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Selon lui, les juges et les policiers aussi devraient pouvoir afficher des signes religieux pendant l'exercice de leurs fonctions.
Dans une entrevue de fin d'année à La Presse Canadienne, Justin Trudeau a livré le fond de sa pensée sur la loi québécoise sur la laïcité de l'État, et ça ne se limite pas à sa réaction au sort réservé aux enseignants.
Il s'éloigne résolument du consensus qu'a signé, à une certaine époque, la Commission Bouchard-Taylor. Selon lui, les juges et les policiers aussi devraient pouvoir afficher des signes religieux pendant l'exercice de leurs fonctions.
«Je pense que quand on tombe dans une lignée où on commence à dire que quelqu'un qui est religieux ferait un moins bon policier ou juge que quelqu'un d'autre, on est en train de miner la confiance que les gens peuvent avoir dans nos institutions», a-t-il argué.
Ses collègues du Parti libéral du Québec (PLQ)n'avaient protesté que contre l'ajout des enseignants à la liste des personnes en autorité visées par la loi. Et depuis le débat sur le projet de loi 21 et l'adoption en 2019 du texte législatif, les opposants aux restrictions brandissent surtout les enseignants comme exemple d'injustice.
Mercredi, aux Communes, piqué au vif par les attaques du Bloc québécois dans ce dossier, M. Trudeau avait évoqué les policiers et les juges.
«On ne se pose pas des questions sur la religion d'un policier ou d'un juge. (...) N'importe quelle religion que quelqu'un pratique dans (sa) vie personnelle ne devrait pas l'empêcher de pratiquer une profession», avait-il tonné.
Invité à élaborer dans l'entrevue du lendemain, le premier ministre y est allé d'un long plaidoyer.
«Même si quelqu'un ne porte pas de signe ostentatoire religieux, est-ce que le fait qu'il est juif ou musulman va faire de lui un moins bon policier? Non. On n'accepte pas ça au Québec. On est fier d'avoir des gens qui servent de toutes sortes de différentes origines. Et quand on dit "si vous devez porter quelque chose de visible, ah là, ça vient affecter votre capacité d'être professionnel..." C'est ne pas avoir confiance dans nos institutions, de dire que si vous êtes religieux, vous pouvez moins bien faire votre job que si vous ne l'êtes pas», a-t-il insisté.
Soutenir l'illégal?
Dans une entrevue au Devoir, cette semaine, la cheffe du PLQ, Dominique Anglade, a dit qu'elle ne défendrait pas une commission scolaire qui a posé un geste illégal en embauchant Fatemeh Anvari, en dépit de la loi.
Le premier ministre Trudeau, lui, viendra-t-il à la défense d'un geste illégal?
«Ce n'est pas contre une loi fédérale», commence-t-il par répondre.
Devant l'insistance des journalistes de La Presse Canadienne, il se reprend.
«Je comprends. Je comprends. Et moi mon défi... et je ne suis pas en train de dire aux gens de ne pas suivre la loi. Je suis en train de dire aux gens qui contestent cette loi devant les tribunaux qu'ils devraient continuer de faire ce travail, de se défendre devant la cour», finit-il par conclure.
Pour faciliter ces démarches devant les tribunaux, les maires de grandes villes canadiennes se disent prêts à débourser des milliers de dollars pour financer les contestations judiciaires visant à contrer la loi adoptée il y a plus de deux ans au Québec.
La Ville de Brampton a mis 100 000 $ dans la cagnotte. Toronto et Calgary sont prêtes à l'imiter.
Devant ces gestes, au moins un des ministres québécois de Justin Trudeau s'est braqué. «Moi, je suggère aux gens qui sont à l'extérieur du Québec de laisser ce débat-là avoir lieu au Québec», a conseillé la ministre de l'Agriculture, Marie-Claude Bibeau, à sa sortie des Communes.
«C'est la démonstration qu'il y a une mécompréhension dans ce pays-là entre ce qu'est la vision de la laïcité au Québec pis dans le reste du Canada», observait de son côté le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, devant les mêmes portes.
Sans condamner l'intervention des maires, M. Trudeau s'est inquiété de voir le débat public dans le Canada anglais glisser vers l'intolérance anti-Québec.
«On est en train de dire à une jeune femme qu'elle doit choisir entre sa religion ou sa job. Je pense qu'il faut encourager cette réflexion, mais moi, ce qui me fait peur, c'est que effectivement, si ça commence à tomber dans le "Québec bashing", ça va nuire à la conversation», a-t-il dit.
«C'est des conversations intéressantes à avoir et je déplore l'intensité, mais je la comprends tout à fait quand il y a des musulmans ou des gens en dehors du Québec qui voient ça comme étant une attaque directe contre des droits fondamentaux, quand beaucoup de Québécois voient ça comme 2on est en train de libérer les gens d'une religion"», a-t-il noté.
Tout compte fait, Justin Trudeau estime que son père avait raison de ne pas vouloir d'une «clause dérogatoire» dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement de François Legault a évoqué cette «clause nonobstant» pour prémunir sa Loi sur la laïcité de l'État contre des attaques devant les tribunaux.
«Je suis d'accord avec mon père que ce n'est pas une bonne chose à avoir dans la Charte», a-t-il tiré comme conclusion.