Début du contenu principal.
Des entreprises qui vendent illégalement ces produits en ligne tentent de rejoindre des clients canadiens par l'entremise des réseaux sociaux. Il est facile de commander cette substance illicite. Savoir ce qu'on consomme? Plus compliqué.
La pratique du microdosage de champignons magiques, qui gagne en popularité depuis quelques années aux États-Unis, s'installe au Canada. Des entreprises qui vendent illégalement ces produits en ligne tentent de rejoindre des clients canadiens par l'entremise des réseaux sociaux. Mais s'il peut être facile de commander cette substance illicite, savoir ce qu'on consomme est pas mal plus compliqué…
Intriguée par une publicité sur Facebook faisant la promotion de produits de microdoses de champignons magiques, l'équipe de Noovo Info a constaté à quel point il est simple de se procurer cette substance, dont la vente est pourtant illégale au Canada. Il a été possible de se procurer un flacon de pilules de microdoses de champignons magiques de 250 grammes pour la modique somme de 60 $.
Cette drogue est connue pour ses propriétés hallucinogènes, qu’elle doit à des composés comme la psilocybine et la psilocine. Selon ses adeptes, le fait de consommer une microdose — entre un dixième et un vingtième du produit — stimulerait la créativité et pourrait se révéler utile dans la gestion de certains problèmes de santé mentale ou physique.
À lire aussi:
Ni les organismes communautaires, ni les laboratoires universitaires que nous avons consultés n'ont pu identifier les ingrédients contenus dans les capsules avec certitude.
Le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale (GRIP) et CACTUS Montréal offrent aux citoyens un service d’analyse de substances illicites afin d’en déterminer la pureté et la fiabilité. Les technologies d’analyse utilisées ne sont toutefois pas concluantes pour les matières organiques comme les champignons.
Le spectromètre infrarouge passe un faisceau de lumière au travers d’un échantillon afin de le comparer à une base de données. «Ça va être difficile avec les matières organiques, parce qu'il y a tellement d'autres molécules dans l'échantillon, que la machine ne va juste pas être capable de toutes les analyser finement, de toutes les ressortir», explique Roxanne Hallal, intervenante en réduction des méfaits au GRIP.
Pour ajouter à la difficulté, les pilules commandées en ligne sont souvent faites d'un mélange de différents champignons. «La machine à spectromètre peut juste analyser un certain nombre de substances qui sont présentes dans l'échantillon. Ça se peut qu'on trouve juste des champignons portobellos», illustre-t-elle en riant.
Le GRIP s’est quand même prêté au jeu en analysant une partie du produit reçu. Sans surprise, les résultats n’ont pas été convaincants. Il a simplement été possible de confirmer la présence de psilocybine dans la partie de la pilule analysée. Les bandelettes de détection de fentanyl ont également obtenu un résultat négatif pour l’échantillon analysé. Note de l’éditeur: le flacon commandé en ligne a été laissé entre les mains de l’organisme.
Photo: Une bandelette de détection de fentanyl et des tests colorimétriques utlisés pour tester la microdose de champignons magiques lors d’une analyse de la substance par le Groupe de recherche et d’intervention psychosociale, le 26 janvier 2022.
«Je pense que comme n'importe quel produit qu’on commande en ligne, ça peut être un problème de ne pas pouvoir savoir qu'est ce qu'on a en fait, mentionne Mme Hallal. Les choses qui sont légales sont contrôlées d'une certaine façon. Quand je commande du dentifrice en ligne, je sais ce que je reçois. [...] C'est encore une fois le fait que c'est dans la prohibition et que c'est complètement illégal.»
Cette dernière ajoute également qu’il est très difficile de trouver de l’information sur les effets à observer. «Est-ce que si mon pouls augmente considérablement le jour où j'ai pris la microdose, est-ce que ça se peut que ça soit parce que c'est coupé avec autre chose? Et on n'a pas vraiment d'informations là-dessus.»
«C'est qu'on a comme peu de bases sur laquelle se baser, finalement, pour aider les gens à être plus sécuritaires dans cette consommation», poursuit-elle.
Ne vous laissez pas berner. La facilité avec laquelle il est possible de se procurer des microdoses de drogues en ligne n’est en rien un gage de leur légalité. Il est strictement interdit de commander ou de vendre des champignons hallucinogènes en ligne.
