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Chronique |

Dr Alain Vadeboncoeur | Aide médicale à mourir: deux pas en avant, un pas en arrière

Dans sa mise à jour de la loi sur les soins de fin de vie, le ministre Christian Dubé a avancé… puis rapidement reculé sur l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’un handicap neuromoteur (paralysie, etc.).

L'urgence de l'Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins à Cowansville modifie son offre de services en raison des vacances estivales et des enjeux de main-d’œuvre.
L'urgence de l'Hôpital Brome-Missisquoi-Perkins à Cowansville modifie son offre de services en raison des vacances estivales et des enjeux de main-d’œuvre.

Dans sa mise à jour de la loi sur les soins de fin de vie, le ministre Christian Dubé a avancé… puis rapidement reculé sur l’accès à l’aide médicale à mourir (AMM) pour les personnes atteintes d’un handicap neuromoteur (paralysie, etc.).

Si l’absence de débat préalable que lui a reprochée l’opposition est légitime, on peut se demander si cette nouvelle mouture de la loi aura beaucoup d’effets concrets à court et long terme. Vous me permettrez d’en douter, notamment parce que la proposition principale — les directives anticipées d’AMM — pourrait être d’application ardue.

L’initiative du ministre à propos des personnes souffrant de handicaps a sans doute été inspirée par la position du Collège des médecins du Québec, qui favorisait un élargissement des critères, dans un mémoire déposé en 2021, « pour l’harmoniser dans les meilleurs délais avec la nouvelle législation fédérale, le tout au bénéfice des patients québécois en fin de vie, notamment (…) en incluant la notion de handicap dans celle de « maladie grave et incurable ».

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Actuellement, l’aide médicale à mourir est accessible aux personnes qui souffrent d’une « maladie grave et incurable », pour laquelle il n’existe aucune solution médicale, s’ils choisissent l’AMM pour mettre fin à ces souffrances. Sur ce principe qui est maintenant un droit, le consensus est large, au Québec comme au Canada — ce dernier s’étant largement inspiré des innovations de la loi québécoise pour avancer sur un terrain autrefois miné.

Dans notre loi, la notion de « maladie » est centrale comme critère d’accès à l’aide médicale à mourir, ce qui oblige à distinguer cette « maladie » (exemple : la sclérose latérale amyotrophique — SLA) d’un « état » (exemple : une quadriplégie suite à un traumatisme de la colonne cervicale). Une distinction dont bien honnêtement, j’ai de la difficulté à saisir toutes les nuances, les souffrances et le devenir étant similaires, même si la dernière n’ouvre pas ici la porte à l’AMM.

Des changements au Canada

Pourtant, depuis l’adoption de la loi québécoise, les critères ont été élargis au Canada, d’abord par le retrait de la notion de « fin de vie » (ce qui a aussi rendu inopérant cet élément de notre loi). Ensuite, par une ouverture à inclure d’autres problèmes que des « maladies », comme un « handicap » grave ou toute autre « affection » comportant des souffrances impossibles à soulager, et notamment les conditions psychiatriques graves. La loi québécoise, si novatrice au départ, se retrouvait en « retard » (ou différente, si on veut) sur ces points.

Il fallait réfléchir à sa mise à jour. D’où la mise sur pied d’une commission parlementaire en 2021 afin de réfléchir à des propositions issues de plusieurs sources. Or, si la commission a bien reçu le mandat d’étudier l’accès à l’AMM sous l’angle des maladies psychiatriques — un sujet délicat s’il en est — il n’en était rien à propos des handicaps graves, comme elle le mentionne d'ailleurs dans son rapport. Elle s’est aussi penchée sur les demandes anticipées d’AMM, devenues le plat de résistance de la réforme actuellement proposée.

De sorte que malgré des représentations de plusieurs experts, incluant celles du Collège des médecins du Québec, elle n’a pas examiné la question des handicaps et ne s’est pas prononcée sur le sujet. On m’a rapporté que c’est aussi parce qu’il n’y avait pas de demande des organisations représentants les personnes handicapées. Pourtant, il semble bien y avoir eu plusieurs requêtes d’AMM au fil des ans pour ces personnes, répondant à tous les autres critères de la loi. Bref, le besoin existe.

La commission a donc recommandé l’introduction des demandes anticipées d’AMM par les personnes affectée par une maladie grave pouvant mener à des pertes cognitives, mais elle a fermé la porte aux maladies psychiatriques graves — un sujet complexe sur lequel je m’étais prononcé favorablement, tout juste avant la pandémie. C’est aussi partie remise pour les personnes atteintes de handicaps.

