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Société
Chronique |

Ces enfants que l’on déshérite

«Cela n'a aucun sens. Et cela ne devrait pas être permis par la loi.» La chronique de Geneviève Pettersen.

J’ai été touchée et bouleversée par la chronique de Marie-Eve Fournier publiée dimanche dernier dans La Presse. Dans son texte, la chroniqueuse racontait avoir reçu la lettre d’une mère qui lui confiait que son ex avait déshérité leur enfant par vengeance après un divorce particulièrement acrimonieux.

La question posée par Marie-Eve Fournier est simple, mais éminemment chargée: est-ce légal, au Québec, de déshériter son enfant? Je n’ai pas été surprise par la réponse. Oui. Oui, dans notre belle province, un parent peut tout à fait décider de léguer ses avoirs comme bon lui semble, et ce, peu importe la raison.

Le devoir parental et le devoir moral

Est-ce qu’on est obligé de léguer un héritage matériel à ses enfants? La question est intéressante, et complexe. C’est un sujet très sensible que celui de la filiation et des impératifs, légaux ou moraux, qui viennent avec celle-ci.

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Je sais que vous êtes plusieurs à lire ces lignes en vous disant que ça n’a aucun sens, qu’aucun parent ne ferait jamais une telle chose, peu importe les circonstances. Après tout, quand on met des enfants au monde, c’est tout d’abord pour leur transmettre quelque chose de l’ordre du savoir. On leur apprend à devenir des citoyens et des humains qui ont de l’allure. La transmission du patrimoine familial n’est que dans l’ordre des choses. La suite logique de ce parcours. Pas toujours.

On apprend dans le papier de Fournier que «30% des pères québécois de 25 à 50 ans qui se sont remariés ne lèguent rien aux enfants nés de leur première union». 30% (Contre 12% de femmes). C’est énorme.

C’est le moment de la chronique où j’avoue la raison pour laquelle le texte de Marie-Eve Fournier est autant venu me chercher. Mon père, décédé cet été, fait partie de ce 30%. C’est douloureux. Et ce n’est pas à cause de l’argent. L’argent, dans ce cas-ci, n’est qu’un symbole. L’argent, ou plutôt son absence, est le symbole inéluctable du désengagement et de l’abandon de mon père.

C’est une vérité qui me fait encore très mal au moment d’écrire ces lignes. Je me demande d’ailleurs pourquoi j’en parle publiquement. Mais je suis de même, un peu trop transparente. Pour le meilleur et pour le pire.

Et même si je me dis que n’ai aucune bonne raison d’étaler ce que je considère comme un secret honteux à la face du monde, je demeure persuadée que ça fait du bien de savoir qu’on n’est pas seul à subir cette traversée du désert.

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30%

Je ne suis pas toute seule de ma gang. Je me le répète, comme un mantra. Alexandra, qui m’a rejointe via Facebook en début de semaine à la suite d’une publication faite sur le sujet, me confie qu’elle n’aurait jamais pensé que c’était si fréquent. «Pour l’avoir aussi vécu avec toutes les conséquences psychologiques que ça amène et à quel point ça complique en plus le processus de deuil, ça m’a fait du bien de voir que je ne suis pas seule.»

Ça complique le processus de deuil. C’est un euphémisme de le dire. C’est excessivement douloureux de faire face à cette décision, immuable, prise par un parent. Et ça peut être extrêmement violent d’en arriver au constat que l’on ne valait même pas cinq cennes. Ça fait mal aux enfants, que l’on déshérite, mais ça fait aussi mal au parent qui reste.

C’est lui que l’on vise, finalement, dans la plupart de ces scénarios. Déshériter les enfants d’un ou d’une ex, c’est le chapitre final de la violence post-séparation. Le moyen ultime d’avoir un ascendant sur sa victime jusque dans la mort.

Céline, une mère qui a vécu pareil scénario m’explique que tout a basculé au moment de la mort de son ex-mari, duquel elle était divorcée depuis 2000.

«Décédé en juin 2023 à la suite à un long cancer, il a refusé de revoir nos enfants. Aucune reconnaissance ou justice pour eux, soit en parole ou en argent. Ils ont tout perdu de lui malgré leur espoir. Mon cœur de maman avait déjà assez souffert et il en sera de même pour toujours.»

D’autres provinces ont introduit dans leurs lois des obligations morales envers les enfants. Pourquoi ici, au Québec, ne va-t-on pas de l’avant avec ça?

Je repense aux mots d’Alexandra et de Céline. Et je repense à ma propre situation. La nouvelle femme de mon père refuse de transférer à mes héritiers une police d’assurance prise sur ma vie par mon défunt père. Cela ira donc, advenant mon décès, à ses héritiers, et ce, même si je n’ai aucun lien de parenté avec eux.

Je ne suis pas à plaindre, et le deuil de mon père était déjà bien entamé, plusieurs années avant son décès. Mais combien d’enfants seront déshérités pour diverses raisons et sans avoir aucun recours?

La question va se poser particulièrement dans les prochaines années avec le nombre grandissant de familles recomposées. Des situations comme la mienne, celle de Céline ou d’Alexandra, il va y en avoir de plus en plus.

Cela n'a aucun sens. Et cela ne devrait pas être permis par la loi. Surtout qu’on nage en pleine réforme du droit familial.

C’est le temps d’agir.