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Société

Tristesse et inquiétude dans un petit village américain enclavé au Canada

«Nous sommes impuissants.»

Nono Shen
Nono Shen / La Presse canadienne

La petite communauté de Point Roberts est un petit bout des États-Unis intimement rattaché à la Colombie-Britannique.

Fruit d'une bizarrerie cartographique, le village occupe la pointe sud de la péninsule Tsawwassen, pourtant bien canadienne, entourée d'eau, mais au sud du 49e parallèle. L'enclave est alimentée en eau et en électricité par le Grand Vancouver, et les pompiers canadiens viennent parfois à la rescousse.

L'étrange situation de cette petite localité de l'État de Washington, entièrement rattachée au Canada mais faisant partie des États-Unis, donne à certains résidants le sentiment d'être pris entre des forces qu'ils ne contrôlent pas, dans un contexte de guerre commerciale et de rhétorique exacerbées entre les deux pays.

Les résidants de Point Roberts signalent une baisse de la circulation et des activités de l'autre côté de la frontière. Certains veulent que les Canadiens sachent que le président américain Donald Trump ne représente pas leurs opinions, avec ses attaques économiques et ses discours d'«annexion», alors qu'ils affichent leur affection pour le Canada avec des drapeaux unifoliés, des autocollants et une bannière à feuille d'érable sur l'unique épicerie.

«J'ai parlé à quelqu'un la semaine dernière, et il m'a dit qu'il pourrait résumer la situation en disant que Point Roberts, c'est essentiellement les enfants qui traversent une procédure de divorce: nous sommes impuissants», a déclaré Wayne Lyle, agent immobilier de Point Roberts, lors d'une récente entrevue.

L'ambiance est moins amicale, avec le sentiment qu'un fossé se creuse entre voisins, dit-il, soulignant avoir vu moins de voitures circuler à Point Roberts depuis le début des discussions sur la guerre commerciale.

M. Lyle estime que plus de 70 % des propriétés de Point Roberts appartiennent à des Canadiens, et que plus de 50 % des quelque 1200 résidants ont la double nationalité.

Brian Calder, ancien président de la Chambre de commerce de Point Roberts, estime que l'économie de la communauté est portée à 90 % par les Canadiens.

M. Calder, qui a la double nationalité, a récemment conçu un autocollant pour pare-chocs afin d'afficher son soutien au Canada. Il est imprimé en rouge, blanc et bleu, mais on peut y lire simplement: «Point Roberts, Wa. soutient le Canada». Et il soutient que les autocollants distribués par les entreprises locales connaissent un franc succès.

M. Calder a expliqué que tous les résidants de Point Roberts s'inquiètent de la guerre commerciale, mais que la plupart ne savent pas quoi faire. Ils n'ont ni maire ni conseil municipal pour les représenter, et l'administration du comté de Whatcom, qui les gouverne, se trouve à environ 80 km - et à deux postes frontaliers internationaux.

Le traité de l'Oregon de 1846

Point Roberts est le fruit du «traité de l'Oregon» de 1846 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui a établi le 49e parallèle comme frontière principale entre les deux pays. La pointe de 12,6 kilomètres carrés de la péninsule canadienne de Tsawwassen est ainsi tombée sous juridiction américaine.

«Notre comté de Whatcom et notre État ne font rien pour Point Roberts», a déclaré M. Calder, ajoutant qu'ils reçoivent «très peu d'attention» de Bellingham, le siège du comté, dans l'État de Washington.

La proximité de Point Roberts avec le Canada influence une grande partie de ses activités commerciales. On y trouve plusieurs entreprises de réception de colis, qui servent principalement des clients canadiens qui achètent des biens ne pouvant être livrés qu'à une adresse aux États-Unis.

La nièce de M. Calder, Beth Calder, gère des services de livraison de colis de point à point depuis 2001. Elle a déclaré avoir constaté une «forte baisse des arrivées de colis» récemment – bien que février et mars soient toujours les mois les plus calmes de l'année – et que «sans un soutien continu, il sera difficile de maintenir l'activité». Elle arbore un drapeau canadien dans le hall du magasin, où, selon elle, de nombreuses «conversations pessimistes» ont eu lieu avec des clients canadiens lui disant qu'ils ne souhaitaient pas retourner aux États-Unis avant quatre ans.

«Ce genre de commentaires peut avoir des conséquences désastreuses pour notre entreprise, dont la survie repose uniquement sur la fourniture aux Canadiens d'une adresse de livraison aux États-Unis», a-t-elle déclaré.

Elle a expliqué que l'unifolié visait à témoigner son soutien aux clients canadiens. «Nous sommes en quelque sorte pris au milieu de la tourmente. Tous mes employés ont la double nationalité (…) Je n'aime pas voir d'animosité entre frères et sœurs, entre pays ou entre voisins», dit-elle.

«C'est vraiment triste»

Ali Hayton est propriétaire d'International Marketplace, la seule épicerie de Point Roberts. Elle affirme que les affaires, déjà, n'ont jamais retrouvé leur niveau d'avant la pandémie. «Nous souffrons encore de la fermeture des frontières et nous ne nous sommes jamais vraiment rattrapés. Aujourd'hui, de nombreux Canadiens nourrissent un sentiment très négatif envers les Américains», a déclaré Mme Hayton. Elle a qualifié la situation de «vraiment triste (…) nous avons toujours eu une très bonne relation réciproque».

Mme Hayton soutient que son magasin a été conçu pour accueillir 8000 clients par semaine; aujourd'hui, il en accueille environ 2000.

Depuis la pandémie, elle arbore une banderole en vinyle de 1,20 mètre de long, représentant deux personnes se tenant la main et des drapeaux américain et canadien. Elle explique que les résidants ne veulent pas être jugés par «ce que fait notre président».

«Et c'est un peu hypocrite que les gens nous traitent ainsi, alors qu'en tant que citoyens, nous n'avons rien fait de mal, que nous avons toujours été bons, bienveillants et ouverts envers nos voisins du Nord, et que nous voulons que cela reste ainsi», souligne Mme Hayton. 

Tamra Hansen, propriétaire du Saltwater Café, à deux pas de la plage, est très directe quant à l'impact de cette guerre commerciale. «L'endroit est désert, il y a très peu de fréquentation», a déclaré Mme Hansen, qui estime que 90 % de ses revenus proviennent des Canadiens. «C'est une période très stressante pour nous tous, car je dépends des Canadiens pour faire fonctionner mon commerce», a déclaré Mme Hansen, qui embauche une quinzaine d'employés.

Brian Calder estime que les droits de douane américains imposés au Canada sont «absolument inutiles» — ils ne rapportent rien, ni émotionnellement ni économiquement. «Alors, pourquoi faites-vous cela ? C'est absurde», estime M. Calder, qualifiant cette stratégie de «totalement stupide et inhumaine».

«Et en plus, vous avez menacé l'intégrité du Canada en tant que nation», dit-il, faisant référence au président Trump. «Il ne fait aucun doute que le Canada ripostera (…) il en a parfaitement le droit.» 

M. Calder cite une inscription sur le monument de l'Arche de la Paix, à la frontière, qui décrit les Canadiens et les Américains comme les «enfants d'une mère commune».

«Ce serait bien que le président Trump et son vice-président viennent lire l'Arche de la Paix et se mettent dans la tête que nous sommes alliés et meilleurs amis depuis 200 ans, et qu'ils se demandent pourquoi il pense devoir nous monter les uns contre les autres», lance M. Calder avec colère.

Nono Shen
Nono Shen / La Presse canadienne