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Chrystia Freeland mentionne pour la première fois une possible «récession» noir sur blanc.
Un ralentissement économique important, voire une récession, est inévitable, insiste le gouvernement Trudeau dans sa mise à jour budgétaire dévoilée jeudi, mais le Canada est prêt à l'affronter avec des mesures annoncées comme responsables et ciblées.
«Notre économie ralentit», a déclaré jeudi la ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland, en présentant son énoncé économique de l'automne, à la Chambre des communes.
Mme Freeland, qui mentionne pour la première fois une possible «récession» noir sur blanc dans le document déposé, a expliqué vouloir être «honnête» avec les Canadiens face à ce que subiront «toutes les économies du monde, grandes et petites». La croissance économique du Canada a été révisée considérablement à la baisse par rapport au budget du printemps dernier, passant de 3,1 % à 0,7 % pour l'exercice 2022-2023.
«Mais nous serons prêts», a-t-elle assuré, comparant le filet social canadien à «une maison bien construite, coiffée d'un toit solide».
À quelques reprises dans son discours, Mme Freeland a envoyé des flèches à l'opposition conservatrice. «Nous allons continuer de tenir tête à ceux qui veulent réduire l'assurance-emploi et les pensions», en référence à la demande de geler les taux de cotisation.
Les derniers mois ont permis au gouvernement de renflouer ses coffres bien plus qu'espéré et de faire fondre le déficit, lequel passe de 52,8 milliards $ à 36,4 milliards $, ce qui représente désormais 1,3 % du produit intérieur brut (PIB). Le pays affiche ainsi «le plus faible déficit et le plus faible ratio de la dette/PIB du G7», a souligné Mme Freeland.
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Le gouvernement projette pour la première fois depuis qu'il est au pouvoir un retour à l'équilibre budgétaire. Il se produirait à l'exercice 2027-2028. La ministre l'attribue à la reprise «remarquablement forte» après la récession provoquée par la pandémie.
La ministre présente aussi comme un élément d'`ancrage fiscal' l'objectif de réduire les déficits rattachés à la réponse gouvernementale face à la COVID-19.
En conférence de presse, Mme Freeland a expliqué qu'elle a cherché un équilibre entre être «fiscalement responsable» et «faire preuve de compassion». Elle veut éviter que le gouvernement ne «jette de l'huile sur le feu de l'inflation», ce qui pourrait conduire la banque centrale à augmenter d'autant plus les taux d'intérêt.
Or, il y a un «décalage» entre la rhétorique de la ministre par rapport à la prudence budgétaire et la réalité du document, selon un ancien conseiller politique auprès de premiers ministres canadiens sous divers gouvernements libéraux, Robert Asselin. Celui qui est présentement à l'emploi du Conseil canadien des affaires note que le gouvernement projette de dépenser près de la moitié de ses nouveaux revenus générés grâce à l'inflation et la hausse des prix de l'énergie.
«On ajoute 6 milliards $ aux 7 milliards $ qu'on a dépensés depuis le budget, donc on a dépensé 13 milliards $ depuis seulement avril, a-t-il dit en entrevue. Il ne faut pas perdre la notion de ce qu'est un milliard. Au premier budget Trudeau en 2015, les investissements totaux étaient d'environ 10 milliards $.»
Comme La Presse Canadienne l'a révélé mercredi, le gouvernement Trudeau annonce dans son document budgétaire qu'il entend imposer le rachat d'actions par les sociétés.
Ottawa compte implanter dès 2024 une taxe de 2 % «qui s'appliquerait à la valeur nette de tous les types de rachats d'actions par des sociétés publiques au Canada», signale-t-on dans l'énoncé de jeudi.
On fait le pari que cette taxe «encouragerait les sociétés à réinvestir leurs profits dans leurs travailleurs et leur entreprise». Le ministère des Finances calcule que la mesure mènera à une augmentation de 2,1 milliards $ sur cinq ans des revenus de l'État.
M. Asselin se demande si cette mesure nuit à la compétitivité du Canada.
«Si on ajoute une taxe, un impôt corporatif, (?) on ne se rend pas plus compétitif, au contraire, on se rend probablement moins compétitifs par rapport aux pays qui essaient d'attirer l'investissement privé», a-t-il commenté.
Mme Freeland ne partage pas cet avis. En point de presse, elle a souligné que les États-Unis ont mis en place une taxe similaire.