«En ligne, c’est difficile de tracer d’où ça vient exactement. C’est des compagnies qui prennent des gros risquent, honnêtement», précise d’emblée Me Nour Farhat, avocate et détentrice d’une maîtrise en droit criminel. Ces dernières «contournent» inévitablement les règles pour parvenir à leurs fins.
«Ça reste une compagnie. Tu ne peux pas mettre une compagnie en prison, illustre Me Farhat. Ce sont des amendes qui sont données. Pour eux, le risque semble moins grand que les gains. Ils voient qu’ils font peut-être plus d’argent.»
Impossible également de trouver ces compagnies dans le Registraire des entreprises du Québec et du Canada. Aucune ne semble enregistrée. Après quelques essais de recherche, les termes «champignons magiques» ont permis d’identifier deux entreprises qui sont dorénavant radiées au Québec.
«On a vu des exemples que le site de la compagnie disparaît du jour au lendemain, ajoute Me Nour Farhat. Probablement que la personne principale a été arrêtée. Ils ne sont pas à l’abri [de la loi].»
Il faut également garder en tête qu’il est beaucoup plus simple de vendre ce type de produits en ligne en raison du système de justice qui n’évolue pas à la même vitesse que les avancées technologiques. «Tu appelles la police, la police doit demander un mandat à un juge pour demander à Facebook de pouvoir savoir l’adresse du vendeur. Il y a beaucoup de bureaucratie derrière ça», explique-t-elle.
Sans surprise, il n’est pas légal non plus de faire de la publicité de substances illicites sur les réseaux sociaux. Selon ce qu’a observé Noovo Info, certaines compagnies brouillent, par exemple, les noms des produits, ou font plutôt la promotion de produits de bien-être afin de contourner les règles publicitaires de Facebook.
Depuis le 5 janvier, une avancée importante a secoué le monde des psychédéliques. Les médecins canadiens peuvent dorénavant demander un accès à la psilocybine, qui se retrouve dans les champignons magiques, pour le traitement d’urgence de certains patients aux prises avec des troubles de santé mentale.
Cet accès demeure uniquement légal dans le cadre du Programme d’accès spécial (PAS) de Santé Canada. L’agence publique a reconnu du même pas les bienfaits thérapeutiques de la substance pour traiter l’anxiété, la dépression, le trouble obsessionnel-compulsif et la consommation problématique de substances psychoactives.
Ces exceptions demeurent parmi les seules valides aux yeux de loi. Une personne en possession de psilocybine peut s’exposer à une amende de mille dollars et jusqu’à six mois d’emprisonnement. «C’est quand même grave, il n’y a pas de quantité minimum comme avec le cannabis. Si on est en possession de n’importe quelle sorte ou de n’importe quelle quantité de champignons, qu’on se fait arrêter, qu’on se fait fouiller, et que le policier se rend compte qu’on a des champignons sur nous, directement on peut être accusé de possession», ajoute Me Farhat.
«Les champignons sont régis par la loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il est strictement interdit d’en posséder, d’en faire le trafic, d’en vendre, d’importer et d’exporter. C’est une drogue qui est interdite», rappelle-t-elle.
Dans la dernière année, de plus en plus de curieux se sont tournés vers la Société psychédélique de Montréal, qui se décrit comme «une communauté où les gens peuvent se réunir et s’engager dans un dialogue sur les psychédéliques», à la recherche de ressources ou de témoignages au sujet de la pratique du microdosage d’hallucinogènes.
«Il y a vraiment un gros engouement en ce moment, constate Roxanne Hallal, qui est également la directrice exécutive de l'organisme. Je pense que les petites doses, ça fait un peu moins peur aux gens qui n'ont jamais consommé ou qui ont eu de mauvaises expériences.»
Pour Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’École de psychoéducation à l’Université de Montréal, chercheur à l’Institut universitaire sur les dépendances (IUD) et au Centre de recherche en santé publique (CReSP), cette popularité témoigne d’un rapport aux drogues qui est peut-être plus banalisé dans notre société, voir glorifié.
«C'est un peu le phénomène de la Silicon Valley. Les gens consomment souvent, pour être plus concentrés, pour être plus performants et plus créatifs. Donc, dans une certaine mesure, ça peut être une bonne chose. Mais si on en venait à une situation où il faut consommer pour s'adapter à une société malade, ça pourrait être problématique», poursuit-il.