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Deux thèses sont débattues par les juristes. Elles impliquent toutes de modifier l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit l'obligation de prêter serment.
Les avis divergent chez les spécialistes de la Constitution canadienne consultés par La Presse Canadienne quant à la possibilité que le Québec puisse l'amender unilatéralement de sorte que les élus de la province n'aient plus l'obligation de prêter serment d'allégeance au roi Charles III afin de siéger à l'Assemblée nationale.
Deux thèses sont débattues par les juristes. Elles impliquent toutes de modifier l'article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit l'obligation de prêter serment. Elles vont «d'un extrême à l'autre» et il est fort difficile de dire laquelle l'emporterait, explique le constitutionnaliste de l'Université d'Ottawa et ancien ministre Benoît Pelletier.
La première thèse est que la constitution est modifiable par une simple loi adoptée en vertu de l'article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui permet à une législature de modifier la constitution de sa province sauf à quelques exceptions, notamment de ne pas toucher à «la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur». La seconde thèse est l'application de la procédure de l'unanimité prévue à l'article 41 de cette même loi et qui nécessiterait le consentement du Sénat, de la Chambre des communes et des dix législatures provinciales.
Tant le professeur Pelletier que son collègue Patrick Taillon de l'Université Laval souscrivent à la thèse voulant que le Québec puisse changer l'obligation de serment à la couronne britannique du texte de 1867 sans demander l'accord du reste du Canada.
M. Taillon a donné en preuve son exemple «préféré». Le Québec avait jusqu'en 1968 un Parlement composé de deux chambres. Lorsqu'il a aboli son Sénat – qui s'appelait le Conseil législatif et qui était formé de personnes nommées par le lieutenant-gouverneur – il l'a fait seul.
«Ça s'est transporté devant les tribunaux, raconte-t-il, (et ils) ont dit: “même si ça enlève du pouvoir à la monarchie, le Québec peut agir seul parce que ce qui est protégé, c'est les caractéristiques essentielles de la monarchie, les aspects fondamentaux”. (...) Ce qui est secondaire, le Québec peut le modifier seul.»
M. Taillon estime que Québec pourrait «réécrire» des passages de la loi de 1867, comme il l'a fait avec le projet de loi 96 sur la langue officielle et commune, le français, afin de noter qu'au Québec «on prête serment au peuple, aux institutions et à nos lois». Puisque celles-ci font référence à la monarchie, ce serait juridiquement moins risqué que d'abolir le serment, a-t-il résumé.
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Bien que selon M. Taillon il soit «plus que probable» et qu'il y ait «toutes les chances du monde» que le Québec puisse agir unilatéralement, ce n'est pas un point de vue unanime. Parlez-en à l'ancien sénateur Serge Joyal, qui a également été coprésident du comité qui a revu la résolution constitutionnelle de 1982 et qui est intervenu devant la Cour d'appel du Québec et la Cour suprême pour défendre des points de vue constitutionnels.
Selon lui, la méthode «la plus simple» d'amendement de la constitution ne s'applique que pour les questions qui ne concernent qu'une seule province. Il n'est donc pas possible pour une province de se soustraire à l'obligation du serment puisqu'elle est «d'application générale» étant donné que celui-ci vise à reconnaître l'existence de «l'ordre constitutionnel» clairement défini par la loi, soit une monarchie constitutionnelle.
Si le législateur avait voulu à l'origine dire que c'était une responsabilité de chacune des législatures d'adopter le serment qu'il juge opportun, «évidemment, on aurait une disposition expresse dans la constitution qui permettrait ce genre d'initiative de la part d'une province», a-t-il soutenu. Or, ce n'est pas le cas et le texte constitutionnel réclame que chaque député reconnaisse l'ordre constitutionnel.
Et selon M. Joyal toute législature qui entretiendrait une opinion différente devrait, avant de procéder, requérir l'avis de la Cour d'appel de la province pour s'assurer que c'est légal et éviter que des lois puissent être invalidées par la suite n'ayant pas été adoptées validement puisque les députés n'auraient pas prêté le bon serment et étaient donc inhabiles à siéger.
Pour ceux qui n'y croient pas: la Cour suprême avait invalidé en 1979 toutes les lois adoptées au Manitoba depuis 1890, moment où il avait été décidé que les lois de l'Assemblée législative ne seraient édictées qu'en anglais, ce qui violait la loi constitutionnelle de la province, a mentionné M. Joyal.
Et bien que les trois spécialistes reconnaissent que les règles du jeu ne peuvent pas être changées par une simple motion et qu'elles nécessitent une loi, seuls MM. Pelletier et Taillon ont évoqué une voie de passage pour les députés péquistes et solidaires.
Selon le professeur Pelletier, cette solution «à court terme» passerait par une motion de l'Assemblée nationale du Québec qui déclarerait permettre à ses députés de siéger même s'ils n'ont pas prêté serment d'allégeance au roi Charles III.
Le professeur Taillon propose quant à lui de jouer sur les conséquences au geste de contrevenir à l'obligation de prêter serment. C'est également ce qu'a évoqué le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, qui estime qu'il ne devrait y avoir aucune sanction associée à son geste, une option «audacieuse» et «radicalement conciliante» à l'endroit des députés de l'avis de M. Taillon.
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Le constitutionnaliste suggère plutôt une sanction «la plus réduite possible, pondérée» qui laisserait aux députés le droit de siéger, de prendre la parole à l'Assemblée, de participer aux travaux en commission. En revanche, leurs votes ne seraient pas comptabilisés afin d'éviter le risque que des lois soient contestées pour avoir été adoptées par une assemblée mal constituée.
Appelé à commenter la proposition, le sénateur Joyal a répondu que l'approche va très clairement à l'encontre de la Loi constitutionnelle qui réclame qu'avant de pouvoir prendre son siège – ce qui donne le droit de prendre la parole et de voter – un député doive prêter le serment.
«C'est la fonction même de député qui se trouve à être activée par le serment, a dit M. Joyal. Alors, vous ne pouvez pas dire: “on va activer certaines parties de la fonction de député, mais pas d'autres”.»
Le refus des 11 élus de Québec solidaire et des trois du Parti québécois est une première dans l'histoire de l'Assemblée nationale. Par le passé, tous les élus ont prononcé, même si c'était parfois du bout des lèvres ou derrière des portes closes, le serment de loyauté à la couronne britannique, ainsi que, depuis 1982, celui au peuple québécois.