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L’importance de la santé mentale est sur toutes les lèvres. Pourtant, l’étonnement demeure entier lorsqu’un restaurateur décide de fermer ses portes le temps de se reposer. Serions-nous prêts à accepter moins d’heures d’ouverture des commerces?
«Il était une fois, les magasins n'étaient pas ouverts le dimanche, et la semaine, ils fermaient de bonne heure. Personne ne criait: "Oh mon Dieu, quelle horreur!"», rappelle Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations.
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«Je pense que c'est plutôt rare que les entrepreneurs ferment leur entreprise le temps des vacances, soulève-t-elle. Je ne sais pas si c'est parce qu'ils ne savent pas si c'est possible de le faire ou c'est parce que le type d'activité ne leur permet pas de faire ça.»
Pourtant, certains secteurs parviennent à prendre des vacances. N’essayez pas de trouver un chantier ouvert à la fin du mois de juillet. Les employés de la construction abandonnent leurs outils pour deux semaines afin de profiter des rayons du soleil. «On estime, dans ce secteur de l'industrie, que les ouvriers qui travaillent sur des chantiers de construction méritent, comme tout le monde, de prendre deux semaines de vacances durant l'été», illustre-t-elle.
Selon cette dernière, une bonne intention se cache derrière ce désir de ne jamais fermer. On ne veut priver personne de l'accès à des commerces. «Il faut un peu discipliner la population pour leur dire: "écoutez, il y a des services dont vous pouvez profiter sur des heures normales". Il faut être plus audacieux», ajoute-t-elle.
Certaines entreprises n’hésitent toutefois pas à prioriser le bien-être de leur troupe. Quelque temps après l’ouverture de leur café-buvette, les propriétaires du Cafécoquetel, Gabriel Lavallée et Pénéloppe Tancrède, ont pris la décision de fermer afin de se reposer.
«Les premiers six mois, on été vraiment intenses [...] On faisait des journées de 16 heures. On était complètement au bout du rouleau. Un moment, on a décidé de fermer une semaine. Ça va donner un coup financier, mais en même temps, si on continue, on ne sera pas capable de garder la business à long terme», se souvient M. Lavallée accoudé à une table de l’établissement de Villeray.
Gabriel Lavallée et Pénéloppe Tancrède, propriétaires du Cafécoquetel
Ces derniers ont pris une décision similaire pour le temps des Fêtes cette année. «On travaille comme des fous derrière le bar tout le temps. On adore ce qu’on fait. Mais ça a un coût émotionnel, ça a un coût d'énergie aussi. On a besoin de recharger les batteries pour être de retour en force. Nos familles sont disponibles en ce moment-là, on a envie de ne pas manquer ce moment-là non plus», explique-t-il.
Ces choix ne sont pas étrangers à la philosophie qui se cache derrière l’entreprise. «On voulait préserver une vie professionnelle qui était saine en restauration. On a décidé de toujours fermer deux jours dans la semaine. Les mardis et mercredis, on est fermés. Nos clients nous demandent énormément d'ouvrir sept jours sur sept, mais pour nous, c'est vraiment une priorité que tout le monde ait une semaine de travail normale», poursuit Mme Tancrède.
Si la restauration est souvent vue comme un domaine d’emploi à court terme ou relié à la vie nocturne, le Cafécoquetel souhaite ainsi offrir une avenue différente à ses employés. «Il y a peut-être une frange des gens qui font de la restauration, qui est peut-être moins représentée. Et il y a des gens qui veulent avoir des familles. Pour vouloir avoir des familles ou pour vouloir faire de la restauration à long terme, il faut peut-être pouvoir envisager qu'il y a des conditions qui sont liées à ça», croit Mme Tancrède.
De son côté, la boutique Bouche Bée a décidé de fermer deux à trois semaines en janvier afin d’avoir un objectif commun de repos. Toujours fermé le lundi, le dimanche devient également une journée de fermeture en fonction des saisons.
«Au début, sur la rue, j'ai remarqué que j'étais la seule à proposer ça et à faire ça sans trop me poser de questions», raconte en riant la propriétaire, Marie Letard.
Marie Letard, propriétaire boutique Bouche Bée
«La méthode peut paraître un peu différente de penser au bien-être, à la santé de l'équipe, à la santé mentale et au confort de travail plutôt que “chiffres”, “rentabilité”, “croissance”, etc. Mais c'est aussi comme ça qu'est née mon entreprise. En fait, moi, j'ai créé mon entreprise, pas pour faire de l'argent, mais pour me créer un emploi que j'aimais et qui était compatible avec ce que j'avais envie d'avoir comme mode de vie», explique-t-elle.
Bien qu’elle se sente parfois à contre-courant en proposant une façon différente de gérer son équipe, Mme Letard considère que la méthode a toujours été gagnante.
Sans surprise, plusieurs avantages seraient associés à ces fermetures. «Le fait de fermer les affaires durant une période, ça soulage le sentiment de responsabilité qu'on a envers son employeur. Quand tout le monde revient, on est au même niveau, tout le monde est égal, on met la balle au milieu, puis on recommence à jouer», explique Estelle Morin.
Marie Letard a également noté «de gros avantages» notamment sur l'énergie de l'équipe. «C'est motivant et c'est rassurant aussi de savoir que la personne qui est à la tête de l'entreprise a conscience que c'est nécessaire», assure-t-elle.
Même son de cloche du côté du Cafécoquetel, qui considère que son équipe partage un sentiment de famille. «Ça fait en sorte qu'on a plus de temps pour poser des questions de qui veut quoi et de ce qui est vraiment viable ou non», ajoute Mme Tancrède.