«Tout le monde sait qu'un problème pour le Canada (...) c'est qu'on n'a pas assez d'investissements du côté privé dans la productivité, a-t-elle répondu. J'espère qu'avec cette mesure, on va encourager les entreprises à ne pas payer la taxe, mais de choisir d'investir cet argent dans leur productivité, dans leurs travailleurs.»
Mme Freeland lance aussi, par le biais de sa mise à jour économique, un ultimatum au secteur des cartes de crédit afin de concrétiser une promesse de longue date de réduire les coûts de transactions pour les petites entreprises. En effet, Ottawa a publié jeudi les modifications législatives qu'il propose pour passer de la parole aux actes et indique que «si l'industrie ne parvient pas à une solution convenue au cours des prochains mois», le gouvernement présentera ces mêmes dispositions dès l'an prochain.
Une consultation publique est d'ailleurs lancée jeudi sur ce point ainsi que sur d'autres engagements auxquels le gouvernement Trudeau entend donner suite, comme d'imposer des règles de déclarations de revenus aux plateformes numériques plus rigoureuses que celles actuellement en vigueur.
Une mesure présentée comme centrale dans l'énoncé économique est une proposition pour concrétiser l'idée déjà avancée d'un crédit d'impôt à l'investissement dans la production d'hydrogène propre. Cela se veut une réponse à la Loi sur la réduction de l'inflation de l'administration américaine de Joe Biden.
Le crédit auquel les différents projets seraient admissibles sera déterminé en «s'appuyant sur l'intensité carbonique de l'hydrogène au cours de son cycle de vie», explique-t-on.
Une consultation aura lieu, mais on fait savoir d'emblée qu'il est envisagé que le crédit d'impôt sera d'au moins 40 % pour des projets qui présenteraient un niveau d'intensité «sous le seuil le plus exigeant qui sera établi et qui répondrait à l'ensemble des exigences d'admissibilité». Le crédit sera remboursable, souligne-t-on.
Entre autres mesures annoncées jeudi, Ottawa indique son intention d'éliminer de façon permanente les frais d'intérêts sur tous les prêts étudiants et les prêts canadiens aux apprentis. La mesure, qui serait en place à compter d'avril 2023, coûtera environ 2,7 milliards $ sur cinq ans et 556,3 millions $ ensuite, selon les projections d'Ottawa.
Les partis d'opposition n'ont pas tardé à critiquer le gouvernement Trudeau pour sa mise à jour économique dès le dépôt de celle-ci, jeudi.
Le chef conservateur Pierre Poilievre juge que les libéraux emploient une «stratégie inflationniste».
«Les conservateurs seront debout pour les Canadiens, pour leur chèque de paie, pour leurs maisons, pour leurs économies», a-t-il lancé en Chambre.
Il n'a pas manqué de mentionner que ses troupes allaient voter contre l'adoption de l'énoncé.
«Nous allons hériter de ce désordre, nous tous», a-t-il dit en se retournant vers ses députés alors que le règlement des Communs exige de s'adresser à la présidence. «Nous allons devoir corriger le problème. Nous avons beaucoup de boulot à venir, n'est-ce pas? (...) Le plus tôt cela arrive, le mieux c'est.»
Le Nouveau Parti démocratique (NPD), partenaire du gouvernement Trudeau en vertu d'une entente, ne s'est pas plus réjoui de la mise à jour économique.
Il a affirmé que le premier ministre a «tourné le dos» aux Canadiens qui luttent contre l'augmentation du coût de la vie, qu'il qualifie de «Séraphinflation».
Les néo-démocrates doivent malgré tout voter en faveur de la mise
à jour pour respecter l'accord avec les libéraux. Les trois principales mesures sur lesquelles le Parlement a planché récemment - les soins dentaires, l'aide au loyer et le crédit pour TPS - «étaient nos idées et nous avons forcé le gouvernement à les adopter», a plaidé M. Singh.
Le Bloc québécois n'a pas trouvé «grand chose» pour aider la population à affronter l'inflation. «C'est du réchauffé, (...) il n'y a rien de nouveau dans l'énoncé», a dit son porte-parole en matière de Finances, Gabriel Ste-Marie.
Advenant une récession, il veut éviter à tout prix qu'Ottawa ramène «une PCU 2.0» et a été déçu de voir qu'il n'y ait «pas une ligne» sur la modernisation de l'assurance-emploi ou une augmentation de la pension de la sécurité de la vieillesse pour aider «les aînés qui en arrachent».