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Le ministre de la Justice est convaincu qu'il dispose de tout le temps requis pour mener à bien sa réforme et faire adopter son projet de loi 2.
Une partie de bras de fer s'annonce d'ici la fin de la session parlementaire, en juin, entre le gouvernement Legault et les trois partis d'opposition, autour du projet de réforme du droit de la famille.
L'opposition est persuadée qu'il est impossible d'étudier et d'adopter une aussi vaste et complexe réforme durant les quelques semaines de travaux parlementaires disponibles d'ici l'ajournement du 10 juin.
Mais le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, croit le contraire, convaincu qu'il dispose de tout le temps requis pour mener à bien sa réforme et faire adopter son projet de loi 2.
Il est si sûr de lui qu'il s'engage à l'avance à ne pas recourir au bâillon, donc à le faire adopter selon la procédure normale, en respectant toutes les étapes.
Si jamais le projet de loi 2 devait mourir au feuilleton, par manque de temps, il blâmerait donc aussitôt les partis d'opposition de prolonger indûment le processus, mais on sait déjà que ces derniers refuseront de porter le chapeau, blâmant à leur tour le ministre pour son manque présumé d'organisation.
«On a tout le temps» requis, a-t-il commenté mardi, en conférence de presse, quand il a été questionné sur la suite des choses dans ce dossier. «On se retrouve dans une situation où on a du temps en commission parlementaire pour le faire», selon lui.
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Le projet de loi 2 a été déposé le 21 octobre, un geste suivi par une brève consultation expédiée en quatre jours, début décembre. Puis, plus rien.
Nouveau cadre législatif qui ratisse très large sur plusieurs enjeux sociaux délicats, dont les questions de genre et de procréation pour autrui, le document s'étire sur 116 pages et contient pas moins de 360 articles. Normalement, un projet de loi de cette envergure peut nécessiter des mois de travail en commission. Or, l'étude article par article n'est pas encore commencée, et elle n'est toujours pas à l'horaire.
En tenant compte des jours retranchés pour l'étude à venir des crédits des ministères et des semaines de relâche parlementaire, il resterait, au mieux, environ quatre semaines au ministre pour faire adopter sa réforme. C'est trop peu, trop tard, selon les élus consultés des trois partis d'opposition.
Dimanche, en entrevue à La Presse Canadienne, l'opposition s'était montrée inquiète de voir que la réforme promise par le gouvernement semblait mise sur la voie d'évitement. Les porte-parole de l'opposition officielle libérale, Gaétan Barrette, de Québec solidaire, Alexandre Leduc, et du Parti québécois, Véronique Hivon, étaient unanimes.
Dans les rangs de l'opposition, on reproche au ministre d'avoir attendu la fin du mandat pour déposer deux projets de réforme majeurs (la langue française, avec le projet de loi 96, toujours à l'étude, et le droit de la famille, avec le projet de loi 2), qui comportent chacun des centaines d'articles, se plaçant ainsi dans une position l'obligeant pratiquement à devoir en sacrifier un.
«Je me retrouve tributaire du comportement des oppositions», a dit M. Jolin-Barrette, qui se plaint du trop grand nombre d'heures passées à peaufiner l'encadrement linguistique proposé par le projet de loi 96, qui le retient «depuis désormais 113 heures».
Il dit juger «vraiment important d'adopter le projet de loi 2 avant la fin de la législature», ajoutant qu'il tend la main aux partis d'opposition pour y arriver, n'ayant aucunement l'intention «d'utiliser la procédure législative d'exception», communément appelée bâillon.
«Je ne peux pas être à plusieurs endroits au même moment. Alors, voyez-vous, c'est un choix des oppositions», à qui il reproche d'étirer l'étude du projet de loi 96.
Le ministre de la Justice n'avait pas le choix de légiférer sur la question spécifique du genre, notamment pour reconnaître les personnes non binaires, devant se conformer au jugement de la Cour supérieure, prononcé par le juge Gregory Moore le 28 janvier 2021 et rendant caducs plusieurs articles du Code civil jugés discriminatoires.
Selon cette décision, le Québec devait faire en sorte d'éliminer toute forme de discrimination portant sur la désignation du genre dans les documents émis par le Directeur de l'état civil. On ne doit plus forcer quelqu'un à s'identifier comme homme ou femme. Il fallait aussi ajouter la possibilité d'inscrire la mention de parent, au lieu de père ou mère, au moment de rédiger l'acte de naissance d'un enfant.
Dès son dépôt, le projet de loi 2 avait entraîné une levée de boucliers. Brandissant le slogan «Sors de mes bobettes!», la communauté LGBTQ+ a accusé le ministre de «transphobie» parce qu'il prévoyait initialement qu'une personne voulant changer de sexe légalement devait d'abord passer par le bistouri.
Celles qui auraient refusé la chirurgie auraient pu acquérir une double identité de genre et de sexe, donc par exemple, s'afficher de sexe masculin, mais de genre féminin.
Or, certains y ont vu un retour en arrière, vu que cette exigence a été officiellement abolie en 2013.
Devant le tollé de la communauté, qui y voyait un «coming-out forcé», le ministre a reculé et s'est engagé à déposer des amendements visant à éliminer l'exigence d'une chirurgie génitale pour modifier la mention de sexe sur des documents officiels. Mais ce n'est pas encore fait.
En plus des questions de genre et d'encadrement de la procréation pour autrui, le projet de loi 2 intervient sur une foule d'autres sujets, dont le nombre de prénoms sur les documents officiels, les règles de filiation, incluant la présomption de paternité pour les conjoints de fait, les renseignements divulgués aux enfants adoptés, les droits de l'enfant grandissant dans un foyer marqué par la violence, les questions d'autorité parentale en cas de violence et de déchéance de cette autorité, de même que le droit de l'enfant né d'une mère porteuse à la connaissance de ses origines.