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Je tiens ma passion du CH de mon père, immigrant arrivé ici de l’Europe dévastée et pour qui le CH a été un important facteur d’intégration.
Je suis trop jeune pour avoir vu jouer Guy Lafleur dans ses belles années.
Je suis né en 1981. Lafleur venait de passer le témoin du joueur le plus dominant de la ligue à Mike Bossy, avant que celui-ci ne le remette à Gretzky, quelques années plus tard.
L’un de mes plus vieux souvenirs de hockey est la retransmission du dernier match de Guy Lafleur. Je me souviens de Diane Tell qui avait chanté « La légende de Ti-Guy ». Je l’écoutais avec mon grand-père, Rosaire Saulnier, qui m’a transmis son amour du hockey.
Né dans Ahuntsic en 1920, mon grand-père était l’archétype du Canadien français de l’époque. Il avait fui une job ingrate dans une imprimerie où il n’avait même pas le droit de parler français pendant son heure de lunch, pour aller s’établir dans le rang Point-du-jour-Sud, à Lavaltrie, où il trima dur et devint l’un des premiers agriculteurs de fraises de la région.
Enfant, il avait fréquenté la même patinoire que le Rocket. Puisqu’il était un an plus vieux que le Rocket, il se plaisait à répéter qu’il avait été « meilleur au hockey que Maurice Richard », pendant « un certain temps ». Si Rosaire a vécu l’humiliation et l’époque du « speak white », il a aussi connu l’incroyable infusion de fierté procurée par les Canadiens de Montréal.
C’est rendu galvaudé de le dire, mais le fait que les Fying Frenchman aient dominé sans partage la ligue nationale pendant près d’un demi-siècle a joué un rôle dans le développement de la fierté collective du peuple québécois, à l’aube d’une période historique charnière. C’est avec eux qu’on a appris à gagner.
Mon grand-père avait été traité de pea-soup, comme le Rocket à son arrivée dans la ligue nationale. Et quand il racontait le coup de poing que Richard avait asséné à ses adversaires des Bruins pour les faire taire, avant de marquer un but victorieux, ses yeux s’illuminaient.
Notre peuple a surfé sur la vague de la puissance brute du Rocket pour se lever, envers et contre tous. Il a pu par la suite accueillir Béliveau, qui remplissait aussi le filet adverse, mais dans la classe, dans le respect des règles établies. Guy Lafleur est celui qui a saisi le flambeau de leurs bras meurtris. Pas le dernier héros, ce serait injuste envers Patrick Roy de l’affirmer. Mais le dernier Flying Frenchmen.
Le dernier à avoir été le joueur le plus dominant de son époque pour la plus grande équipe de hockey de tous les temps. La dernière super vedette offensive d’une équipe bourrée de talent. Après Richard, Béliveau et Lafleur, les Frenchmen n’étaient plus raillés ; ils étaient craints.
Ils étaient respectés.
J’ai vu la fierté qu’ils ont instillé dans les yeux de mon grand-père, même mourant.
Ils y ont allumé un feu qui ne s’est jamais éteint.
Ken Dryden, gardien de but du CH pendant la dernière dynastie de l’équipe à la fin des 1970 a consacré plusieurs pages de son livre The Game à Guy Lafleur. Il y écrivait que Guy Lafleur rentrait par effraction dans l’aréna de Thurso, son village natal de l'Outaouais, afin de s’entraîner seul sur la glace, avant l’arrivée du gérant. Il a continué d’arriver seul, avant tout le monde, sur la glace du Colisée de Québec et sur celle du Forum de Montréal.
Si on a fait grand cas des cigarettes qu’il fumait entre les périodes, on a souvent oublié que c’est à force de travail acharné que Lafleur arriva à dominer son sport. Ça, et quelques coups de pouce du destin, aidés des tractations de Sam Pollack, directeur général des Canadiens de l’époque. Dryden résume en disant : « Il y a un destin qui n’est présent que chez les grands joueurs, ce que fut Guy Lafleur, presque toute sa vie ». Dryden rappelle que Lafleur provenait d’origine modeste, avant de reprendre de Jean Béliveau le flambeau de héros mythique canadien-français.
Dryden revient souvent sur le fait que le hockey était « toute la vie » de Guy Lafleur.
