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«On assiste à des reculs inquiétants en matière d’accès à la justice pour les victimes de violence conjugale et sexuelle au Québec.»
Alors que l’actualité est dominée par les (énièmes) frasques de Donald Trump à la Maison-Blanche, on assiste à des reculs inquiétants en matière d’accès à la justice pour les victimes de violence conjugale et sexuelle au Québec, reculs qui passent sous silence.
Déjà, l’automne dernier, plusieurs victimes d’actes criminels profondément accablées ont lancé un cri du cœur public. Elles ont déploré la réduction de la durée des prestations du programme québécois d’indemnisation aux victimes d’actes criminels, communément appelé l’IVAC.
Depuis son adoption en 2021, la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement (LAPVIC) stipule que, dorénavant, les personnes victimes n’auront que trois ans pour bénéficier des prestations. Cette mesure ayant pris effet en octobre 2024 a causé énormément d’anxiété et de détresse. Plusieurs victimes ont exprimé craindre de se retrouver dans la précarité la plus totale.
Les conséquences d’un acte criminel se répercutent le plus souvent pour l’entièreté de la vie d’une personne victime, et ce, bien malgré elle. Être victime d’un acte criminel est un bouleversement profond qui crée une vie « avant le crime » et une autre « après le crime ». Dans cette seconde vie, il n’est pas toujours possible de retrouver ses pleines capacités ; plusieurs victimes doivent d’ailleurs en faire le deuil. Il ne s’agit jamais d’une question de volonté, de manque de courage ou de mauvaise foi.
Le mois dernier, l’Union étudiante du Québec a dénoncé la fin de mesures d’importance pour lutter contre les violences sexuelles dans les cégeps et les universités de la province. Sous l’égide de l’Institut de la statistique du Québec, une entente de 1,12 million de dollars était prévue pour mener une enquête nationale en la matière. Or, le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé de mettre la hache sur cette entente qui est pourtant cruciale pour dresser un état des lieux. Les sommes investies au cours des dernières années ont-elles porté fruit ? Les campus sont-ils aujourd’hui plus sécuritaires pour les personnes étudiantes et employées ?
Dans la foulée du mouvement #moiaussi et du dépôt du rapport Rebâtir la confiance, Québec avait mis en place la ligne Rebâtir, fortement appréciée tant des victimes que des intervenantes qui les accompagnent. Ce service d’information juridique gratuit dans tous les domaines du droit et à hauteur de quatre heures est aujourd’hui menacé par des compressions.
En parallèle, un intérêt grandissant pour la justice réparatrice pour les crimes graves se fait sentir. Elle fait l’objet de nombreux articles dans des journaux canadiens et québécois en matière de violence sexuelle. La justice réparatrice est au cœur d’une série télévisée, Mea Culpa, diffusée sur les ondes de Radio-Canada. L’an dernier, le Conseil du statut de la femme du Gouvernement du Québec a même produit un avis sur la violence conjugale et la justice réparatrice.
Il y a toujours lieu de s’inquiéter des solutions à taille unique que l’on popularise comme une panacée. Trop souvent, elles sont instrumentalisées pour dégager les gouvernements de leurs responsabilités, ce qui donne mauvaise presse à des processus légitimes qui ont toute leur raison d’être.
Travailler avec des êtres humains en contexte de vulnérabilité nécessite de développer un confort avec l’inconfort. De savoir que l’on ne sait pas. D’apprendre à prendre le temps, au-delà du cycle électoral. L’intervention sociale, avec de vraies personnes, en chair et en os, nous apprend la nuance. Notamment pour accepter qu’une personne puisse avoir une compréhension différente des violences qu’elle a vécues et des moyens à mettre en place pour obtenir (sa) justice.
Je ne sais pas si la politique partisane peut avoir réponse à tout ; si ces réformes annoncées en grande pompe que l’on démantèle presque qu’aussitôt permettent la complexité d’analyse et d’intervention que ces problèmes sociaux exigent.
Il y a beaucoup à dire sur les paradoxes de l’institutionnalisation des mouvements sociaux, comme le féminisme. Lorsque l’État reconnaît les violences faites aux femmes comme un problème criant, il décide généralement d’investir des sommes pour l’endiguer. Une manière de signifier qu’il prend la chose au sérieux. Par cette reconnaissance, on comprend que ce problème n’est plus vu sous une lunette individuelle ou privée, mais qu’il constitue dorénavant un enjeu social dont les autorités doivent se saisir. Qui plus est, cette reconnaissance crée, à tort ou à raison, des attentes chez la population. L’histoire de la politique partisane ne manque pas d’exemples de promesses non tenues et de désenchantements chez les électeurs.
Or, cette récupération par l’État accélère, du même trait, la dépolitisation des mouvements sociaux allant jusqu’à les abattre en plein vol. Avaler la colère qui gronde pour la rendre plus docile, moins dérangeante pour l’ordre établi. Caricaturer le message des survivantes qui ont eu le courage de parler, survivantes sans qui ces réformes et ces discussions sociétales n’auraient jamais eu lieu.
Les gouvernements cherchent souvent à apaiser l’indignation pour sécuriser leurs votes, en donner juste assez au peuple pour éviter la révolte la plus totale. On a beau avoir « Je me souviens » comme devise nationale, les autorités jouent au ping-pong avec la mémoire courte de l’électorat. Fabriquer l’oubli, laisser l’eau couler sous les ponts, le temps que la vague redescende et que l’éclipse médiatique nous ait contraints à passer au prochain scandale du jour.
Ces compressions budgétaires qui prennent de court de nombreuses victimes d’actes criminels des personnes expertes du milieu sont une énième preuve de ce phénomène.
À plusieurs égards, le mouvement #MoiAussi a été dépolitisé… à des fins électoralistes.
Cette confiance que l’on a tant cherché à rebâtir ne serait-elle pas, plutôt, à redéfinir ?