Début du contenu principal.
Stéphane Waite, ancien entraîneur de Carey Price, ainsi que de nombreux ex-athlètes et des professionnels du milieu sportif, témoignent d’un mal insidieux qui semble ronger le sport d’élite dans le nouveau documentaire de Noovo.
Il se passe quelque chose dans le monde du sport. Carey Price qui quitte le Canadien de Montréal pour intégrer le programme d’aide aux joueurs de la Ligue nationale de hockey (LNH). Naomi Osaka qui prend une pause indéterminée du tennis professionnel. Simone Biles qui se retire d’épreuves des Jeux olympiques, le temps de retrouver ses repères.
Est-ce que le sport d’élite est devenu à ce point toxique pour faire craquer les plus grandes vedettes? Et combien de jeunes athlètes ont cédé avant d’atteindre les hautes sphères du sport parce qu’ils ont été broyés par la pression?
Stéphane Waite, ancien entraîneur de Carey Price chez le Canadien de 2013 à 2021, ainsi que de nombreux ex-athlètes et des professionnels du milieu sportif, ont témoigné d’un mal insidieux qui semble ronger le sport d’élite. Noémi Mercier, animatrice de Noovo Le Fil 17, a recueilli leurs propos dans le cadre du documentaire Survivre au sport, présenté sur les ondes de Noovo.
Visionnez Survivre au sport sur noovo.ca
À lire aussi:
«J’ai fait sept ans et demi avec Carey et le Canadien. De septembre jusqu’à la fin des séries, on se voyait pratiquement tous les jours. Je ne l’ai jamais vu venir», a avoué Waite. Selon lui, Price «gardait beaucoup de choses en-dedans de lui», incluant ses frustrations, de la pression et les attentes d’une ville en entier.
Une pression indue? Price est parti en hiatus peu après avoir guidé le Canadien à sa première finale de la coupe Stanley depuis 1993 – un parcours soldé par un revers du Tricolore encaissé aux mains du Lightning de Tampa Bay.
«Ça m’a déchiré le cœur quand les gens ont critiqué [Price], à dire: "Il gagne des millions par année, il n’a pas le droit de prendre de pause." Attendez une seconde. Portons attention aux détails de la vie de ce gars», a analysé Jean-François Ménard, préparateur mental, conférencier et auteur.
«C’est un papa de trois jeunes enfants, a-t-il rappelé. […] Je n’ai pas besoin de m’expliquer en détail. On est dur avec lui parce qu’il est payé le gros salaire et il n’est pas censé être faible, mais c’est un être humain comme les autres. Ça fait 14 ans qu’il joue pour le Canadien de Montréal. Il arrive finalement à la finale de la coupe Stanley. C’est sa chance. Il sait très bien que cette chance puisse ne jamais se présenter à nouveau. […] Il a un deuil à vivre. Ceux qui n’ont jamais été athlètes de pointe ne comprendront jamais ça.»
Crédit photo: Phelan M. Ebenhack / The Associated Press
Par ailleurs, si le salaire d’un athlète est élevé, c’est qu’à la base, les partisans, les équipes et les commanditaires veulent bien le rémunérer à ce niveau. En retour, ils veulent des résultats.
«Les commanditaires ont des attentes répercutées sur les équipes, les entraîneurs, les sportifs, avec pour résultat que, dans certains contextes, on fait des raccourcis, a constaté Sylvain Croteau, directeur général et cofondateur de Sport’Aide, en entrevue avec Noémi Mercier. On ferme les yeux sur certaines choses. Les problèmes de santé mentale dans le sport, ce sont des phénomènes banalisés.»
«Près de 70 % des sportifs vivent des problèmes liés à la violence psychologique, a continué Sylvain Croteau. Les conséquences pour ces gens-là durent plusieurs années. Les séquelles sont des troubles alimentaires, des symptômes post-traumatiques, des idées suicidaires, des suicides.»
Aujourd’hui, Zoé Duval, ex-athlète en patinage artistique au niveau national entre 2011 et 2019, vit encore avec les séquelles d’une telle pression.
«J’ai développé une maladie auto-immune à force d’être tellement dans le stress, la dépression, que ça crée de l’inflammation dans mon dos lorsque j’ai des périodes de stress et je paralyse du bas du corps», a-t-il raconté dans le cadre du documentaire Survivre au sport.
«En patinage artistique, il y a un côté visuel élégant et un autre qui peut être très laid, comme la minceur, a-t-il raconté. J’ai développé de gros troubles alimentaires. […] Je m’évanouissais souvent, souvent en cachette parce que je n’étais pas fier de ça. Mes entraîneurs n’étaient pas conscients d’à quel point je ne mangeais pas, parce que je n’en parlais pas.»
À son souvenir, Zoé Duval n’avait pas les outils pour communiquer sa détresse et obtenir de l’aide. À l’époque, il pouvait aspirer à une carrière olympique après un podium aux championnats canadiens de patinage artistique, mais a renoncé à ses ambitions pour sauver sa peau, échapper à une culture sportive de la victoire qu’il décrit comme étant profondément malade.
