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«Dans Hochelaga, on apprend plus vite qu’ailleurs que le père Noël n’existe pas.»
Dans Hochelaga, on apprend plus vite qu’ailleurs que le père Noël n’existe pas. Mais il est remplacé par autre chose. Quelque chose que tu remarques peu de temps après ton arrivée dans le quartier.
Car tu vas d’abord voir que la rue Ontario, l’épine dorsale du quartier, compte la plus grande concentration de pizzerias par habitant au Canada. Puis, qu’on voue un culte à la Pataterie qui sert un excellent cheeseburger au bacon, mais dont la poutine est loin d’être la meilleure du quartier, si tu veux mon avis.
Tu vas faire une demande d’admission au groupe «Hochelaga MON quartier» et découvrir qu’il existe au moins sept ou huit façons d’écrire le mot «quartier».
En sortant de chez vous, tu vas découvrir l’un des seuls endroits en ville où les gens se jasent encore, dans la rue ou sur Facebook.
Tu vas peut-être croiser Huguette, qui est seule le 24 décembre.
Elle est née dans le bout de la rue Notre-Dame et y a fréquenté le couvent, il y a un bon 70 ans. Elle a rencontré l’amour de sa vie, André, qui travaillait dans un garage en bas de Notre-Dame. Les deux habitaient un petit logement juste à côté et elle est tombée enceinte. Elle a vu Montréal grandir à vitesse grand V. Un jour, les bulldozers sont arrivés chez elle pour construire une autoroute; fini le garage pour André, terminé leur petit appart. Le chômage et la bouteille ont remplacé l’ouvrage pour son homme et ont fini par lui arracher.
Elle habite désormais un HLM au sud de la rue Sainte-Catherine Est. Par sa fenêtre, elle voit le parc linéaire de la Notre-Dame. On n’y a jamais construit d’autoroute, mais beaucoup de gens viennent y camper, depuis que les loyers sont rendus trop chers. Derrière, de l’autre côté d’une grande clôture, il y a la voie ferrée où les conteneurs lui cachent la vue du fleuve.
En ce 24 décembre, elle a cuisiné un ragoût et de la tourtière, avec l’espoir que son fils vienne célébrer avec elle. Après tout, elle l’avait invité. Elle les imaginait réunis autour de cette nourriture réconfortante, avant de prendre la direction de la Messe de minuit, dans l’une des grandes églises de la rue Adam. Malheureusement, son fils ne retournait jamais ses appels. Et les églises de la rue Adam étaient maintenant toutes barricadées.
À onze heures du soir, elle a pris sa tablette et elle écrivit sur le groupe du quartier: «Nourriture de Noël à donner pour une famille dans le besoin. Joyeuses Fêtes». Ses larmes créant des arcs-en-ciel sur l’écran cathodique.
Si tu te promènes dans le bout de Sainte-Catherine et Dézéry, tu risques aussi de croiser Jimmy. Le visage magané, mais animé d’un grand sourire, il sort du pawn shop en possession d’un vrai trésor: cent piasses cash. Gracieuseté de Julie dont le cellulaire avait glissé des poches, sur la banquette de la voiture. Jimmy n’avait eu qu’à le cueillir après avoir lancé une brique dans la fenêtre de la Toyota. L’angoisse qui l’avait tenaillé toute la journée se dissipait, puisqu’il allait enfin pouvoir obtenir sa dose. Il y a longtemps que Jésus et lui s’étaient oubliés. Mais ce soir, il chanterait sa délivrance et célébrant la Meth de minuit.
Aucune chance de croiser Sandy, par contre. Veille de Noël ou pas, elle travaillerait jusqu’au bout de la nuit devant son ordinateur. Il y avait une transaction à terminer avant la fin de l’année dans le bureau de fiscalistes qui l’employait et c’était toujours les plus jeunes qui se tapaient le travail le soir, la fin de semaine et les jours fériés. Elle serrait les dents, se concentrant sur la tâche. Elle n’avait pas le choix, puisque le prix de l’hypothèque sur son petit condo avait presque doublé depuis l’achat en surenchère, il y a deux ans. Vers minuit, elle irait voir sur Tinder si quelqu’un qui ne lui déplaisait pas trop serait disponible pour lui donner un peu de chaleur.
En parcourant ton fil d’actualité, tu verras la publication de Nadja, qui a requis l’anonymat avant d’écrire: «Bonjour, je suis une enseignante en grève depuis un mois, mère de deux enfants. Je me sens mal de demander de l’aide ici, sachant que certains sont plus dans le besoin que moi… Mais, voilà, avec le prix du loyer et de l’épicerie, je n’ai pas réussi à mettre de l’argent de côté pour acheter des cadeaux de Noël à mes petits amours». Ça te réchauffera le cœur de voir les commentaires et la générosité des voisins qui ont amassé de quoi gâter les enfants en moins de deux.
Parce qu’on sait depuis longtemps que le père Noël n’existe pas dans Hochelaga, mais on a appris à le remplacer par l’entraide quotidienne, sans jugement. Parce qu’à force de se côtoyer, on réalise qu’on se ressemble tous. On sait que ça pourrait être nous qui se retrouve dans le besoin, sans crier gare. Et si cette entraide ne règle pas les problèmes sociaux qui affligent le quartier par magie, elle fait quand même chaud au cœur là où elle passe. Surtout dans le temps des Fêtes.