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Santé
Chronique |

Dr Alain Vadeboncoeur | Décongestionner les urgences pour sauver des vies

Les problèmes que nous connaissons actuellement aux urgences vont bien au-delà du simple désagrément : des patients meurent en raison de cette congestion.

On pense parfois que la congestion aux urgences est un désagrément. Une conclusion rassurante quand on sait que nous tolérons le problème depuis les années 1960 au Québec — plus que partout ailleurs : nous sommes même les champions du monde! Mais les problèmes que nous connaissons actuellement aux urgences vont bien au-delà du simple désagrément : des patients meurent en raison de cette congestion.

C’est une des raisons derrière cette lettre coup de poing des chefs médicaux des urgences du Québec, qui tiennent à rappeler la mission «d’accueillir, d’évaluer, de stabiliser et d’orienter les patients» et non de «pallier le manque de ressources des autres unités» hospitalières de soins, à dénoncer la situation actuelle, voyant les problèmes empirer depuis des mois et ne percevant pas d’embellie à l’horizon.

Congestion en attente d’hospitalisation

La congestion, ce n’est pas d’abord des salles d’attente pleines. Cette forme d’attente, qui a certainement aussi des impacts moins bien connus sur la santé est plus proche du désagrément — parfois extrême! — mais s’agissant de patients moins malades, les conséquences sont moindres.

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Quand on parle de congestion, comme la lettre des chefs l’indique bien, il s’agit plutôt de ces personnes, souvent âgées et très malades, pour qui une hospitalisation est demandée, mais dont le transfert vers une unité de soins («à l’étage») à l’hôpital est habituellement retardé de plusieurs heures ou même souvent de journées entières. Bref, des malades fragiles qui doivent séjourner de manière prolongée à l’urgence parce qu’il n’y a pas de lit d’hospitalisation disponible.

Quand les urgences sont dites «congestionnées», c’est aussi que leur capacité en civière en débordée, par exemple avec 90 patients couchés dans un milieu qui ne comporte que 50 civières (occupé à «180%»), les 40 autres se retrouvant un peu partout sur des civières dans les corridors. On peut consulter en temps réel cette donnée sur ce site.

De sorte qu’une bonne proportion de ces patients séjourne beaucoup trop longtemps sur une civière, dans un environnement qui n’est absolument pas approprié pour offrir des soins de qualité à une personne âgée malade.

Mourir en raison de la congestion

Comme il est bien souligné dans la lettre des chefs, c’est quand on touche à la qualité des soins — et c’est pratiquement inévitable en situation de congestion! – que des impacts concrets se font sentir, que ce soit dans le non-respect des mesures de salubrité ou encore dans l’impossibilité de mobiliser les personnes âgées fragiles qui perdent rapidement leur mobilité lorsqu’elles sont confinées à une civière, sans parler des déliriums et des accidents.

De ce point de vue du risque, il est démontré depuis longtemps, notamment par des données québécoises dérivées de recherches auxquelles j’ai moi-même participé, la congestion des urgences augmente directement la mortalité des patients. Bien sûr, ce n’est pas une épidémie : tout le monde ne meurt pas en raison de la congestion, mais ce lien est indéniable.

Au Québec, nous avons calculé que le risque de décès 30 jours après la visite augmente de 3% à chaque 10% de plus de congestion. Ce qui veut dire que si on passe de 50 patients sur civière en moyenne à 90, la mortalité globale augmente de 24%. Tout le monde n’en meurt donc pas, mais certains oui.

D’autres conséquences

Au-delà de la mortalité, qui est la conséquence extrême de la congestion des urgences, d’autres effets pour la santé, celle des patients comme celle du personnel, devraient nous pousser à régler ce vaste problème passé sous le radar durant la pandémie.

Par exemple, les infections acquises en milieu hospitalier («nosocomiales») quand les normes de salubrité ne peuvent plus être conformes, ou les risques de chutes, qui augmentent en cas de congestion, ou la perte d’autonomie des aînés fragiles. Du côté du personnel, le stress et la pression engendrée sont énormes et contribuent à des burn-out et des départs, soit de ces unités sous tension, soit carrément du réseau de la santé.

Pour le personnel et les médecins des urgences, ces conséquences sont d’autant plus marquées qu’à cette congestion s’ajoute la perception d’une iniquité fondamentale dans les hôpitaux, à savoir que la congestion doit se concentrer aux urgences, tandis qu’on épargne les unités de soins, qui elles peuvent fermer le robinet des admissions quand il y a surcharge ou manque de personnel. Cette approche «deux poids deux mesures», dénoncée depuis plusieurs décennies, est au cœur de la lettre des chefs.

Pourtant, la mission même des urgences, c’est de disposer de la capacité requise pour soigner le prochain grand malade, dont la vie est menacée, ou encore affecté par une douleur intense ou une condition aiguë moins dangereuse.

Or, la congestion compromet cette capacité d’agir, que ce soit du côté des civières et de l’accueil des ambulances — qui ne peuvent pourtant attendre à la porte en ligne! – ou encore du côté «ambulatoire», bien souvent les salles requises pour évaluer de nouveaux patients sur pied étant occupées par des patients qui attendent qu’une civière se libère… et donc qu’un lit à l’étage soit disponible.

Partager la pression

Ce que demandent les chefs d’urgence, c’est d’abord de rétablir l’équilibre, de partager cette pression indue qui se concentre actuellement sur les urgences — et sur les patients des urgences! – et d’assurer de l’équité dans la répartition de ce poids qui pour l’essentiel repose toujours sur les épaules du personnel et des médecins des urgences. Alors que les chefs (infirmiers et médicaux) se démènent jour après jour, il est temps de mieux répartir cette charge.

Le principe est simple : il faut voir que s’il y a 40 patients surnuméraires sur civière en attente d’admission dans un milieu de 50 civières, cela signifie un dépassement de capacité d’urgence de 80%, mais de 10% «seulement» dans un hôpital de 400 lits. Les chefs demandent de répartir cette pression dans tout l’hôpital pour éviter de la concentrer à l’urgence.

S’ils soulignent cela maintenant, c’est sans doute aussi en raison d’une fâcheuse impression d’un retour en arrière, puisqu’au milieu des années 2010, la congestion des urgences s’était améliorée, principalement sous l’influence du ministre Gaétan Barrette, qui exerçait, il est vrai, beaucoup de pression sur chaque hôpital et ses consultants médicaux afin d’assurer des prises de décision rapides éviter ainsi des délais indus. Parce que la congestion, c’est aussi une question de coordination des soins et d’implication de tous les médecins de l’hôpital, pas seulement de capacité en lits.

Au-delà des PDG des établissements directement interpellés, le ministre Christian Dubé l’est donc aussi dans cette lettre.

Agir à long terme

À plus long terme, au-delà des processus de soins, c’est la capacité en lit, que le ministre Dubé veut hausser de 4000, soit approximativement 25% de plus, qui reste une des clefs importantes. Reste à voir si le défi de trouver 4000 infirmières et le personnel pour pouvoir offrir des soins dans ce mobilier se réalisera, un autre immense défi.

En attendant, il est temps d’écouter les chefs pour éviter que les patients des urgences ne paient le prix de notre incapacité à leur offrir un environnement de soin de qualité. Quand ils demandent que les urgences puissent à court terme «maintenir leur mission première et permettre aux équipes en place de soigner adéquatement et humainement les patients qui s’y présentent», c’est plus qu’un cri du cœur qu’il faut entendre, c’est un appel à la raison.