Le philosophe Daniel Weinstock est lui aussi un partisan invétéré des Canadiens de Montréal, depuis la plus tendre enfance. Il m’a écrit : « [c]'est un cliché, mais c’est une grosse partie de la jeunesse de ma génération qui vient de disparaître. » avant d’ajouter :
Je tiens ma passion du CH de mon père, immigrant arrivé ici de l’Europe dévastée et pour qui le CH a été un important facteur d’intégration.
Il était un fanatique.
Il devait se lever à 6 h du matin pour aller dans des chantiers de construction aux fins fonds, et je me souviens de le voir avec son petit transistor écouter les « games » sur la côte ouest jusqu’à 1 h du matin.
Je ne regardais plus les « games » avec mon père, mais je me souviens de l’avoir appelé après le but égalisateur dans les derniers instants du match de la demi-finale compté contre les Bruins pour que nous puissions néanmoins partager l’expérience.
Bref, les Flying Frenchmen ont su fédérer tout un peuple autour d’eux, peu importe l’origine, la langue ou la religion.
La flamme de la passion pour le CH demeure, bien qu’elle vacille à l’occasion.
Pour mon groupe d’amis, les Canadiens sont tout simplement « les Gars », signe de l’importance qu’on leur attribue dans nos vies. En tant que partisans exacerbés, nous sommes tout simplement « les gars des Gars ». Nous considérons les Canadiens de Montréal comme notre religion. Aujourd’hui, nous sommes en deuil de l’un de nos plus grands prophètes.
Nous supportons l’équipe quoiqu’il arrive et serons aux premières loges pour la prochaine conquête de la Coupe. Mais la vérité est que l’ère des dynasties est révolue.
Notre destinée manifeste a connu quelques soubresauts, notamment à l’occasion des Coupes Stanley de 1986 et 1993, lors desquelles Patrick Roy s’est inscrit comme le dernier héros. Mais jamais nous ne reverrons une telle domination sans partage étalée sur plus de quatre décennies de hockey.
Il y a bien eu quelques flashs et de beaux moments.
Le retour triomphant de Saku Koivu après avoir vaincu le cancer. L’arrivée de Bob Gainey en tant que Directeur général de l’équipe qui a ravivé le flambeau de l’espoir. Les éliminations surprises des Bruins en 2002 et 2004 qui ont donné le goût de la victoire à une nouvelle génération de partisans.
Puis le retour au sommet du classement en 2008. Cette fois-là, on s’est dit que ça y était. Certains fans ont même déclenché une émeute lors de l’élimination des Bruins en sept matchs, une grave erreur ! Je me rappelle ce jour-là comme si c’était hier. J’étais à l’aréna, que j’appelle toujours le Forum, et je pleurais des larmes de joie, croyant que nous étions sur le point de renouer avec la grandeur perdue de l’organisation.
Kovalev et Subban ont eu eux aussi la capacité de soulever la foule montréalaise comme un raz-de-marée. Une foule distincte de celle de tous les autres arénas, plus bruyante, plus arrogante, surtout quand elle sait qu’elle va gagner. Malheureusement pour eux, PK et Kovy ne comptaient pas sur une équipe paquetée de talent, à l’instar des Flying Frenchmen.
Si nous avons eu de beaux parcours en 2010, 2014 et, plus récemment, en 2021 ; notre destin nous échappe, depuis trop longtemps. Notre parcours de 2021 a connu une fin abrupte. Et l’équipe Cendrillon a subi une démolition en règle dans les semaines qui ont suivi, ayant culminé dans le congédiement du DG Bergevin, il y a quelques mois.
Guy Lafleur reste donc le dernier représentant de cette fierté issue de la domination sans partage des Flying Frenchmen.
On lui a pardonné d’avoir prêté son visage à un nombre incalculable de publicités, d’être intervenu maladroitement dans le débat politique à l’époque de l’accord de Charlottetown, d’avoir accusé l’équipe de compter sur « quatre quatrièmes trios » alors qu’il agissait comme ambassadeur pour elle et même d’avoir eu des démêlées avec la justice, suite aux sordides dérives de son fils, Mark.
Guy Lafleur disait que le hockey était toute sa vie et son peuple lui a tout pardonné, même l’impardonnable. Son peuple l’a aimé, d’un amour inconditionnel.
Parce qu’ici, le hockey, c’est plus que du hockey.
Rémi Bourget est avocat et fan invétéré des Canadiens. En compagnie d'un groupe d'amis qui se surnomment « Le gars des Gars », il n'hésite pas à parcourir des milliers de kilomètres dans d'autre villes membres de la LNH pour encourager son équipe fétiche.