitine a ensuite été autorisé à entrer dans le pays, mais une procédure judiciaire concernant ses papiers de résidence est en cours.
«Je n'ai aucun doute sur le fait que cela se fait sur ordre direct de la Russie, soit via l'ambassade, soit directement depuis Moscou», a insisté M. Nikitine, dont le groupe a également organisé des manifestations contre la guerre en Ukraine et des manifestations réclamant la liberté des prisonniers politiques.
Il a fait remarquer que parmi les autres militants antiguerre qui ont fait l'objet d'un examen minutieux par les autorités serbes se trouve le fondateur du groupe RDS, Vladimir Volokhonsky, qui vit désormais en Allemagne. Sont également sous sanctions Eugène Irjanski, qui a organisé des concerts de groupes anti-Poutine en Serbie et qui a depuis déménagé en Argentine, et Ilya Zernov, un jeune Russe qui s'est vu interdire de retourner en Serbie après avoir été agressé par un parti nationaliste serbe d'extrême droite lorsqu'il a tenté d'effacer une peinture murale appelant à la mort de l'Ukraine, dans le centre de Belgrade.
M. Nikitine a affirmé que le but de ces mesures est d'intimider les militants antiguerre.
«La seule explication à cela, c'est qu'ils veulent effrayer tout le monde, a-t-il soutenu. Parce que si vous ne pouvez pas signer une lettre contre la guerre, vous ne pouvez vraiment rien faire. Et cela a un effet dissuasif.»
Les relations étroites entre la Serbie et la Russie remontent à plusieurs siècles et les deux pays partagent également une origine slave commune et la religion chrétienne orthodoxe. La Russie a soutenu la tentative de la Serbie de conserver ses revendications sur le Kosovo, une ancienne province qui a déclaré son indépendance en 2008 avec le soutien de l’Occident.
La Serbie et la Russie entretiennent également des liens étroits entre leurs services de sécurité.
Pour Mme Koposova, la décision des autorités serbes de l'expulser du pays signifie qu'elle et sa famille pourraient tout perdre si son appel est rejeté.
La famille ne peut pas retourner en Russie parce qu’elle a vendu tous ses biens, qu’elle est désormais qualifiée d’anti-Poutine et que son mari pourrait être enrôlé dans l’armée pour combattre en Ukraine, a déploré Koposova.
«Cette maison est notre seule maison, la seule maison que possèdent nos enfants», s'est-elle désolée, les larmes aux yeux.