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Bien que le nombre de dons d'organes continue de croître au Québec, les besoins dépassent le nombre de donneurs et de transplantations.
La chaîne du processus de transplantation et de don d'organes doit être solidifiée avant d'augmenter le nombre de dons, sinon les organes risquent d'être perdus, avertissent des experts entendus en commission parlementaire mardi.
«Le don d’organes sauve des vies — si et seulement si il se traduit dans les meilleurs délais par une transplantation d’organes», a souligné devant les parlementaires la Dre Marie-Josée Hébert, cofondatrice du programme de recherche en don et transplantation du Canada.
Elle a mentionné qu'il faut en effet augmenter le nombre de dons au Québec, mais qu'une hausse se traduit dans l'efficacité de la transplantation d'organes. «Et donc un changement, qu’il soit organisationnel ou législatif, doit s’assurer de renforcer la chaîne du don vers la transplantation», affirme-t-elle.
«Si on a plus d’organes de quelque manière que ce soit, il faut être sûr qu’on va être capable de les transplanter, il faut être sûr de rendre utile ce don incroyable.»
Selon les plus récentes données de Transplant Québec, l'organisme qui coordonne le processus de dons d’organes, 171 donneurs décédés ont permis de transplanter 584 organes en 2022. Cette année-là, 913 personnes étaient en attente d'un don, et 47 ont trépassé en attendant toujours. Les chiffres de 2023 sont attendus fin février.
Le Dr Frédérick D’Aragon, membre des médecins coordonnateurs du Québec et cofondateur de la Chaire de recherche Justin Lefebvre en don d'organes, a fait savoir qu'environ 1 % des décès dans un hôpital se qualifie pour un don. «Donc, il ne faut pas manquer ce donneur parce que la prochaine fois ça risque d’être dans plusieurs semaines, voire plusieurs mois et on aura manqué une opportunité importante.»
De son côté, la directrice générale sortante de la Fondation canadienne du rein, Francine Labelle, a fait valoir que le manque de référencement contribue à allonger la liste d'attente. «En comparaison avec les autres provinces canadiennes, la performance des hôpitaux du Québec quant au nombre de donneurs d’organes potentiels, identifiés et référés, est faible, dit-elle. En 2021, seulement 724 donneurs potentiels ont été référés alors que la moyenne de référencement annuelle de l’Ontario se situe entre 5000 et 6000.
«Nous recommandons l’instauration dans chaque centre hospitalier d’un programme de don d’organe avec des ressources dédiées, des cibles à atteindre et une reddition de compte», a-t-elle proposé.
Le rein est l'organe le plus demandé au Québec comme ailleurs dans le monde. En 2022, 72 % des Québécois sur la liste d’attente avaient besoin d’un rein. Mme Labelle a fait valoir que la greffe rénale peut engendrer «des économies substantielles pour le système de santé». Elle a indiqué que la greffe rénale comparativement à un patient sous dialyse permet d'économiser plus de 100 millions $ sur dix ans.
Dre Marie-Josée Hébert a aussi porté à l'attention des parlementaires les économies de coûts potentielles. «La transplantation d’organe est la solution thérapeutique qui offre la meilleure espérance de vie et la meilleure qualité de vie aux patients avec une insuffisance d’organes, a-t-elle déclaré. Ce qui est moins connu, c’est que la transplantation d’organe est aussi la solution thérapeutique la plus économique, et qui représente un moyen de réduction des coûts de soins de santé pour l’ensemble de la société québécoise.»
Québec étudie actuellement le consentement présumé, c'est-à-dire de donner le statut de donneur à un patient décédé, sauf en cas de preuve contraire, plutôt que d'exiger une preuve de consentement.
Les experts avertissent toutefois qu'il faut implanter plusieurs solutions et pas seulement le consentement présumé afin de faire des gains.
«On ne peut pas penser que le consentement présumé est en corrélation directe avec une augmentation du don d’organes. Ça prend une multitude d’autres domaines; la formation; la sensibilisation; le fait d’avoir un organisme qui soit le chef d’orchestre», a soutenu en entrevue la directrice générale de Transplant Québec, Martine Bouchard.
La Dre Hébert affirme que des changements législatifs qui seraient uniquement focalisés sur le consentement présumé ne se traduiront pas nécessairement par une augmentation du nombre de transplantations.
Si le consentement présumé devait être implanté au Québec, le «veto familial» — la possibilité pour la famille d'un patient décédé de refuser le don d'organe malgré le consentement du défunt — continuerait d'être appliqué.
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«La vaste majorité des modèles de consentement présumé continue à approcher les familles et donc les vetos familiaux peuvent continuer à s’appliquer, d’où l’importance de sensibiliser la population et les professionnels de la santé», a expliqué le Dr D’Aragon.
Mme Bouchard est aussi d'avis que la sensibilisation est essentielle pour bonifier les dons. Elle propose des formations obligatoires dans les écoles secondaires dans le cadre des cours de citoyenneté et culture québécoise. À partir de 14 ans, une personne peut consentir au don d'organe au Québec.
Transplant Québec souhaite aussi qu'il y ait des formations pour les professionnels de la santé, notamment lorsque vient le temps d'aborder le question du don d'organes avec la famille endeuillée. Ce type de formation existe, mais n'est pas obligatoire, précise Mme Bouchard.
Transplant Québec demande qu'il n'y ait qu'«un seul chef d'orchestre» pour coordonner, transporter et faire de la sensibilisation auprès du public. «On souhaite vraiment avoir une loi qui soit encadrante, et qui donne l’ensemble des leviers à un organisme qui serait responsable du don d’organes», a déclaré la directrice.
La Dre Hébert abonde dans le même sens et souligne la nécessité d'une «approche de gouvernance holistique à portée provinciale», qui servirait à planifier le don, s'occuper du recrutement de personnel et appuierait la recherche et l'innovation de pratique exemplaire.
Elle a cité l'exemple de la Colombie-Britannique qui a un organisme de ce genre. «BC Transplant supervise l’ensemble des activités de dons et de transplantations, qui permet une gestion adéquate des effectifs pour l’ensemble du cycle. (…) C’est clair qu’on est capable de faire quelque chose comme ça au Québec.»
Dre Hébert mentionne aussi la nécessité d'un meilleur investissement dans les équipes multidisciplinaires. Elle a mentionné que récemment en Alberta, le manque d’anesthésistes a fait en sorte qu’ils n’ont pas pu participer à la chaîne de don pancanadienne en don vivant. «Et donc il y a des patients en Alberta qui ont des délais prolongés, parce qu’il manque d’anesthésiste.»
Il faut par ailleurs prendre en considération l'arrivée de Santé Québec, l'agence gouvernementale qui sera bientôt responsable de gérer l'ensemble du réseau de la santé. «Est-ce que le modèle de gouvernance doit rester au sein du ministère de la Santé des Services sociaux? Est-ce qu’il doit être distinct et rendre des comptes au ministère ou à Santé Québec? Je pense qu’il faut regarder le pour et le contre, mais il doit y avoir un organisme à quelque part qui répond de l’activité de dons et de transplantations», a soulevé Dre Hébert.
La commission parlementaire se poursuit jusqu'à jeudi. Parmi les experts qui s'exprimeront mercredi, on note le Collège des médecins du Québec, le Barreau du Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec.