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Au moins 10 % des personnes qui ont eu la COVID-19 risquent de contracter la COVID longue. Une maladie encore méconnue, et souvent débilitante. Des Québécois qui vivent avec la maladie s'indignent du silence de Québec sur leur souffrance.
Depuis un an et demi, la vie de Claudia Hébert est en suspens. L’étudiante-athlète de 30 ans n’a plus la force de suivre ses cours à la maîtrise en médecine vétérinaire à l’Université de Montréal. Elle ne s’entraîne plus, et peine à accomplir certaines tâches du quotidien. Comme des milliers de Québécois, la jeune femme est affligée par la COVID longue, une complication de la COVID-19 encore mal comprise par le milieu médical.
«En ce moment, il faut que je dorme au minimum 12 heures par nuit, en plus de prendre des périodes de repos entre chaque activité parce que c’est une fatigue qui n’a plus de fin», raconte la jeune femme. Elle peine à se concentrer et doit prendre des notes pour éviter de perdre le fil de ses conversations. Une dizaine de minutes devant un écran d’ordinateur suffisent à lui donner des maux de tête insoutenables.
«Je suis la même personne dans ma tête, mais je n’ai juste plus de contrôle sur mon corps.» — Claudia Hébert
Claudia et trois autres personnes aux prises avec la maladie se sont confiées à Noovo Info sur le calvaire qu’elles traversent depuis qu’elles sont officiellement «guéries» de la COVID-19. Membres d’un groupe d’entraide Facebook regroupant plus d’un millier de personnes, elles urgent le gouvernement Legault d’accorder davantage d’attention à la maladie.
Jusqu’à tout récemment, la communauté médicale ne parvenait même pas à s’entendre sur la définition même de la maladie. Ce n’est que le 8 octobre dernier que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté une première définition officielle de la maladie émergente.
Selon l’organisation, la «maladie post-COVID» survient chez les personnes ayant eu une infection «probable ou confirmée» à la COVID-19 et qui ont des symptômes persistants au moins 12 semaines après la maladie.
Ces symptômes comprennent souvent de la fatigue intense, de l'essoufflement ou des problèmes cognitifs, «mais aussi d'autres qui ont généralement un impact sur le fonctionnement quotidien», souligne l’OMS. Si les symptômes persistent parfois depuis la maladie initiale, il arrive également qu’ils apparaissent après qu’une personne se sente complètement rétablie de la COVID-19.
C’est ce qui est arrivé à Cäcilia Lauenstein, 45 ans. En septembre 2020, alors qu’elle se remettait de son infection initiale — comparable, pour elle, à une «grosse grippe» — que sa vie a basculé.
«En une journée, tout a viré à 180 degrés. J’ai commencé à avoir des problèmes respiratoires très importants. Et à partir de ce moment-là, c’est allé toujours en déclinant», décrit-elle.
Depuis, la professeure de musique est en arrêt de travail. Celle qui gagnait sa vie en chantant reprend maintenant péniblement son souffle entre chaque phrase.
Photo: Avant d’avoir la COVID longue, Cäcilia Lauenstein dirigeait notamment une chorale. Crédit: Courtoisie
«On n’a pas de données québécoises sur la prévalence de la COVID longue», explique Simon Décary, qui siège au conseil scientifique du réseau québécois COVID-pandémie. À l’international, le taux de prévalence varie énormément d’une étude à l’autre, en fonction de la méthodologie utilisée.
«L’estimé le plus conservateur qu’on a, à l’heure actuelle, c’est qu’entre 10 et 15 % de toutes les personnes qui contractent la COVID-19 vont avoir des symptômes persistants après 12 semaines», précise celui qui est aussi chercheur au Laboratoire de recherche sur la réadaptation axée sur le patient de l'Université de Sherbrooke.
Pour l’heure, aucun traitement médical spécifique n’est reconnu pour la COVID longue au Québec, selon l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS). Les lignes directrices fournies par l’organisme soulignent que la prise en charge de la maladie «doit être pragmatique, symptomatique et personnalisée», ce qui donne lieu à beaucoup d’essais et d’erreurs.
«Je dirais que le système médical n’a pas grand chose à nous proposer pour qu’on aille mieux», déplore Claudia Hébert. «C’est vraiment par soi-même qu’il faut s’organiser.»
Avec l’aide de l’équipe médicale des Carabins, elle a par exemple découvert que des traitements de physiothérapie réguliers lui apportent un peu de répit.
«Ça me soulage énormément, mais juste sur le coup, explique-t-elle. Mais pour les personnes qui ont la COVID longue, juste avoir deux ou trois heures de soulagement dans une journée, vous n’avez pas idée à quel point c’est un moment de bonheur.»
Si aucun protocole standard n’a encore été trouvé pour traiter les symptômes de la COVID longue, les patients peuvent souvent gagner à être orientés vers un professionnel en réadaptation, comme un physiothérapeute ou un ergothérapeute, selon l’INESSS.
«Mais c’est une nouvelle façon de faire de la réadaptation, ce ne sont pas des protocoles d’exercices», insiste le chercheur, qui s’attèle depuis plusieurs mois à mieux outiller les professionnels de la santé qui traitent ces patients.
Les patients atteints de la COVID longue doivent apprendre à respecter leur capital énergétique, et planifier leurs activités quotidiennes pour s’assurer de ne pas dépasser leurs limites, sans quoi elles risquent une rechute.
«L’ergothérapeute m’a appris à reconnaître les choses que je faisais qui me faisaient perdre mon énergie, témoigne Francis Duclos, un professionnel de la santé qui vit avec la COVID longue depuis plus d’un an. On a souvent tendance à se dire que plus on fait d’exercice, plus vite on va revenir en santé. Avec la COVID longue, c’est le contraire.»
