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Avertissement: cet article comprend des détails qui pourraient ne pas convenir à tous les lecteurs.
Jour 2 du procès civil commun intenté contre Gilbert Rozon, magnat déchu de l’humour québécois. À la barre, Guylaine Courcelles, qui a raconté comment elle aurait été agressée sexuellement par le fondateur de Juste pour rire en 1987 – comme l’auraient été huit autres plaignantes.
Avertissement: cet article comprend des détails choquants qui pourraient ne pas convenir à tous les lecteurs.
La description des événements faite par cette ex-employée de Juste pour rire mardi au palais de justice de Montréal comprend des éléments troublants, incluant le moment où M. Rozon, alors patron de l’entreprise, se serait masturbé et aurait éjaculé sur elle.
Voyez le compte-rendu de Marie-Michelle Lauzon dans la vidéo ci-haut.
Guylaine Courcelles ne faisait pas partie des «Courageuses», mais quand elle a vu que d’autres femmes avaient été agressées, elle a eu le courage d’aller porter plainte. La honte l’empêchait de parler; pour elle, dénoncer signifiait ne pas être crue, a-t-elle souligné.
Mme Courcelles a finalement porté plainte au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) le 28 octobre 2017. Son témoignage à l’actuel procès est partagé au lendemain de celui de Lyne Charlebois, qui est revenue elle aussi sur son expérience en ouverture lundi. Cette autre victime présumée a livré un témoignage poignant à Montréal, revenant sur le viol présumé qui serait survenu en 1982 dans la résidence de M. Rozon.
Comme pour Mme Charlebois, Mme Courcelles, qui réclame la somme de 1,9 million $ en dommages-intérêts compensatoires et punitifs, dit avoir été agressée chez M. Rozon. Voici le contenu de son témoignage.
L’agression sexuelle alléguée à l’endroit de Guylaine Courcelles serait survenue quand elle avait 22 ans. Elle commençait alors à travailler pour Juste pour rire, comme contractuelle. M. Rozon était président et son bureau se trouvait au même étage qu’elle, à son souvenir.
Selon son témoignage, l’ambiance au travail était agréable à l’époque; elle aimait travailler sur ces lieux. «[C’était] comme une grande famille», selon sa description.
Mais Mme Courcelles décrit M. Rozon comme un homme qui faisait souvent des commentaires déplacés, des remarques à connotations sexuelles auprès des femmes au travail. À un moment, il aurait parlé de sa sexualité avec sa femme avec elle, ce qu’elle n’appréciait pas.
D’après Mme Courcelles, personne ne dénonçait ces propos; ses commentaires déplacés étaient acceptés, d’après elle.
Malgré tout, Guylaine Courcelles souhaitait rester dans la compagnie après son contrat, ce qu’elle a manifesté à Gilbert Rozon. Il lui aurait alors répondu que ça serait effectivement plaisant d’apprendre à la connaître, pour voir ses aspirations, ce qu’elle aimerait faire dans la boîte et s’il y a de la place pour elle dans l’organisation. Il lui aurait dit qu’il allait trouver un moment pour la rencontrer, mais n’avait plus eu de retour de sa part.
Guylaine Courcelles dit avoir croisé M. Rozon par après et avoir saisi l’occasion de revenir sur le sujet. À ce moment, plutôt que de prendre le temps pour une rencontre formelle parce que trop occupé le jour en raison du travail selon ce dont se souvient la plaignante, il lui aurait proposé d’aller prendre un verre dans un 5 à 7 dans un bar pour aborder les possibilités qui s’offriraient à elle au sein de Juste pour Rire.
Mme Courcelles se souvient d’avoir été impressionné par cette offre du grand patron, mais n’était pas à l’aise pour autant.
Qu’à cela ne tienne, l’employée aurait quitté le travail avec le manitou à bord de sa voiture après le travail ce jour-là, relate-t-elle. Elle se demandait pourquoi ils partaient en voiture, car il y avait plusieurs bars à proximité.
Une fois dans la voiture, M. Rozon lui aurait dit: «On va juste faire un détour chez moi, je dois aller régler un problème électrique, je dois aller allumer des foyers», à sa mémoire.
Une fois arrivés chez lui, elle aurait attendu dans un petit salon au rez-de-chaussée alors qu'il serait parti allumer des foyers dans sa résidence.
En revenant, il aurait dit: «Puisqu’on est ici, on pourrait rester. J’ai tout ce qu’il faut pour prendre un verre. Je vais aller te reconduire après.» Mme Courcelles se souvient d’avoir partagé à Gilbert Rozon qu’elle aurait été plus à l’aise dans un bar.
M. Rozon n’aurait pas accédé à cette demande et lui aurait rapporté un verre d’armagnac – un alcool fort. Ce verre était «énorme», à son souvenir.
Aurait suivi une conversation de longues heures; ils auraient mangé ensemble.
Mais à un certain moment, Rozon, prétextant les effets de l’alcool, aurait dit à Guylaine Courcelles qu’il ne pouvait pas aller la reconduire chez elle. C’est alors qu’il l’aurait invitée à regarder les chambres d’invité pour choisir l’une d’elles et y passer la nuit.