L’analyse de Véronique Boudreault, professeure et chercheuse en psychologie sportive à l’Université de Sherbrooke, offre une partie d’explication à ce comportement.
«Certaines pratiques peuvent être normalisées pour les bienfaits de la performance sportive ou on peut tolérer certaines choses qu’on ne tolérerait pas normalement, parce qu’on veut atteindre des performances exceptionnelles», résume la psychologue.
Témoignage de Zoé Duval:
«Je me suis ramassé, pendant une ou deux années, à manger une pomme et un poivron par jour, sur l’heure du dîner. Pendant ce temps, je m’entraînais 30, 40 heures par semaine. Je ne tenais pas debout. Tu es entouré par une fédération qui a des ententes envers toi et qui te le fait savoir très, très souvent. La fédération adore les gens minces. La plupart des entraîneurs aussi vont forcer leurs athlètes à diminuer leur poids sans nécessairement bien les entourer de nutritionnistes. Ils vont juste mettre ça entre les mains de l’athlète. Évidemment, l’athlète va arrêter de manger, parce que c’est la façon la plus rapide de perdre du poids. Je pourrais affirmer avec confiance que la majorité des athlètes en patinage artistique de haut niveau ont des troubles alimentaires. Je regarde parfois mes cassettes d’enfant, quand mes parents venaient me filmer à mes premiers entraînements. Je vois à quel point j’étais heureux et moi-même. Je trouve ça tragique de m’être perdu à travers ça.»
Photo: Zoé Duval en entrevue avec Noémi Mercier. Crédit: Noovo
Le rêve suprême pour plusieurs athlètes est de participer aux Jeux olympiques et d’en revenir une médaille au cou. Un rêve qui peut rapporter gros… pour une infime minorité de sportifs. Pour les autres, ils sont nombreux à sacrifier leur bien-être psychologique, parfois même accepter des gestes abusifs à leur endroit.
Guylaine Dumont avait causé toute une surprise en décrochant la cinquième place en volleyball de plage aux Jeux olympiques d’été 2004 à Athènes. Quelques années auparavant, elle avait pourtant fait une croix sur son rêve olympique, pour se sortir d’un environnement malsain à l’entraînement.
«C’était ma troisième tentative avec cet entraîneur, s’est souvenue la cofondatrice de Sport’Aide, en entrevue avec Noémi Mercier. Je l’avais eu avec l’équipe nationale junior quand j’avais 17 ans. Après, je l’ai eu de 1990 à 1991. Je suis revenue [auprès de lui] parce que ma seule chance d’aller aux Olympiques, c’était en acceptant de jouer pour lui.
«Je savais que c’était de l’abus, a-t-elle laissé tomber. Je ne pouvais peut-être pas le dire dans ces mots à l’époque. Des joueuses avant moi en avaient parlé. Des pétitions ont été écrites pour le faire partir. Rien n’a été fait. On commence à être un peu plus équipé pour gérer les plaintes, mais il y a encore du boulot à faire.»
«Il est temps que ça change, estime Zoé Duval. Ça ne peut pas rester comme ça. Si j’avais des enfants, jamais je ne les enverrais dans un milieu comme ça.»
«On perd des sportifs. Combien de Naomi Osaka, de Jonathan Drouin échappons-nous à l’heure actuelle?» demande pour sa part Sylvain Croteau.
Qu’est-ce qui doit changer dans le sport de haut niveau pour permettre aux athlètes de se dépasser sans sacrifier leur santé mentale ?
Les avenues sont diverses. Ça commence par l’entourage direct des athlètes, mais des solutions pourraient provenir de plus hautes instances, d’après certains experts.
«Il y a de la formation pour les entraîneurs et de l’éducation à faire à l’échelle de tous les environnements sportifs, que ce soit pour les athlètes, les entraîneurs, les parents, les membres d’équipes de soutien intégré, c’est-à-dire les physiothérapeutes, nutritionnistes, préparateurs physiques…» propose la psychologue Véronique Boudreault.
«Au niveau de l’administration du sport, éventuellement, ce serait plaisant que le financement ne soit pas juste dépendant du succès et des médailles», suggère-t-elle également. Par exemple, une organisation sportive pourrait avoir à démontrer que son environnement est sain pour obtenir du financement.
«Les équipes qui dépensent des millions et des millions de dollars sur des préparateurs physiques, des nutritionnistes… Mettez-en de l’argent sur la santé mentale, lance pour sa part Stéphane Waite. Je suis certain qu’ils auront des athlètes heureux.»
Mettre la main à la pâte collectivement en matière de santé mentale pourrait-il éviter à des jeunes de perdre trop tôt le plaisir de pratiquer leur sport? Et pour exceller dans le sport, il faut parfois repousser ses limites jusqu’à l’extrême, mais des gens sortent brisés de ce qu’ils vivent au sein de l’élite.
Peut-on faire mieux?