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Son avocat a profité de l'audience pour dénoncer son arrestation à Manille comme un «enlèvement pur et simple».
L'ancien président philippin emprisonné Rodrigo Duterte a comparu vendredi par visioconférence devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI), quelques jours après son arrestation à Manille pour meurtre lié à la «guerre contre la drogue» meurtrière qu'il a supervisée pendant son mandat.
M. Duterte, 79 ans, ne s'est pas présenté au tribunal de La Haye, mais il est apparu sur un écran par vidéo depuis le centre de détention où il est incarcéré, à environ un kilomètre et demi de là.
Pour les familles des victimes de la répression antidrogue, la comparution de M. Duterte devant le tribunal était un signe d'espoir très attendu. Ses fervents partisans qualifient cette arrestation d'illégale.
Son avocat, Salvador Medialdea, a profité de l'audience pour dénoncer son arrestation à Manille comme un «enlèvement pur et simple». Il a soutenu que M. Duterte «s'est vu refuser tout accès aux voies de recours juridiques dans son pays de nationalité, et tout cela s'apparente à un règlement de comptes politique».
La juge présidente, Iulia Antoanella Motoc, a fixé la date de l'audience préliminaire au 23 septembre afin de déterminer si les preuves à charge sont suffisamment solides pour justifier un renvoi en jugement. Si un procès a lieu, il pourrait durer des années, et si M. Duterte est reconnu coupable, il encourt une peine maximale de réclusion à perpétuité.
Les estimations du nombre de morts pendant le mandat présidentiel de M. Duterte varient, allant de plus de 6000 selon la police nationale à 30 000 selon les chiffres des associations de défense des droits de la personne.
La juge de la CPI a affirmé que M. Duterte avait été autorisé à participer à sa première audience par visioconférence, car il revenait d'un long vol.
M. Duterte, vêtu d'un veston et d'une cravate, a écouté l'audience avec des écouteurs, souvent les yeux fermés. Il s'est exprimé en anglais pour confirmer son nom, ainsi que sa date et son lieu de naissance. Il n'a pas été tenu de plaider coupable. L'audience, qui a commencé avec environ une demi-heure de retard, a duré environ 30 minutes.
M. Medialdea a indiqué que M. Duterte était en observation dans un hôpital en raison de problèmes de santé.
La juge, s'adressant à M. Duterte, a dit : «Le médecin du tribunal a estimé que vous étiez pleinement conscient et apte».
M. Duterte a été arrêté mardi dans un contexte chaotique dans la capitale philippine, après son retour d'une visite à Hong Kong. Il a été rapidement embarqué à bord d'un avion affrété et conduit aux Pays-Bas.
Sa fille, la vice-présidente des Philippines, Sara Duterte, lui a rendu visite vendredi au centre de détention du tribunal et a rencontré ses partisans à l'extérieur. M. Duterte est un rival politique du président actuel.
Elle a déclaré que son père était «de bonne humeur» et «bien pris en charge», et que son seul reproche concernant son état de santé était le manque de nourriture philippine.
Elle a également dénoncé ce qu'elle a qualifié d'arrestation politique. «Il y aura un jour de jugement pour tous», a-t-elle dit, devant une foule enthousiaste.
Pendant ce temps, des militants ont manifesté dans la région de la capitale philippine, exigeant justice pour les milliers de suspects tués lors de la répression brutale menée par l'ancien président Duterte. Les familles des victimes ont suivi les audiences de la CPI sur des écrans installés dans tout le pays, certaines brandissant des portraits de leurs proches, tout en écoutant la lecture des chefs d'accusation contre M, Duterte.
Les procureurs accusent M. Duterte d'avoir participé en tant que «coauteur indirect» à de multiples meurtres, ce qui équivaut à un crime contre l'humanité pour avoir prétendument supervisé des meurtres de novembre 2011 à mars 2019, d'abord lorsqu'il était maire de la ville méridionale de Davao, puis en tant que président des Philippines.
Selon la requête du procureur pour son arrestation, M. Duterte, alors maire de Davao, aurait donné des ordres à la police et à d'autres «tueurs à gages» qui ont formé les escadrons de la mort de Davao, ou DDS.
Il leur a dit «que leur mission était de tuer des criminels, y compris des trafiquants de drogue, et leur a donné l'autorisation de commettre des meurtres spécifiques», affirment les procureurs, ajoutant qu'il a recruté, payé et récompensé les tueurs et «leur a fourni les armes et les ressources nécessaires, et leur a promis de les mettre à l'abri de toute poursuite».
Le document demandant un mandat d'arrêt de la CPI contre M. Duterte précise que les procureurs ont construit leur dossier à partir de preuves, notamment des témoignages, des discours de M. Duterte lui-même, des documents gouvernementaux et des séquences vidéo.
Les associations de défense des droits de la personne et les familles des victimes ont salué l'arrestation de M. Duterte comme un triomphe historique contre l'impunité de l'État, tandis que les partisans de l'ancien président ont vivement critiqué ce qu'ils qualifient de remise par le gouvernement d'un rival politique à un tribunal dont ils contestent la compétence.
«Nous sommes heureux et soulagés», a fait valoir Melinda Abion Lafuente, 55 ans, mère d'Angelo Lafuente, 22 ans, qui, selon elle, a été torturé et tué en 2016.
«La comparution de Duterte devant la CPI témoigne du courage et de la détermination des victimes, de leurs familles, des militants et journalistes philippins à obtenir justice, quel que soit le temps nécessaire», a déclaré Bryony Lau, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. «D'autres dirigeants visés par des mandats d'arrêt de la CPI, comme Vladimir Poutine et Benyamin Nétanyahou, devraient prendre conscience que même ceux qui semblent intouchables aujourd'hui peuvent se retrouver à La Haye.»
L'équipe juridique de M. Duterte a affirmé que l'administration du président philippin Ferdinand Marcos Jr. n'aurait pas dû autoriser la Cour à saisir l'ancien dirigeant, car les Philippines ne sont plus parties à la CPI.
M. Medialdea a soutenu que «deux entités en difficulté ont conclu une alliance improbable : un président en exercice qui souhaite neutraliser et étouffer l'héritage [son] mon client et de sa fille», et «une institution juridique en difficulté, menacée de délégitimation».
Les juges qui ont approuvé le mandat d'arrêt contre M. Duterte ont déclaré que la Cour était compétente, car les crimes allégués dans le mandat avaient été commis avant le retrait des Philippines de la Cour par M. Duterte en 2019.