«C’était un peu drôle tout ça pour moi, mais il n’y avait pas de signes déplacés», raconte Mme Courcelles. Elle se serait alors couchée dans l’une des chambres, soulagée que la soirée se termine.
Elle aurait alors entendu Gilbert Rozon dire qu’il allait prendre une douche, ce qu’elle a trouvé bizarre.
Mme Courcelles se serait ensuite couchée dans le lit. Peu de temps après, Rozon serait apparu nu avec une serviette à la taille dans le cadre de porte. Puis, il se serait étendu dans le lit et aurait tenté de l’embrasser. Elle l’aurait repoussé, lui disant de faire preuve de respect pour sa femme s’il n’était pas capable d’en faire preuve pour elle-même.
«Ne t’en fais pas avec ça, j’ai une entente avec ma femme», aurait répondu Gilbert Rozon, selon le témoignage de Guylaine Courcelles, qui dit avoir réalisé à ce moment que son patron voulait avoir une relation sexuelle avec elle, ce qu’elle aurait refusé.
L’employée de Juste pour rire ne voulait pas que son patron l’embrasse. Elle lui aurait alors fait dos dans le lit et mis ses mains en X sa poitrines pour l’empêcher qu’il touche ses seins.
Mme Courcelles se souvient s’être senti piégée.
Ensuite? «Je l’ai senti se masturber et il a éjaculé dans mon dos», dit-elle. Elle ne voulait pas voir son corps, son pénis – elle était dégoutée, se souvient-elle.
Gilbert Rozon aurait passé la nuit avec elle dans ce lit, selon le témoignage de Guylaine Courcelles. Le lendemain, toujours dans le lit, il aurait fait un appel d’affaires devant elle, comme si de rien n’était. Ils auraient ensuite quitté ensemble pour le travail.
Estomaquée, Guylaine Courcelles serait revenue au travail avec le même linge que la veille, des souvenirs flous et le sentiment d’être «nounoune», en plus d’entretenir de la colère, de la honte et de la culpabilité envers elle-même.
Au bureau, Gilbert Rozon aurait agi comme si de rien n’était et Mme Courcelles dit qu’elle ne se sentait plus en sécurité. Elle lui aurait alors témoigné son mécontentement en devenant froide, bête. Plus tard, le patron de Juste pour rire lui aurait demandé pourquoi elle agissait de la sorte – elle n’en revient pas qu’il poste cette question, selon son témoignage.
M. Rozon et Mme Courcelles se seraient croisés dans un événement ultérieur. Il lui aurait à nouveau demandé pourquoi elle agissait ainsi. «Je ne peux pas croire que tu me demandes ça», aurait-t-elle répondu, selon son témoignage livré mardi.
M. Rozon a alors fait mine de ne pas se souvenir de tels événements, à la suite desquels Guylaine Courcelles dit avoir subi de tragiques conséquences: manque de confiance en elle, relations sexuelles «impossibles», colère, honte, multiples dépressions, arrêt de travail, séquelles psychologiques, plusieurs thérapies… Elle a été déclarée inapte au travail, a-t-elle relaté dans un témoignage émotif en salle de cour.
«Je me suis créé une carapace et je suis toujours incapable de m’en défaire», affirme-t-elle.
Le 27 novembre 2017, le groupe des «Courageuses», composé d'une vingtaine de femmes disant avoir été agressées par Gilbert Rozon, a déposé une demande d’action collective contre le producteur. Bien que la demande ait été autorisée le 22 mai 2018, Rozon a pu interjeter appel le 16 mai 2019.
C’est toutefois ce qui a poussé Guylaine Courcelles à aller témoigner.
«Pour moi, dénoncer ça voulait dire ne pas être crue, quand j’ai vu les autres femmes le faire, ça m’a soulagée. J’ai voulu envoyer un message clair qu’on ne peut plus tolérer ce genre de comportement», a-t-elle indiqué.
Au début de l’année 2020, la Cour d’appel du Québec a infirmé le jugement qui autorisait l’action collective des Courageuses, jugeant qu’il ne s’agissait pas du mode de procédure approprié pour une telle affaire.
Les plaignantes ont déposé une demande de permission d’appel à la Cour suprême du Canada, mais elle fut refusée.
En parallèle, Gilbert Rozon avait été acquitté lors d’un procès criminel en 2020. La juge Mélanie Hébert avait alors statué qu’il y avait un doute raisonnable quant à la version des faits rapportée par la plaignante Annick Charette.
Alors que le fardeau de la preuve doit être démontré hors de tout doute raisonnable lors d'une poursuite au criminel, au civil l'objectif est plutôt de démontrer qu'une version des faits est plus vraisemblable que l'autre.
S’ensuivent les dépôts successifs de neuf poursuites individuelles contre Gilbert Rozon, soit celles de Mme Charlebois, de Mme Courcelles, de Mme Charrette, de Patricia Tulasne (porte-parole des Courageuses», de Danie Frenette, d’Anne-Marie Charette, de Sophie Moreau, de Martine Roy et de Mary Sicari. Les neuf femmes font partie des 77 personnes qui doivent témoigner au cours de 43 jours de l'audience, qui durera jusqu'à la fin mars devant la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure du Québec.
Avec de l'information de Jennifer Gravel pour Noovo et de La Presse canadienne.