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Art et culture
Chronique |

Le «retour» d’Éric Lapointe

L’objectif, ici, ce n’est pas de dire si c’est OK ou non d’aimer Éric Lapointe, de consommer sa musique ou d’aller à ses spectacles. Tout ça, évidemment, demeure une décision personnelle.

Éric Lapointe lance ces jours-ci un nouvel album et cela suscite beaucoup de vives réactions.

L’objectif, ici, ce n’est pas de dire si c’est OK ou non d’aimer Éric Lapointe, de consommer sa musique ou d’aller à ses spectacles. Tout ça, évidemment, demeure une décision personnelle.

Mais rappelons tout de même les faits puisque cela commence à dater un brin. Le rockeur a plaidé coupable de voie de fait sur une femme. Les événements violents se sont produits un matin de 2019.

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Le chanteur a obtenu une absolution conditionnelle, ce qui veut dire qu’il n’aura pas de dossier criminel en lien avec les gestes posés. Éric Lapointe a eu des conditions à respecter : garder la paix, avoir une bonne conduite et suivre une thérapie à laquelle seul le thérapeute pouvait mettre fin. Il a aussi dû faire un don de trois mille dollars à un organisme de charité. Je me rappelle que ça m’avait flabbergastée, à l’époque. Une si petite somme pour un chanteur qui a assurément une situation financière enviable? Ça n’a pas dû lui faire grand mal.  

Mais tout de même. Les chansons d’Éric Lapointe ont été, pour un temps, bannies des radios. Le célèbre coach de La Voix a aussi disparu du paysage télévisuel. Certains festivals l’ont retiré de leur programmation. Il en menait moins large qu’avant, disons.

Éric Lapointe ne s’est jamais vraiment retiré

En effet, l’artiste ne s’est jamais complètement effacé de la vie publique. Il s’est fait plus discret, oui, mais il a continué de remplir des salles de spectacles et d’attirer les festivaliers dans plusieurs régions du Québec, d’où les guillemets dans le titre de cette chronique.

Hier, certains organismes qui luttent pour le droit des femmes ont émis des bémols par rapport à ce grand «retour» et se sont montrés préoccupés par la façon dont on semble prendre à la légère les gestes posés. Ce sont des questions légitimes, bien sûr. Et dans ce cas précis, j’ai l’impression qu’il y a effectivement une certaine banalisation des gestes de violence posés. Comme si ce n’était «pas si pire».

On peut se poser ces questions-là, mais je m’en pose aussi sur la réhabilitation des individus. Est-ce que le fait d’avoir plaidé coupable a joué un rôle dans notre perception collective de cette affaire? Est-ce qu’on est devant un cas de «faute avouée à demi pardonnée»? Depuis, Éric Lapointe a présenté des excuses et a parlé de son alcoolisme. Je souligne au passage que l’alcoolisme n’excuse pas les gestes problématiques d’une personne. Beaucoup de personnes sous l’influence de l’alcool ne commettent pas des voies de fait. Mais je suis de bonne foi et je me sens dans l’obligation de préciser que le rockeur a quand même spécifié que son problème d’alcool n’excusait pas le geste posé en 2019.

Il n’en demeure pas moins qu’il y a quand même tout un paquet de fans purs et durs qui ont carrément refusé de croire que leur idole avait pu commettre quelques gestes répréhensibles que ce soit. Certains admirateurs sont allés jusqu’à intimider la victime et/ou toute autre personne émettant une opinion défavorable à son retour sur les médias sociaux ou dans les médias dits traditionnels.  

Je fais ici un petit détour sur une autre raison qui me pousse à croire qu’on a tendance à pardonner vraiment facilement à Éric Lapointe. Parlons un peu du livre La femme qui aimait trop, qui raconte l’histoire d’Erica et de Billy Spade, un célèbre chanteur rock. Ce livre a été écrit par Marc Fisher en collaboration avec Mélanie Chouinard. Qui est Mélanie Chouinard? L’ancienne conjointe d’Éric Lapointe. J’avais lu le livre à l’époque, et même si l’auteur et madame Chouinard disent que c’est un roman — et s’en est un — on ne peut pas s’empêcher de faire des rapprochements (en plus, c’est elle sur la couverture du livre).

Jumelé au fait qu’il a été dit un peu partout et souvent fort maladroitement, lors de la promotion du livre, que l’histoire était «inspirée» de la vie commune de Mélanie avec le chanteur, ça commence à faire plusieurs lumières rouges qui s’allument. À sa lecture, le roman m’avait rendu mal à l’aise puisque presque tout le long, on y décrit la relation toxique et violente de ce couple «inventé». Tout ça mâtiné de formulations du genre «il était tellement intense, c’était un être abîmé, un héros tragique, etc.»

Fin du détour qui nous permet d’aborder la figure de la vedette rock dans notre société. Sous le couvert de la drogue, du sexe et du rock n’roll, on excuse presque tout.

On dit des rocks stars que ce sont des êtres tourmentés, des rebelles, des indomptables. On aime bien que ce ne soit pas des anges. On a plein d’exemples de ça: Axl Rose et Stéphanie Seymour, Tommy Lee et Pamela Anderson. Des histoires où il y aurait eu de la violence conjugale. Est-ce qu’on aurait la même réaction, est-ce qu’on passerait l’éponge aussi facilement si c’était Bruno Pelletier ou Daniel Bélanger qui avaient été reconnus coupables de voie de fait sur une femme? J’en doute.

Le chemin de la rédemption

Je le répète, Lapointe a plaidé coupable et il s’est conformé, si je ne m’abuse, à ses conditions. Ce qui pose la question de la question de la justice populaire et de la peine à perpétuité qui vient souvent avec. Ça me rend toujours mal à l’aise. Je ne pense pas que c’est ça qu’on veut. Vivre dans une société où aucune rédemption n’est possible.

Notre système de justice est basé sur la réhabilitation. Si on croit au système de justice (oui, il y a des lacunes, mais quand même), est-ce qu’un individu qui a plaidé coupable et qui s’est conformé à ses conditions a droit à une deuxième chance? Oui.  

Est-ce qu’il a le droit de chanter et de poursuivre sa carrière? Techniquement, oui.

Après ça, est-ce que j’écoute désormais Éric Lapointe sans gêne? Personnellement, j’ai beaucoup chanté ses chansons dans les karaokés, mais on dirait que maintenant, je serais hésitante parce que je craindrais de créer un malaise. Je m’imagine une femme qui serait dans la salle et qui aurait été victime de violence ou qui l’est en ce moment et je me mets à sa place. Et savez-vous quoi? Je choisirais une autre chanson. Il y en a beaucoup d’autres.

Maintenant, est-ce que j’en écouterais chez nous, du Éric Lapointe? Peut-être. Peut-être pas.  

Je respecte l’opinion des gens qui ont envie d’en écouter publiquement et de façon assumée et d’aller à ses spectacles. Est-ce que je serais à l’aise qu’il revienne à La Voix? Disons que ça enverrait un drôle de message. Mais encore une fois, c’est compliqué. Il n’y a pas de réponse simple.   

C’est plate à dire, mais c’est le public qui décide. Et il semble avoir décidé qu’il voulait d’Éric Lapointe.

Je le redis. Il n’y a pas de réponse simple. Et il n’y a pas de bonne réponse, si ce n’est que la vôtre.