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Société

Parents, arrêtez de filmer vos enfants

«Plus personne ne semble vivre le moment présent, trop occupé à créer des souvenirs pour le futur.»

Des téléphones levés dans les airs. Et des parents derrière. C’est tout ce que je voyais autour de moi dans l’aréna où se déroulait un spectacle de patins. Je semblais être la seule énergumène à me préoccuper de capter le regard de ma fille sur la glace et non d’enregistrer des images d’elle.

Cela vous est sûrement déjà arrivé. Dans une salle de spectacle, à un concert par exemple, tout le monde filme ce qui se passe sur la scène. Et qui chante, fredonne, danse, en regardant son voisin, les bras dans les airs?

Pas grand-monde.

Plus personne ne semble vivre le moment présent, trop occupé à créer des souvenirs pour le futur.

Mais pourquoi? Est-ce parce que la technologie est rendue là et qu’elle est omniprésente? Autrement dit, on le fait simplement parce qu’on peut le faire?

Ou alors, est-ce parce qu’on est obsédé par l’idée de documenter? Comme si, dans nos vies effrénées, bourrées d’obligations, de responsabilités et d’engagements, le fait de braquer l’objectif de nos téléphones sur un événement nous rassure sur notre capacité à ralentir.

Chez plusieurs, c’est une manie, un réflexe. Les gens tendent la main et hop, filment ou prennent des photos de ce qui se passe devant leurs yeux.

Je comprends que pour les parents, les moments clés de la vie de leur progéniture sont importants : ils ont envie d’arrêter le temps. Et à défaut de pouvoir le faire, ils le captent, l’emprisonnent, se l’approprient.

Médiocre et ennuyant

Le font-ils vraiment pour eux?

Avez-vous déjà regardé après coup des images que vous avez-vous-mêmes tournées d’un concert ou d’un spectacle pour enfants ? Souvent, la vidéo est médiocre et plate à mourir. Et ça, c’est quand ce sont les nôtres ! Imaginez celles des autres.

Non, ça n’intéresse personne, désolé.

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J’imagine la scène d’un point de vue de l’enfant sur la scène. Il est tout heureux et excité par son événement préparé des semaines à l’avance. Planté en avant avec ses camarades, il regarde les parents assis devant et il cherche… Il cherche quoi selon vous?

Le regard de son père ou de sa mère. C’est tout ce qui compte à cet instant précis.

Mais ce qu’il voit, c’est une foule de cellulaires braqués sur lui. La barrière technologique a quelque chose d’inhumain, vous ne trouvez pas?

Effervescence collective

Et pendant ce temps, le parent lui-même passe à côté de quelque chose : il n’est pas en train de regarder la petite gaffe de l’autre enfant, le sourire de celui dans la dernière rangée ou de croiser le regard complice d’un autre parent. Ce qu’on appelle « l’effervescence collective » est en train de mourir.

Ce concept, imaginé au début des années 1900 par le sociologue français Émile Durkheim, décrit l’état émotionnel un peu flou atteint, en tant qu’individus, lorsque nous faisons partie d’un tout, d’une communauté, d’un collectif. C’est une harmonie, une énergie, une vibe.

L’effervescence collective est devenue rare, précieuse — parce qu’elle est remplacée par l’individualisme du chacun pour soi, chacun derrière son écran. À faire quoi ? À amasser des images des siens, pour soi-même.

Seul ensemble

Qu’est-ce qu’on nourrit?

Peut-être que c’est vraiment pour garder la trace des étapes de nos enfants ou de notre propre passage… mais c’est peut-être aussi pour nourrir la bête des réseaux sociaux, se rendre visible, valide, reconnu. Récolter les « j’aime » et les commentaires.

Sommes-nous condamnés à être seuls ensembles?

Le constat me déprime. L’antidote existe. C’est simple et facile : poser. Votre. Téléphone. Rangez-le, oubliez-le, éteignez-le.

Si vous voulez rendre votre enfant fier, regardez-le. Laissez-le savoir que vous le voyez — et que vous le voyez pour vrai.

On dit que dans notre vie, 75 % du temps passé avec notre enfant se fait avant ses 12 ans. Raison de plus pour être véritablement présent.

Et saisir l’essentiel.

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