Les directives anticipées

Si le projet de loi 38 est adopté sous sa forme actuelle, la possibilité de demander à l’avance l’aide médicale à mourir suite à un diagnostic de maladie grave se concrétisera, ce qui est sans doute une avancée intéressante. D'autant plus qu'elle fut réclamée par plusieurs groupes. Mais est-ce que cette approche va facilement rencontrer son application ? De l’avis de certains praticiens de l’AMM avec qui j’ai pu discuter du sujet ces derniers jours, la réponse pourrait bien être négative.

Soit, le cadre de ces demandes « anticipées », très similaire à celui des demandes contemporaines d’AMM, est clair. En revanche, l’application de l’AMM qui en résulterait dans plusieurs années — ça pourrait être en 2028, 2033 ou 2038, qui sait ! — risque de prêter le flanc à plusieurs problèmes.

Exemples : à quel moment exactement décidera-t-on de les réaliser ? Qui choisira, surtout s’il n’y a plus de personne de référence ? Quels professionnels se chargeront un bon matin d’activer ces volontés face à des maladies qui s’étirent sur des années ?

J’imagine aussi qu’il va falloir annoncer à la personne qu’on va lui injecter un médicament qui terminera sa vie, tel qu’elle en avait fait la demande 12 ou 15 ans plus tôt. On comprend qu’il est probable qu’elle n’en aura aucun souvenir, voire qu’elle ne voudra plus, ce qui est bien légitime, annulant des démarches complexes réalisées 10 ou 15 ans auparavant. La question du refus, inscrit dans le projet de loi, paraît ambiguë, surtout exprimé par une personne qui n’est plus apte à décider : « tout refus de recevoir l’aide médicale à mourir manifesté par un malade doit être respecté et il ne peut d’aucune manière y être passé outre ».

La nature même du « refus » pourrait être équivoque: si la personne retire le bras au moment de lui installer un soluté, comme cela arrive souvent quand on souffre d’un trouble cognitif, est-ce un refus selon la loi ? Si elle se débat sans comprendre, aussi ? Si elle fait NON de la tête ? Dans le doute, est-ce qu’on lui met des contentions pour réaliser l’AMM? Assurément pas. Je crains que les directives proposées, pourtant claires aujourd'hui, ne mèneront pas, concrètement, à beaucoup d’AMM dans 12 ou 15 ans.

D’autres zones floues…

Un autre problème, c’est qu’il est improbable que des médecins pratiqueront éventuellement ce type d’AMM si les directives anticipées demeurent illégales sous la loi fédérale — qui est le Code criminel, soit dit en passant. Peut-être pouvons-nous parier sur de futures modifications à cette loi. Mais pour l’instant, il sera difficile de concilier les deux, la menace provenant toujours de la loi la plus restrictive des deux.

En perpétuant les différences majeures entre les lois des deux paliers de gouvernement (sur le handicap, les directives médicales anticipées et éventuellement les problèmes psychiatriques), on choisit donc de laisser de nouveau les médecins entre deux feux. Même si le Collège leur a déjà mentionné qu’ils pouvaient se contenter de respecter une des deux lois, la position demeure pour le moins inconfortable.

Des spécialistes de la question me disent aussi que plus on connaît les troubles cognitifs et plus on soigne les personnes qui en sont atteintes, moins on est généralement favorable à ces directives anticipées, notamment parce qu’il est difficile, quand on est plus jeune et en relative bonne santé, de se projeter dans le futur pour bien comprendre ce qui mériterait de déclencher pour soi-même une AMM dans 12 ou 15 ans.

… et de bons points

Soit, il y a du bon dans les ajustements proposés. D’abord, cette ouverture aux infirmières praticiennes, qui ne fait apparemment pas l’unanimité dans le milieu médical, mais rejoint ce qui se fait ailleurs au Canada. D’autre part, après des tensions inutiles vécues depuis cinq ans, il est satisfaisant de lire que les maisons de soins palliatifs ne pourront plus refuser d’offrir l’AMM en fin de vie, comme c’était encore le cas pour plusieurs d’entre elles, obligeant à des transferts insensés à l’hôpital juste avant de mourir.

S’il faut reconnaître que le consensus québécois qu’on a beaucoup vanté est peut-être maintenant en retard sur les souhaits de la population et le cadre juridique fédéral, il est vrai que deux semaines pour planifier l’inclusion d’un nouveau critère d’accès, le handicap, c’était vraiment un peu court pour discuter d’un point aussi sensible et complexe. C’était la bonne décision de retirer la proposition pour permettre un sain débat. Et ça sera pour la prochaine étape, qui n’inclura pas, on le sait maintenant, la députée Véronique Hivon, de moins comme parlementaire.

Impliquée à fond tout au long de ce processus ayant mené à la première mouture d’une loi si novatrice sur les soins de fin de vie, prenant soin de garder cette démarche délicate le plus loin possible de la partisanerie, elle a accompli un remarquable travail, pour lequel il ne nous reste qu’à la remercier.