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Julie Lévesque, 44 ans, travaillait depuis 8 ans comme infirmière lorsque des douleurs lombaires l’ont mise sur le carreau.
Julie Lévesque, 44 ans, travaillait depuis huit ans comme infirmière lorsque des douleurs lombaires l’ont mise sur le carreau.
«J’ai fait un retour aux études dans ma trentaine, alors c’est particulièrement crève-cœur», m’explique-t-elle au téléphone, un peu plus tôt cette semaine. Julie a travaillé à la salle d’accouchement de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pendant cinq ans avant de retourner à Matane, dans sa région natale, afin de se rapprocher de ses parents.
Pour contrôler sa douleur, la mère de deux adolescents est alors lourdement médicamentée. Mais au bout d’un certain temps, l’infirmière n’en peut plus. Seule une opération peut la soulager. Elle est donc placée sur une liste d’attente et demeure en arrêt de travail trois ans. Devant mon étonnement face aux délais d’attente, elle me confie qu’ils sont dus, sans grande surprise, à la pandémie. C’est finalement en mai 2023 qu’on lui implante un neurostimulateur afin de gérer le mal occasionné par ses deux hernies discales. Le principe est simple: le neurostimulateur stimule les nerfs et la douleur est censée diminuer.
«J’ai continué à prendre des médicaments même si avec le neurostimulateur, mes douleurs se sont atténuées. Ça m’aide, oui, mais je demeure avec des limitations importantes.» Le médecin de famille de Julie Lévesque a été formel avec elle. «Il m’a dit que je ne pourrais plus jamais travailler aux patients.» «Travailler aux patients», ça veut dire être en contact avec eux pour les tourner et les manipuler. Ça signifie aussi de longues heures debout et beaucoup de déplacements, ce qui désormais, est impossible pour Julie.
Madame Lévesque demande donc de travailler assise, ce qui est tout à fait possible dans sa profession. Elle est alors engagée au 811 de Mont-Joli, mais ça ne fonctionne pas. «Ça faisait trois ans que je n’avais pas pratiqué, alors je ne remplissais pas les objectifs et je trouvais ça difficile après ces années d’arrêt d’évaluer des patients à distance.»
Julie se tourne vers le CISSS du Bas-St-Laurent, duquel elle relève. «On m’a dit qu’on ne me laisserait pas tomber, qu’il y avait de la place pour moi. On m’a suggéré de poser ma candidature sur des postes.» C’est là que débute un enfer bureaucratique dans lequel l’infirmière est toujours plongée aujourd’hui.
«Je me sentais comme dans la maison des fous d’Astérix. La personne qui s’occupait des postes ne connaissait pas la description de ceux-ci, alors j’appliquais sur des emplois en ne connaissant pas la description de tâches. Ça ne marchait jamais, évidemment. Il n’y avait aucune logique dans ce processus.»
Découragée, Julie Lévesque se tourne vers son syndicat, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). «On m’a dit qu’on avait envoyé un courriel au CISSS du Bas-St-Laurent. Après, ç’a été les vacances, les menaces de grève. J’ai essayé de les rejoindre pendant deux semaines, et je suis restée sans nouvelle.»
J’ai communiqué sans succès avec la FIQ. Du côté du CISSS du Bas-St-Laurent, on m’a répondu, sans grande surprise, qu’on ne commenterait pas ce cas précis. Le conseiller aux relations médias, Gilles Turmel, a quand même tenu à préciser que «chaque cas individuel est analysé et que des emplois plus adaptés aux limitations physiques ou autres des employés sont proposés, que ce soit sur une base temporaire ou même permanente». Je lui souligne quand même que c’est assez ironique, dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre, que cette infirmière qui veut travailler se retrouve chez elle, à ne rien faire. M. Turmel me réitère que chaque cas est analysé et que toutes les solutions possibles sont envisagées. Vraiment?
«J’ai l’impression que tout le monde se renvoie la balle, que personne ne sait quoi faire avec moi. Ça fait presque deux mois que je n’ai pas travaillé. En plus de mon arrêt de travail, ça commence à faire beaucoup.» Pourtant, Julie Lévesque pourrait faire de la vaccination, des évaluations avant les chirurgies, travailler en salle de réveil, effectuer des prélèvements sanguins, des perfusions. En fait, la liste des tâches que l’infirmière peut accomplir malgré sa condition est assez longue.
Julie Lévesque en a des solutions pour travailler malgré son état. Elle a proposé des solutions de rechange et se montre proactive pour trouver un emploi qui sera en accointance avec ses limitations. «J’ai même fait une demande d’emploi pour un poste d’aide à la naissance à la maison de naissance de Mont-Joli. C’est géré par le CISSS. Je n’ai pas eu de nouvelle.»
Alors je répète ma question pour les gens du CISSS et de la FIQ: «Comment se fait-il qu’en pleine pénurie de main-d’œuvre, une infirmière qui désire travailler se voit assignée à résidence?»
Résignée et faisant face comme tout le monde aux conséquences de la montée des taux d’intérêt et à l’inflation, Julie Lévesque a dû se résoudre, début novembre, à faire une demande d’aide sociale. En attendant d’obtenir cette aide, elle fait un remplacement en technique d’éducation spécialisée dans une école de sa région.
Quand je lui demande pourquoi elle ne va pas au privé, l’infirmière m’explique qu’à Matane, il est difficile d’aller au privé avec les limitations qu’elle a. Et quitter la région? «Peut-être quand mes deux ados seront partis eux aussi, mais pas pour l’instant, je dois rester dans la région. Mais je suis prête à aller travailler à Mont-Joli, qui est à 40 minutes de route. Je le faisais pour le 811.»
Je vous disais tantôt que j’avais communiqué avec le CISSS du Bas-St-Laurent et la FIQ au sujet du dossier de Julie Lévesque. La même journée, par le plus grand des «hasards», madame Lévesque a reçu des nouvelles des deux entités. Du côté de son syndicat, on lui aurait promis de régler sa situation d’ici 24 à 48 heures. Je précise que Julie attend toujours ce fameux règlement. Sinon, on lui a proposé de l’inscrire sur la liste de rappel. «Pour m’offrir des remplacements de vacances une fois de temps en temps. Franchement! J’ai un poste à temps plein. Je ne peux pas vivre une fois de temps en temps.»
Si ce n’est pas ça, laisser tomber quelqu’un, je me demande ce que c’est.
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