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Économie

Réorganiser les chaînes d'approvisionnement est plus facile à dire qu'à faire

«Le Canada et les États-Unis entretiennent une relation commerciale intégrée. Elle s'est construite au fil des décennies.»

Le président américain, Donald Trump, s'exprime lors de l'annonce de nouveaux droits de douane dans la roseraie de la Maison-Blanche, le mercredi 2 avril 2025, à Washington. THE ASSOCIATED PRESS/Mark Schiefelbein
Le président américain, Donald Trump, s'exprime lors de l'annonce de nouveaux droits de douane dans la roseraie de la Maison-Blanche, le mercredi 2 avril 2025, à Washington. THE ASSOCIATED PRESS/Mark Schiefelbein
Christopher Reynolds
Christopher Reynolds / La Presse canadienne

L'idée que les entreprises canadiennes peuvent simplement réorienter leur chaîne d'approvisionnement en réponse aux droits de douane américains est illusoire, préviennent des experts.

Alors que des droits de douane de 25 % sont prélevés sur certains produits canadiens et que d'autres surtaxes pourraient être ajoutées par les États-Unis, les entreprises canadiennes cherchent d'autres endroits où s'approvisionner et où vendre leurs produits.

 

Mais les entreprises qui sont liées par des canaux d'approvisionnement étroitement tissés après des décennies d'accords commerciaux et de spécialisation sectorielle pourraient rapidement se heurter à des obstacles, notamment les coûts de transport et de main-d'œuvre, la disponibilité des ressources, la capacité de production et la saturation du marché.

«Chez de très nombreuses entreprises, on ne peut pas simplement appuyer sur un bouton» pour changer de chaîne d'approvisionnement, a noté Ulrich Paschen, qui est professeur à la Melville School of Business de l'Université polytechnique de Kwantlen, en Colombie-Britannique.

L'approvisionnement pose un défi

«Le nombre d'entreprises capables de fabriquer ces composants est limité, et elles ne seraient pas faciles à remplacer», a-t-il expliqué à propos des pièces automobiles.

Le secteur automobile illustre bien les difficultés auxquelles de nombreuses entreprises sont confrontées. Le Canada exporte environ 1,5 million de véhicules entièrement assemblés aux États-Unis chaque année, ce qui représente de 8 à 10 % de la consommation automobile américaine, selon la Chambre de commerce du Canada. Il s'agit d'un marché important à conquérir du jour au lendemain.

De plus, de nombreuses pièces traversent la frontière plusieurs fois avant l'assemblage final, ce qui signifie que des droits de douane américains de 25 %, ainsi que tout droit de douane réciproque, feraient grimper les coûts de production et, en fin de compte, le prix affiché.

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Les constructeurs automobiles américains ne sont pas non plus nécessairement enclins à tourner le dos à leurs partenaires canadiens. L'annulation de contrats avec des fournisseurs canadiens entraînerait des frais de rupture pouvant atteindre 500 millions $ par usine américaine, toujours selon la Chambre de commerce du Canada.

Les fournisseurs canadiens du secteur automobile qui envisagent de se relocaliser aux États-Unis seraient aussi confrontés à des obstacles majeurs: des coûts de fermeture de plusieurs dizaines de millions de dollars par usine, des coûts de main-d'œuvre d'au moins 20 % plus élevés et des délais de plusieurs années avant la mise en service de leurs usines américaines.

«Le Canada et les États-Unis entretiennent une relation commerciale intégrée. Elle s'est construite au fil des décennies», a rappelé le vice-président, politique stratégique et chaînes d'approvisionnement, à la Chambre de commerce du Canada, Pascal Chan.

«Ce n'est pas quelque chose qui est facile à défaire», a-t-il soutenu.

Les producteurs d'automobiles, de bois d'œuvre et d'acier seraient confrontés à des défis parmi les plus difficiles dans leur quête de nouveaux marchés, a indiqué le professeur Paschen.

D'autres défis

Les acteurs du secteur forestier sont confrontés à un dilemme tout autre. Les exportations de bois d'œuvre, bien qu'abondantes, ont une faible valeur par volume par rapport à d'autres matières premières.

