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Mulroney fut décoré en Afrique du Sud tout comme ce fut le cas pour Mandela au Canada.
Récemment, je mangeais au resto avec deux amies de longue date. Au cours de la soirée, l’une d’entre elles a affirmé que nous vivions dans un monde où peu de choses ont du sens. J’ai acquiescé avec vigueur: «oui, tous les jours, je me dis W.T.F. quand je regarde les nouvelles!» Face à notre sentiment partagé, considérant l’état du monde, nous avons ri jaune en finissant notre souper.
La semaine dernière, nous avons appris la mort de l’ancien premier ministre fédéral Brian Mulroney. Parmi les hommages qui n’ont pas tardé à affluer, plusieurs politicien·nes ont salué le fait qu’il ait vigoureusement critiqué le régime inhumain de ségrégation raciale qui régnait en loi et maître en Afrique du Sud entre 1948 et 1994.
Nelson Mandela, figure emblématique de la résistance sud-africaine, est devenu président en 1994 au terme des premières élections démocratiques du pays. C’était après avoir passé 27 ans en prison pour s’être opposé à l’apartheid. Mulroney fut décoré en Afrique du Sud tout comme ce fut le cas pour Mandela au Canada, symbole d’une amitié entre les deux pays et les deux hommes.
C’est sans doute en raison de son histoire qu’il y a quelques mois, l’Afrique du Sud a déposé une plainte pour «génocide» contre Israël devant la Cour internationale de Justice, un organe des Nations Unies, dans la foulée des meurtres de masse ciblant en majorité la population palestinienne, massacres qui sont à leur paroxysme depuis le 7 octobre dernier.
De son côté, le Conseil de sécurité, une autre instance onusienne qui fait controverse depuis des décennies, se retrouve les mains liées face aux appels grandissants au cessez-le-feu à Gaza malgré sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Créé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale en 1945, le Conseil de sécurité est composé de dix États membres non permanents et de cinq États membres permanents, ces derniers ayants droit de veto.
Ces cinq États, qui sont à l’heure actuelle les cinq plus grandes puissances nucléaires, ont le droit de bloquer toute résolution proposée par les autres États membres. Pourquoi ont-ils ce privilège? Parce qu’ils sont considérés comme les acteurs les plus influents de l’après-Deuxième Guerre mondiale. Nous parlons ici de la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Depuis près de 150 jours, les États-Unis ont utilisé leur droit de veto à trois reprises, et ce, bien que la quasi-totalité des 15 membres du Conseil soit en faveur d’un cessez-le-feu.
Mais revenons à Mulroney.
Plusieurs élus des trois paliers — municipal, provincial et fédéral — le louangent pour avoir été du «bon côté de l’Histoire» dans le cas de l’Afrique du Sud. Or, l’ironie veut qu’une récente pétition ayant récolté plus de 82 000 signatures demande au gouvernement Trudeau de cesser le commerce d’armes entre le Canada et Israël. On y souligne les sommes records, soit plus de 20 millions de dollars d’armes ayant été livrés par le Canada à Israël en 2022, situation dénoncée également par des élus libéraux fédéraux.
Parallèlement, il y a une semaine, le président des États-Unis, Joe Biden, était de passage à l’émission Late Night with Seth Meyers. À la fin du tournage, alors qu’il discutait avec les clients d’une crèmerie, plusieurs journalistes en présence lui ont posé des questions sur Gaza.
Non seulement sa réponse était vague — il «espérait» un cessez-le-feu ce lundi et on attend toujours — mais ce qui a suscité une réaction W.T.F. chez plusieurs a été son attitude «chillo-relax tranquille» en donnant sa réponse, avec un timing plus que douteux, cornet de crème glacée à la main.
À défaut de connaître son histoire, elle est condamnée à se répéter. Plusieurs jeunes palestinien·nes mettent leur vie en péril pour documenter, en temps réel, leur quotidien sur Instagram et TikTok. L’une d’entre elles, Bisan Owda, née à la fin des années 90, cumule plusieurs millions d’abonnés sur les réseaux sociaux depuis octobre dernier. Commençant toutes ses vidéos de la même manière — bonjour, c’est Bisan, je suis toujours vivante — elle nous partage son journal intime, espérant que les choses changent pour les siens, telle l’Anne Frank des temps modernes qu’elle est devenue malgré elle.
Ces jours-ci, plusieurs s’étonnent que des jeunes racisés nés au Québec et dont plusieurs n’ont jamais mis le pied dans le pays de leurs parents rejettent la Belle province. À force de casser du sucre sur le dos des immigrant·es, de faire le «procès des Québécois non blancs» et de les blâmer pour tous les maux que porte cette province de la crise du logement en passant par l’effondrement de notre système de santé, je ne vois pas en quoi cela est surprenant.
Le peuple palestinien est apatride au sens le plus propre du terme en raison de l’apartheid qu’ils subissent de l’État d’Israël depuis 75 ans. Au sens métaphorique, les Québécois·es, «immigrant·es de deuxième, troisième génération et plus» le sont aussi.
En outre, nous sommes nombreux·ses à avoir l’impression d’être des extraterrestres. Comment est-ce possible de déshumaniser un peuple au point de vouloir le rayer — littéralement — de la carte du monde? Pourquoi cette histoire se répète-t-elle, celle de l’Allemagne nazie, de la Seconde guerre mondiale à Gaza? D’où vient cette haine?
Parfois, on entend dire que les personnes émotives sont peu objectives. Pourtant, c’est lorsque l’on est coupé de sa propre vulnérabilité que l’on devient irrationnel et inhumain. Malgré cette terre en flammes, c’est grâce à la profondeur des conversations que nous avons avec les gens autour de nous — comme des amis autour d’un souper — que l’on trouve son oxygène. Sans ces maillages de solidarité, on n’est plus. Et sans les autres, rien ne fait sens. Ce n’est pas tout le monde qui a accès à cela, d’où l’importance de chérir ces liens surtout qu’ils ne sont jamais acquis.
Nous avons besoin de ces foyers d’humanité pour donner sens à notre passage ici-bas. Il le faut aussi pour étendre notre solidarité aux autres. Sans ça, le sentiment d’impuissance nous habite, nous consume et peut avoir raison de notre humanité.
Nelson Mandela employait le mot ubuntu, un terme d’origine africaine signifiant «je suis parce que nous sommes.» Même si le ciel nous tombe sur la tête, je sais que nous sommes de nombreux apatrides à appartenir à la même maison. À se dire W.T.F. plusieurs fois par jour. À rire jaune devant l’absurdité de certaines situations, comme pour composer avec un sentiment d’impuissance.
C’est sans doute naïf de ma part, mais il y a quelque chose de révolutionnaire dans le fait s’accrocher à son humanité coûte que coûte tout en continuant de dénoncer le non-sens, ensemble. Car entre vous et moi, il n’y a rien de sain à faire sens de situations qui, en toute franchise, n’en ont tout simplement pas.