Marie-Isabelle Marchand l’a appris à la dure. L’automne dernier, alors qu’elle était suivie depuis plusieurs mois pour sa COVID longue, elle a décidé de reprendre la course à pied, contre l’avis de son médecin.
En quelques semaines, ses petites séances de jogging d’une ou deux minutes l’ont renvoyée à l’hôpital, en détresse respiratoire sévère. Cet épisode lui a coûté une grande partie des progrès qu’elle avait accomplis au cours des mois précédents.
«J’étais une fille qui ne restait pas en place. Maintenant, il faut que je réfléchisse: est-ce que je suis capable de mettre mes pantoufles? De monter l’escalier?» — Marie-Isabelle Marchand
Les données ne permettent pas pour l’instant de prédire l’effet du variant Omicron sur le taux d’incidence de la COVID longue. Mais compte tenu de la magnitude de la cinquième vague d’infections qui frappe présentement le Québec, «il ne fait absolument aucun doute qu’il y aura des cas de COVID longue après Omicron», a déclaré le Dr Gaston De Serres, épidémiologiste à l’Institut national de santé publique, dans une entrevue accordée récemment à CTV News.
Dans ce contexte, les patients s’expliquent mal le silence radio de Québec.
«Je trouve ça négligeant du gouvernement, qui n’en parle pas assez, qui ne montre pas aux gens ce que c’est, la COVID longue», s’indigne Cäcilia Lauenstein. Un sentiment auquel ont fait écho toutes les personnes qui se sont confiées à Noovo Info pour ce reportage.
Certains ont dit ressentir de la colère face au mutisme des autorités québécoises au sujet de la COVID longue. Pour d’autres, comme Marie-Isabelle Marchand, ce sentiment d’être «abandonnée et ignorée» par un système auquel elle a consacré sa vie comme travailleuse de la santé, a provoqué une grande détresse psychologique.
«Le gouvernement parle du nombre d’hospitalisations, du nombre de morts. Mais les survivants? Il ne parle pas de nous, il ne dit pas notre souffrance», se désole-t-elle.
De son côté, Québec se défend bien d’ignorer la maladie. «MM. Legault et Dubé sont bien au fait de la COVID longue», a assuré le cabinet du premier ministre François Legault dans une déclaration envoyée à Noovo Info.
Trois cliniques post-COVID ont déjà été mises en place à Sherbrooke, à Montréal et en Montérégie-Ouest, rappelle-t-on, en ajoutant que l’INESSS «travaille depuis plusieurs mois sur des outils pour soutenir les professionnels dans la prise en charge de ces patients».
«Nous ne laisserons personne derrière et nous offrirons des services à tous les Québécois atteints de la COVID longue, comme toute autre maladie», promet le cabinet de M. Legault.
Crédit: Jacques Boissinot / La Presse canadienne
Une promesse qui ne convainc pas Simon Décary.
«Je vous défie de compter le nombre de fois où les mots “COVID longue” ont été prononcés dans une conférence de presse [du gouvernement québécois]. Je vais vous le dire: une fois, par le Dr Arruda et une fois par [le ministre de la Santé] Christian Dubé, à mots couverts», soutient-il.
Pour le professeur-chercheur, il est évident que Québec ignore la maladie pour des considérations politiques.
«Reconnaître la COVID longue, c’est reconnaître les failles qu’on a dans les soins de réadaptation au Québec», juge-t-il.
Les soins de réadaptation et en santé mentale, deux piliers du traitement de la COVID longue, sont aussi deux des secteurs où les soins étaient les plus difficilement accessibles, même avant la pandémie, souligne M. Décary.
À la fin de l’année 2018, près de 20 000 Québécois étaient en attente d’un rendez-vous en physiothérapie dans le système de santé public, selon l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec.
«En ce moment, les quelques cliniques de COVID longue au Québec sont remplies à craquer. Chaque cas de COVID longue de plus, on n’a pas vraiment de structure pour s’en occuper», ajoute M. Décary.
Par exemple, la liste d’attente de la clinique post-COVID de l’Institut de recherches cliniques de Montréal, frôlait déjà les 1000 patients le printemps dernier.
«Est-ce que Québec est au courant de la COVID longue? Oui. Est-ce qu’ils en parlent ouvertement? Non.» — Simon Décary
«On a des discussions régulières avec le ministère [de la Santé et des Services sociaux] pour trouver comment répondre à tous ces gens qui vont se présenter tout d’un coup avec la COVID longue», assure le président de l’OPPQ Denis Pelletier.
Pour répondre à la pression accrue, il affirme que des démarches sont en cours «tant au collégial qu’au niveau universitaire» pour former davantage de physiothérapeutes et des technologues en physiothérapie. On souhaite aussi miser davantage sur la télé-thérapie et sur les ateliers de groupes.
En attendant, les histoires de ces oubliés de la pandémie ont de quoi faire réfléchir ceux qui minimisent la gravité de la pandémie.
«Si quelqu’un ne veut pas se faire vacciner, c’est de ses affaires. On a le droit d’avoir tout le monde des opinions différentes, moi je respecte ça», philosophe Claudia Hébert.
«Mais je vous le dis, avoir la COVID longue… Moi j’étais sur le point de devenir vétérinaire, de m’acheter un terrain, d’avoir une maison. Ça fait un an et demi que ma vie est sur pause. Et il n’y a pas de traitement. Je ne sais même pas quand je vais aller mieux. Est-ce que je vais pouvoir un jour aller mieux?»