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La Cour suprême du Canada juge que l'interdiction de posséder et de cultiver des plants de cannabis à des fins personnelles, telle que décidée par Québec, est constitutionnelle.
Le gouvernement Legault a bel et bien le droit d'interdire la culture du cannabis à domicile.
Dans une décision unanime rendue vendredi, la Cour suprême du Canada juge que l'interdiction de posséder et de cultiver des plants de cannabis à des fins personnelles, telle que décidée par Québec, est constitutionnelle, et ce, malgré le fait que la Loi fédérale, elle, permette la culture et la possession d'un nombre maximum de quatre plants à la maison.
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La décision, rédigée par le juge en chef Richard Wagner, vient ainsi confirmer celle rendue en septembre 2021 par la Cour d'appel.
«Ça consacre le principe selon lequel le Québec avait le droit d'associer le cannabis à la sphère de la santé», a déclaré en entrevue avec La Presse Canadienne Me Maxime Guérin, l'avocat de Janick Murray-Hall, qui tentait de faire invalider l'interdiction de cultiver ou de posséder des plants de cannabis chez soi.
«Ça vient consacrer le droit du Québec d'être un peu indépendant ou différent dans sa manière d'approcher cette question-là. C'est certain qu'il y a une certaine déception, mais c'est la décision du plus haut tribunal, c'est une décision constitutionnelle et on n'a pas tellement le choix de s'en remettre à ça.»
Janick Murray-Hall, le satiriste et initiateur du défunt Journal de Mourréal, avait contesté avec succès en Cour supérieure la validité des articles 5 et 10 de la Loi provinciale qui interdisent totalement la possession de plantes de cannabis ainsi que la culture de telles plantes dans un domicile privé. En septembre 2019, la juge Manon Lavoie, de la Cour supérieure, lui avait donné raison et déclaré ces articles invalides, y voyant notamment un empiètement sur la compétence fédérale.
Un banc de trois juges de la Cour d'appel avait toutefois infirmé cette décision deux ans plus tard et la cause avait alors été portée devant l'instance juridique canadienne ultime.
Le juge Wagner explique très clairement et à plusieurs reprises dans sa décision que, dans la loi provinciale, «la possession et culture personnelle de cannabis n'a pas été envisagée par le législateur québécois comme un fléau social à réprimer, mais plutôt comme une pratique qu'il convient d'interdire pour diriger les consommateurs vers une source d'approvisionnement contrôlée.»
«En l'espèce (…) les interdictions prévues aux art. 5 et 10 de la Loi provinciale ne visent pas d'objectifs punitifs en tant que tels, mais reflètent plutôt une logique d'encadrement et de supervision de l'accès à la substance.»
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Le juge souligne ainsi que «les interdictions elles-mêmes sont un moyen, parmi un large éventail de mesures, pour réaliser les objectifs de santé et de sécurité publiques de la Loi provinciale puisqu'elles agissent comme de sérieux incitatifs à l'intégration des consommateurs au marché licite du cannabis».
Il poursuit, dans la même veine, en constatant que «l'impossibilité de posséder et de cultiver des plantes de cannabis à domicile sous peine de sanctions pénales a pour effet de diriger les consommateurs québécois vers la source d'approvisionnement sûre que constitue la SQDC. Ces derniers bénéficient ainsi de produits dont la qualité est contrôlée, ainsi que des conseils de préposés à la vente formés aux risques associés à la consommation de cannabis.»
Quant à l'argument d'empiètement sur la compétence fédérale, le juge Wagner souligne que «les objectifs poursuivis par le Parlement (fédéral) et la législature provinciale sont concordants. En effet, la protection de la santé et de la sécurité de la population, particulièrement celles des jeunes, la lutte contre le crime organisé et le fait de garantir l'accès à des produits dont la qualité est contrôlée sont autant de considérations ayant manifestement animé l'adoption de la Loi fédérale et de la Loi provinciale.»
Plus encore, ajoute-t-il, «même si les approches retenues respectivement par le législateur fédéral et le législateur provincial à l'égard de l'auto-culture du cannabis sont différentes, la Loi provinciale témoigne au même titre que la Loi fédérale d'un souci de lutter contre le crime organisé. Les objectifs de santé et de sécurité publiques poursuivis par la Loi provinciale et ses interdictions aux art. 5 et 10 sont donc en harmonie avec les objectifs visés par la Loi fédérale, et il n'y a pas lieu de conclure à l'existence d'un conflit d'objets.»
D'après lui, Québec n'empiète pas sur la compétence fédérale en matière de droit criminel en interdisant ce que le fédéral permet puisque «la décision du Parlement de décriminaliser une conduite donnée laisse le champ libre aux provinces d'adopter leurs propres interdictions assorties de pénalités liées à cette même conduite (…) En conséquence, les mesures réglementaires à caractère pénal qu'adoptent les provinces à l'égard d'activités décriminalisées ne constituent pas nécessairement des tentatives de légiférer en matière criminelle.»
Sa conclusion devient dès lors incontournable: «les art. 5 et 10 (de la Loi provinciale) relèvent donc non pas de la sphère du droit criminel, mais bien de la compétence générale des provinces en matière de réglementation de la santé.»
Il note au passage que «les interdictions provinciales répondent directement à plusieurs des objectifs énumérés à l'art. 7 de la Loi fédérale. En effet, les interdictions absolues de possession et de culture de la Loi provinciale permettent vraisemblablement de protéger la santé des jeunes en restreignant l'accès au cannabis, la culture à domicile par des personnes majeures étant susceptible d'accroître l'accessibilité de cette substance par les mineurs résidant sous le même toit.»
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Le juge en chef ajoute que la présence de plants de cannabis à la maison peut «être considérée de facto comme une incitation». Aussi, écrit-il, une culture à domicile échappe à toute norme, notamment celles sur la concentration maximale du principal composé actif du cannabis, le tétrahydrocannabinol («THC»).
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Sans surprise, le gouvernement du Québec s'est réjoui de cette décision. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a publié un gazouillis dans lequel il réaffirme que «la Loi encadrant le cannabis vise à protéger la santé et la sécurité des Québécois, en particulier celles de nos jeunes.»
Le ministre se montre particulièrement satisfait de voir que ce jugement confirme «la pleine capacité d'agir du Québec en la matière. Le Québec défendra toujours ses compétences», proclame-t-il.
De son côté, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), qui a maintes fois exprimé son désaccord avec l'idée de permettre la culture du cannabis à domicile, se dit soulagée par la décision du plus haut tribunal. Dans un communiqué, l'organisme estime que ce jugement «facilitera donc l'application actuelle de la loi québécoise notamment par les services policiers.»
Elle ajoute que de cultiver du cannabis «requiert un taux élevé d'humidité, endommage directement les logements. Les moisissures et la dégradation des structures sont alors inévitables. Ceci entraine des coûts majeurs de réparation pour les propriétaires locatifs.»