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«Avec l’écoblanchiment, vous exagérez vos vertus environnementales. Avec l’écosilence, vous tenez ça mort.»
Si certaines sociétés ont exagéré leurs prétendus efforts environnementaux, on pourrait voir des entreprises qui, au contraire, se font discrètes et passent sous silence leur stratégie en matière de durabilité et de diversité afin d’éviter les critiques.
C’est ce qu’on appelle l’«écosilence», explique Yrjö Koskinen, professeur de finance durable et de transition à l’Université de Calgary, en entrevue en marge d’une conférence organisée par CFA Montréal, mercredi.
«Avec l’écoblanchiment, vous exagérez vos vertus environnementales. Avec l’écosilence, vous tenez ça mort», résume l’expert.
«C’est un concept récent, souligne-t-il. Ça vient des États-Unis en raison du ressac contre les critères ESG (environnement, social et gouvernance) depuis deux ans.»
Malgré la tendance défavorable, des entreprises jugent qu’il est important de porter attention aux risques environnementaux. «Elles répondent à ces risques, mais elles ont peur d’en parler.»
De nombreuses sociétés américaines ont annoncé qu’elles révisaient leur approche en matière de diversité et de durabilité dans la foulée de l’élection de Donald Trump, d’un jugement récent de la Cour suprême des États-Unis contre la discrimination positive et d’interventions d’investisseurs activistes conservateurs.
L’expert a-t-il un exemple d’entreprise qui fait de l’écosilence? «Vous allez être surpris, mais ExxonMobil (pétrolière américaine) est l’une d’elles», répond-il.
La société issue de la Standard Oil fondée par John D. Rockefeller en 1870 veut assurer sa pérennité à long terme et la direction sait qu’elle devra s’ajuster à la transition énergétique, constate M. Koskinen. «Je ne suis pas en train de dire qu’ils sont des saints, mais ils en font plus qu’ils ne le laissent savoir.»
La crise actuelle doit être l’occasion de réfléchir à l’efficacité des stratégies des entreprises en ce qui concerne les enjeux environnementaux et sociaux, croit le professeur.
«Ma plus grande critique des mesures ESG, c'est qu'elles ont été inefficaces, juge-t-il. Elles n'ont pas eu tant d'impact.»
«Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est de l'écoblanchiment, mais des entreprises ont fait des déclarations exagérées lorsqu'elles parlent de ce qu’elles font et d'à quel point c’est efficace», enchaîne-t-il.
M. Koskinen suggère de «se débarrasser» de l’acronyme ESG, qui ratisserait trop large en mettant ensemble les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, selon lui.
«L’acronyme ESG est devenu trop controversé et c’est un concept problématique, car il met ensemble des choses qui n’ont pas de liens entre elles», estime-t-il.
Les sociétés auraient intérêt à se concentrer sur certaines priorités ESG, selon lui. «Je pense que le message des entreprises est dilué si elles essaient de tout régler en même temps. Je suggère aux entreprises de vraiment choisir le combat qu’elles vont mener.»
Une approche plus ciblée aurait un plus grand impact, selon lui. «Si vous essayez de tout faire en même temps, ça va produire un joli rapport ESG, mais ce sera complètement inefficace.»
Les sociétés devraient agir là où leurs interventions seraient les plus efficaces, plaide M. Koskinen. Il donne l’exemple des entreprises canadiennes qui œuvrent dans le secteur des ressources.
Leurs activités ont un grand impact sur les Premières Nations. Les efforts de réconciliation avec ces communautés sont l’un des enjeux où elles peuvent faire une différence, donne-t-il en exemple. «Je pense que c’est très important pour le Canada.»
Il aborde aussi le principal débat qui a lieu dans le secteur de l’investissement responsable. Faut-il se désinvestir des énergies fossiles ou utiliser son pouvoir actionnarial pour influencer l’industrie à réduire ses émissions?
M. Koskinen croit que le désinvestissement n’a pas fait ses preuves. «Ça a été très inefficace, déplore-t-il. Ça n’a pas eu d’effets sur le coût du capital des entreprises pétrolières et gazières.»
Malgré ces critiques, M. Koskinen est loin de suggérer aux entreprises de se désengager. Il s’inquiète du rejet de tout ce qui touche à l'environnement ou à la diversité au sud de la frontière. «Je crains qu’on jette le bébé avec l’eau du bain.»
Les risques climatiques ne disparaîtront pas parce qu’on les ignore, souligne-t-il. «Nous avons eu l’année la plus chaude en 2024. Des sécheresses, des inondations, des feux de forêt, des canicules record. Nous avons un énorme risque climatique qui nous pend au bout du nez.»