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Cette semaine j’aurais pu vous parler d’«Occupation Double». Ou encore de l’article qui est sorti dans «La Presse» à propos des tensions entre la SRC et la CBC.
Cette semaine j’aurais pu vous parler d’Occupation Double. Ou encore de l’article qui est sorti dans La Presse à propos des tensions entre la SRC et la CBC. Mais hier, j’ai décidé de prendre contrôle de ma propre tribune et de vous parler de quelque chose d’assez personnel.
J’ai écrit une chronique il y a deux semaines sur un album et sur les pratiques courantes dans l’industrie musicale. Je suis passée à travers et j’ai bâti un portrait assez complet de la situation. Quelques heures après la publication de cet article, j’ai commencé à recevoir un nombre important de « follows » sur mon compte Twitter.
Tous ces follows ont une chose en commun : ce ne sont pas de vraies personnes. Ce sont des robots. Des bots. Un peu comme ce que j’expliquais il y a deux semaines. Sauf que là, c’était des follows par centaines que je recevais. Quelques heures après la publication de cet article, j’ai dû mettre mon compte en mode privé pour éviter que l’audience et l’engagement que j’ai soigneusement bâti depuis presque deux ans aujourd’hui s’écroulent.
Cela m’a pris une quinzaine de minutes avant de le réaliser: je me faisais attaquer par des bots. Quelqu’un a décidé que je ne méritais pas de m’exprimer publiquement, et donc, pour me contraindre au silence, a décidé de me faire taire d’une manière plutôt intéressante.
J’ai attendu une fin de semaine, puis une semaine… Et finalement deux semaines. Je suis là pour vous dire que ça n’arrête pas. Mon compte est encore en mode privé, j’ai dû me faire suivre par plus de 10 000 faux comptes depuis le début et je refuse systématiquement les demandes que je reçois tous les jours.
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Je ne regarde même plus les noms des gens qui me suivent, je fais juste refuser. Parce qu’il y en a trop. J’ai calculé. Entre 9 heures et 17 heures, j’ai reçu près de 750 demandes. Et je ne compte pas celles que j’ai reçu en dehors de ces heures.
Au début, c’était drôle. Puis le temps a passé et j’ai commencé à trouver ça irritant, et hier, j’ai atteint le point que je ne voulais pas atteindre. Je me suis résignée, je suis fatiguée et surtout, je n’ai pas espoir que ça s’arrête. Je reçois des messages et je ne suis pas capable de répondre. Je veux envoyer des messages, mais le mode privé me limite. Vous pourriez répondre : mets-toi à nouveau en mode public, on s’en fiche. Mais je ne m’en fiche pas. Imaginez-vous tout d’un coup que mon audience est majoritairement faite de bots, l’algorithme de Twitter considérera que mon compte n’est pas « fiable ». C’est mon travail qui s’effrite.
On a parlé de harcèlement récemment. Harcèlement contre les journalistes, contre les femmes. J’ai reçu mon lot d’insultes, mais ce n’était jamais quelque chose qui m’inquiétait. J’interagis minimalement et je passe à autre chose. Quand j’écris, j’écris avec passion, mais aussi avec une certaine ouverture. Je ne suis pas faite de marbre. Je réponds aux messages que je reçois et j’écoute les gens autour de moi. En tant que journaliste culturelle, je ne reçois pas de menaces ou de messages haineux (ou très rarement).
Mais il y a deux semaines, quelqu’un a pensé que je ne méritais pas de travailler, d’être entendue. Quelqu’un s’est fâché et a décidé de dépenser de l’argent pour me rendre la vie un peu plus compliquée, pour nuire à ma carrière. Quelqu’un s’est donné le droit de me faire taire parce que j’ai écrit quelque chose qui ne lui plaisait pas.
Et ça me fâche. Ça me fâche parce que même si ma situation est minimale, celles d’autres journalistes sont franchement invivables. Certaines reçoivent des messages mesquins, odieux pour leur travail, un travail qui requiert minutie, passion et persévérance. Et bien qu’elles soient fortes et que ça « vienne avec le métier », ce n’est jamais quelque chose qui se prépare. Se faire harceler, se sentir défaite, se demander si ça vaut la peine de continuer parce que finalement, ça ne devrait pas venir avec le métier.
On ne devient pas journaliste ou chroniqueur justement parce que cela nous tente. On le fait avec passion et engagement. Si nous critiquons négativement, si nous condamnons certaines pratiques, ce n’est pas quelque chose que l’on fait gratuitement. On le fait parce qu’on y croit, et on croit qu’il faut informer les gens, que ce soit sur la politique, les affaires publiques ou encore la culture.
Le mois d’octobre est un mois que j’aime pour plusieurs raisons, mais notamment pour la suivante : c’est en octobre que je suis devenue une journaliste culturelle publiée. Ma carrière a pris son envol et je me suis résolue d’utiliser ma voix pour informer, faire connaître et parler des choses qu’on ne voit pas.
Octobre arrive et je me retrouve avec un compte Twitter privé, harcelée, mon travail qui souffre un peu de ne pas pouvoir être diffusé, moi qui ne peux pas écrire à de futurs contacts pour des entrevues que je veux absolument faire…
Je suis résignée à ne pas pouvoir rouvrir mon compte, à avoir moins d’engagements et à avoir une plus petite diffusion de mes articles, et je sais que je ne suis pas seule. Et si tous les journalistes se mettent à se plaindre de harcèlement et se remettent en question, peut-être que vous devriez vous fâcher, vous aussi.
Cela dit, je vous promets une chronique plus joviale dans deux semaines. Promis.