«Expédier des marchandises du Canada directement aux États-Unis est tout à fait logique. Il est beaucoup moins logique de les expédier à l'autre bout du monde, car le coût du transport devient un facteur crucial», a expliqué M. Paschen.

En ce qui concerne l'acier et l'aluminium, le président américain, Donald Trump, a imposé des droits de douane de 25 % sur les importations en provenance de tous les pays, en mars. Le Canada a riposté, tout comme il l'avait fait après l'imposition d'autres droits de douane, en annonçant des droits de douane totalisant environ 60 milliards $.

Le Canada est de loin la source principale d'aluminium des États-Unis, avec des exportations d'une valeur de 11,4 milliards $ US en 2024. Le deuxième fournisseur, la Chine, a expédié pour 2,9 milliards $ US d'aluminium aux États-Unis l'an dernier, selon le Bureau du recensement des États-Unis.

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Le Canada est également la principale source d'acier et de fer des États-Unis à l'international, à 13 milliards $ US, bien que la Chine et le Mexique ne soient pas loin derrière.

Le volume considérable de ces matières premières rendrait difficile leur exportation vers d'autres marchés, selon les experts.

Par ailleurs, une volonté de nationaliser la production au-delà du niveau de base pour produire des produits finis – un défi pour les entreprises canadiennes depuis la Confédération – nécessiterait du temps, des investissements et peut-être un soutien gouvernemental.

«Bien que l'acier puisse être produit au Canada, il doit être expédié aux États-Unis pour être transformé en un élément structurel utilisé ensuite dans la construction d'un bâtiment au Canada», a affirmé le responsable de l'industrie manufacturière pour le cabinet de conseil BDO Canada, Jesus Ballesteros.

«L'aluminium brut est envoyé aux États-Unis. Il est transformé en feuilles, voire en canettes finies, puis ces canettes sont réexpédiées au Canada pour être utilisées dans la distribution de bière ou d'autres boissons», a-t-il poursuivi.

«C'est là que nous sommes pris au piège des droits de douane. (…) L'industrie canadienne peut-elle s'orienter dans cette direction?», s'est-il interrogé.

Expédier ailleurs?

La flexibilité limitée de la chaîne d'approvisionnement s'étend bien au-delà des chaînes de production.

L'immensité géographique du Canada et sa faible population par rapport aux États-Unis constituent des obstacles pour les entreprises qui cherchent à renforcer leur marché intérieur, tandis que la plupart des pays autres que les États-Unis semblent inaccessibles à de nombreuses entreprises.

«Si nous ne livrons pas aux États-Unis, nous sommes en quelque sorte une île. Les marchandises doivent parcourir de longs trajets depuis le Canada pour atteindre des clients situés hors d'Amérique du Nord», a fait valoir M. Paschen.

Les entreprises hésiteront à apporter des changements majeurs à leurs chaînes d'approvisionnement, sauf si elles pensent que les droits de douane élevés sont là pour de bon, a-t-il ajouté.

Certains experts ont appelé à une réorientation vers des pans entiers de l'économie, comme l'accélération de la transition vers la production de véhicules électriques, l'élimination des barrières commerciales interprovinciales et l'obtention d'investissements directs ainsi qu'une participation accrue du gouvernement.

«Les subventions ne suffiront probablement pas, a avancé Stuart Trew, directeur du projet de recherche sur le commerce et l'investissement au Centre canadien de politiques alternatives. Parfois, une coordination supplémentaire, comme un rôle de l'État, permettant de décider quels types d'acier produire et à quelles fins, par exemple, est nécessaire.»

Mais le fait que de nombreux économistes aient prédit que des droits de douane généralisés précipiteraient le Canada dans la récession illustre la difficulté de changer de fournisseurs et de diversifier les marchés en un clin d'œil.

«Il y a des cas où le marché pourrait tout simplement se tarir», a souligné M. Trew.

Christopher Reynolds
Christopher Reynolds / La Presse canadienne