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International
Opinion |

Enfin le Chili tourne une page de son histoire

Le président chilien élu Gabriel Boric
Le président chilien élu Gabriel Boric

Cette semaine, j’aimerais vous parler d’un sujet qui me touche intimement parce que mon père et ma mère, comme de nombreux réfugiés, ont sacrifié leur vie pour que ce pays change. Je suis né au Chili en pleine dictature militaire, en mars 1981. Comme plus de 200 000 Chiliens, mon père, dirigeant syndical, a dû quitter le pays pour protéger sa vie et celle de sa famille en décembre 1985 après avoir été incarcéré et torturé. 

Cette semaine, la journaliste Fanny Lachance-Paquette au Chili pour couvrir l’entrée en poste du nouveau président Gabriel Boric pour le compte de Noovo.info.

Nous sommes alors partis en France en espérant y retourner un jour, quand la dictature serait finie. Nous avons bien pensé que c’était le cas en 1994 quand nous sommes retournés y habiter. Mais bien que les dirigeants avaient changé, la corruption, la violence policière et les inégalités étaient encore bien présentes et elles nous ont forcés à partir de nouveau, cette fois vers Montréal. 

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Des liens forts avec le Québec

C’est ici que je vis depuis 25 ans avec une famille complètement intégrée à la société québécoise. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls puisque, nombreux sont les Chiliens qui contribuent positivement à la réussite du Québec. Plusieurs s’y démarquent d’ailleurs dans le monde politique, syndical, culturel ou social. Nous y avons été accueillis les bras ouverts par des gens extraordinaires. Parmi eux, certains m’ont raconté avoir rencontré René Lévesque et de nombreux autres politiciens lors de leur arrivée au Québec alors qu’ils allaient leur souhaiter la bienvenue.

À ce sujet, la politique a toujours été un point de rapprochement important avec les Québécoises et les Québécois. Je suis très fier des Québécois d’origine chilienne qui ont été élu-e-s au Québec tels que Osvaldo Nunez, premier député d’origine hispanique à la Chambre des communes élu en 1993 sous la bannière du Bloc Québécois, Andrés Fontecilla, actuel député solidaire de Laurier-Dorion à l’Assemblée nationale du Québec et Soraya Martinez, actuelle députée libérale de Hochelaga à la Chambre des communes.

L’amoureux de la politique que je suis est très touché et inspiré par ce qui se passe au Chili actuellement et qui culminera avec l’assermentation de son nouveau président le 11 mars prochain.

Gabriel Boric, nouveau président élu du Chili, a 35 ans et il fait partie de cette génération qui n’a pas vécu les années de dictature. Cependant, comme une majorité de Chiliennes et de Chiliens, il en a subi les effets néfastes depuis 40 ans : un système de santé et de retraites privatisé, l’absence du droit à l’avortement, des peuples autochtones appauvris, une répartition de la richesse dramatiquement inégale, et un système d’éducation coûteux qui ne donne clairement pas les mêmes chances à tous.

D’ailleurs, c’est en luttant pour la réforme de ce système d’éducation qu’il s’est fait connaître en 2011. Il est alors devenu président de la Fédération des étudiants des universités du Chili (FECh). Élu député en 2013, il est maintenant le plus jeune président de l’histoire du pays.

Deux Gabriel, un même combat

Son histoire n’est pas sans rappeler celle d’un autre Gabriel qui, presque au même moment, 10 000 km plus au nord faisait lui aussi ses premiers pas politiques au Québec en portant le même message que celui des jeunes chiliens : la demande d’une éducation gratuite pour tous.

Gabriel Nadeau-Dubois est un politicien studieux, déterminé et un excellent communicateur. Pendant que son collègue chilien faisait raisonner les casseroles à Santiago (le mouvement des casseroles est né au Chili au début des années 70), il le faisait, pour la même cause, dans les rues de Montréal et de plusieurs autres villes du Québec. Maintenant porte-parole de Québec solidaire et aspirant premier ministre, il sera certainement inspiré par son collègue lors de l’élection provinciale d’octobre prochain. Porté par des idées semblables à celles du président chilien, il sera intéressant de voir s’il aura le même destin.

Une nouvelle constitution

En plus de l’élection de Gabriel Boric, les Chiliens sont aussi en train de réécrire leur constitution. En effet, après un mouvement social massif en 2019, le gouvernement de droite a été forcé de déclencher un référendum en 2020 pour connaître le désir des Chiliens de changer la constitution écrite par le défunt dictateur Pinochet. Ce sont alors plus de 78 % des Chiliens qui ont voté pour que la constitution soit réécrite par une assemblée constituante formée de citoyens. Cette assemblée est paritaire (77 femmes-78 hommes) présidée par une femme et avec la vice-présidente d’un homme ouvertement gai. Pour nous, au Québec, cela peut sembler anecdotique et normal, mais au Chili, c’est une démonstration claire que la société évolue et que le pays entre enfin dans la modernité.

Fierté et gratitude

Je ne pense plus être vraiment chilien, je n’y vis plus, n’y vote plus et n’y paye pas d’impôts. J’en garde les souvenirs, la gastronomie, un peu de la culture et l’amour pour son équipe de soccer, mais après 25 ans ici, je suis surtout devenu un fier Québécois « pure laine tricoté ailleurs ».

Cependant, il y aura toujours en moi une affection particulière avec le pays où je suis né. Un pays qui possède des ressources naturelles d’une grande valeur qui peuvent être exploitées de façon durable et responsable, une population jeune et créative prête à saisir les opportunités et un potentiel important de production énergétique renouvelable qui pourrait faire du Chili le Québec de l’Amérique du Sud.

Alors quand les Chiliennes et les Chiliens tournent une page de leur histoire en élisant un jeune président de 35 ans avec des valeurs modernes d’équité, de développement durable et de justice sociale, et qu’ils se débarrassent de la constitution écrite par un homme sanguinaire qui aura dominé le pays par la force et la torture, je me remplis de fierté et d’espoir. C’est pour offrir la liberté et la justice à leurs enfants que mon père et ma mère ont tout sacrifié il y a plus de 35 ans. J’espère que le nouveau gouvernement saura l’offrir à ses citoyennes et ses citoyens pour très longtemps.

P.S : Sans vouloir comparer les souffrances, car elles ne peuvent l’être, je ne peux m’empêcher de penser aux 2 millions d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens qui émigrent présentement. J’espère sincèrement qu’ils pourront eux aussi, un jour, voir leur pays redevenir ce qu’ils ont connu et même y retourner avoir une vie paisible. Nous devons être là pour les accueillir et ne jamais oublier toute la souffrance qu’il y’a derrière cet exil forcé. Courage à eux.