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La première semaine du procès civil du fondateur de Juste pour rire s’est conclue vendredi avec un cinquième témoignage.
La comédienne Danie Frenette a témoigné vendredi au procès civil de Gilbert Rozon. Elle allègue avoir été violée par l’homme d’affaires en 1988, et lui réclame 2,2 millions de dollars en dommages.
À la barre, Mme Frenette a raconté s’être sentie «comme une survivante d’un bombardement» en sortant du boisé où Gilbert Rozon l’aurait violée, en marge d’une fête organisée chez lui avec d’autres employés de Juste pour rire.
La comédienne a commencé à travailler chez Juste pour rire à l’automne 1987. Gilbert Rozon était son patron. Les gestes allégués se seraient déroulés en juillet de l’année suivante.
Durant son témoignage devant la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure du Québec, Mme Frenette a raconté qu’elle discutait avec quelques collègues rassemblés dans la cour de la maison de M. Rozon lorsque celui-ci lui aurait demandé de le suivre parce qu’il voulait lui dire quelque chose.
Il l’aurait alors entraînée vers un petit boisé un peu plus loin.
« Je fige, je fige de honte, je ne comprends pas ce qui se passe, il fait beau, le ciel est bleu, c’est l’été, c’est en plein jour, je comprends pas ce qui se passe», a-t-elle exprimé.
Lors du contre-interrogatoirie, l'avocate de Gilbert Rozon a remis en question l'endroit de la présumée agression, ainsi que la présence d'un boisé près de la résidence de son client. Elle a aussi exprimé des doutes quant à la possibilité qu'une fête ait eu lieu chez lui, alors que le festival Juste pour rire n'était pas terminé.
À la barre vendredi, Mme Frenette a raconté deux autres événements où Gilbert Rozon l’aurait agressée sexuellement, entre juillet et septembre 1988.
Peu de temps après la fête chez M. Rozon où elle affirme avoir été violée, Danie Frenette participe à un souper d’employés dans un restaurant de la rue Saint-Denis, à Montréal.
Après l’événement, Gilbert Rozon lui aurait offert de la raccompagner en voiture, mais l’aurait plutôt emmenée sur l’île Sainte-Hélène. Elle affirme que l’homme lui aurait ensuite caressé les seins sans son consentement avant de la raccompagner chez elle.
À voir aussi : «J'ai eu peur de mourir»: Patricia Tulasne témoigne au procès civil contre Gilbert Rozon
Quelques semaines plus tard, Gilbert Rozon se serait présenté chez Mme Frenette, où il l’aurait violée une nouvelle fois. Mme Frenette a affirmé lors de son témoignage ne pas comprendre pourquoi elle avait laissé entrer l’homme chez elle.
Questionnée à ce sujet par la procureure, elle a répondu qu’elle était «comme sous son emprise, sous son joug».
Après cette deuxième agression, Mme Frenette affirme se sentir «comme anesthésiée émotionnellement».
«Je suis comme un peu zombie, figée, pas d’émotions, rien. [...] C’est comme si j’étais morte à l’intérieur. Je ne ressentais rien», a-t-elle dit.
M. Frenette a aussi affirmé que Gilbert Rozon lui a demandé d’être sa maîtresse en novembre 1988. Elle aurait dit non.
En 1990, elle sera congédiée.
Danie Frenette a brisé le silence pour la première fois en 2017. Selon elle, il aurait été «suicidaire» de dénoncer Gilbert Rozon plus tôt. «On ne m’aurait jamais cru», juge-t-elle. «Il avait le pouvoir, la gloire, la richesse et des amis influents.»
Mme Frenette a affirmé à la Cour vendredi que les conséquences des gestes qu’elle reproche à Gilbert Rozon sont grandes alors qu’elle aurait notamment développé des symptômes d’anxiété posttraumatique.
Danie Frenette aurait consulté un psychiatre dans le milieu des années 90. «J’étais une loque, je n’étais plus rien», a-t-elle confié.
Un spécialiste lui prescrit alors des antidépresseurs et des anxiolytiques. «Depuis ce temps, je prends des médicaments. Ces médicaments servent à me tenir en vie.»
Mme Frenette a aussi raconté que les agressions commises par Gilbert Rozon ont mis un frein à sa carrière pourtant prometteuse.
«Ça a changé ma vie, je pense que j’aurais pu avoir une meilleure qualité de vie. J’étais sur une pente ascendante qui a piqué du nez. J’aurais sûrement fait plus de sous que de me retrouver dans une situation précaire», a-t-elle dit.
Danie Frenette a aussi confié que les agressions ont eu des conséquences sur sa vie de famille. « Ma fille a eu une mère brisée, parce que souvent je ne voulais plus vivre», a-t-elle confié.
Le 27 novembre 2017, le groupe des «Courageuses», composé d'une vingtaine de femmes disant avoir été agressées par Gilbert Rozon, a déposé une demande d’action collective contre le producteur. Bien que la demande ait été autorisée le 22 mai 2018, Rozon a pu interjeter appel le 16 mai 2019.
Au début de l’année 2020, la Cour d’appel du Québec a infirmé le jugement qui autorisait l’action collective des Courageuses, jugeant qu’il ne s’agissait pas du mode de procédure approprié pour une telle affaire.
Les plaignantes ont déposé une demande de permission d’appel à la Cour suprême du Canada, mais elle a été refusée.
En parallèle, Gilbert Rozon avait été acquitté lors d’un procès criminel en 2020. La juge Mélanie Hébert avait alors statué qu’il y avait un doute raisonnable quant à la version des faits rapportée par la plaignante Annick Charette.
Alors que le fardeau de la preuve doit être démontré hors de tout doute raisonnable lors d'une poursuite au criminel, au civil l'objectif est plutôt de démontrer qu'une version des faits est plus vraisemblable que l'autre.
S’ensuivent les dépôts successifs de neuf poursuites individuelles contre Gilbert Rozon, soit celles de Mme Charlebois, de Mme Courcelles, de Mme Charrette, de Patricia Tulasne (porte-parole des Courageuses», de Danie Frenette, d’Anne-Marie Charette, de Sophie Moreau, de Martine Roy et de Mary Sicari. Les neuf femmes font partie des 77 personnes qui doivent témoigner au cours de 43 jours de l'audience, qui durera jusqu'à la fin mars devant la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure du Québec.
En collaboration avec Jennifer Gravel, Noovo Info et avec des informations de La Presse canadienne.